Immobilier : au Mipim, les professionnels mi-figue mi-raisin face à une conjoncture complexe

Le Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim) vient de se terminer à Cannes. Sur fond de crise économique, politique et sociale, d'un côté, les élus locaux et promoteurs se retrouvent sur l'éradication des passoires thermiques et la crise du logement. De l'autre, les petites et moyennes villes suscitent l'appétit des investisseurs. Décryptage.
Alors que l'habitat post-Covid peine à sortir de terre, plombé par l'inflation et la remontée des taux d'intérêt, les maires et les promoteurs présents dans le palais des festivals affichent leur optimisme.
Alors que l'habitat post-Covid peine à sortir de terre, plombé par l'inflation et la remontée des taux d'intérêt, les maires et les promoteurs présents dans le palais des festivals affichent leur optimisme. (Crédits : Stephane Mahe)

Qu'y-a-t-il de pire entre le déni et le pessimisme ? En mars 2022, le Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim) rouvrait, enfin, ses portes à Cannes après trois ans d'absence. Investisseurs, promoteurs, startuppeurs, les participants se projetaient dans l'après-Covid, quitte à oublier la guerre en Ukraine déclenchée un mois plus tôt. Du 14 au 17 mars dernier, l'ambiance était toute autre. Sur fond de crise économique, politique et sociale, les chefs d'entreprise et les élus locaux étaient certes heureux de se retrouver sous le soleil, mais les rafales de vent n'ont eu de cesse de leur rappeler à tel point la situation était volatile à tous les points de vue.

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« Pessimists sound smart. Optimists make money (les pessimistes ont l'air intelligent. Les optimistes font de l'argent).

Le pessimisme est réel, mais complaisant. Le jour, vous êtes très sérieux, la nuit, vous parlez de vos opportunités et de vos projets. Certes des classes d'actifs peuvent souffrir, comme le bureau, le résidentiel et même la logistique, mais d'autres se maintiennent comme la santé et certains reviennent comme le commerce », décrypte Thierry Cahierre, co-head client et Fund Management de Redevco.

Un « coup de gueule » sur l'interdiction des passoires thermiques

Tout a pourtant mal commencé le matin du 14 mars. Après avoir inauguré le salon avec les maires (LR et Horizons) de Cannes et de Nice, David Lisnard et Christian Estrosi, la présidente (LR) de Choose Paris Region Alexandra Dublanche et le président (LR) de la métropole du Grand Paris Patrick Ollier, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, ne s'arrête pas sous la tente de la région-capitale. De quoi agacer prodigieusement certaines collectivités présentes.

« C'est scandaleux ! », s'époumonent, après coup, des hommes de l'ombre.

Un « coup de gueule » aussi poussé par Jean-Philippe Dugoin-Clément. Le vice-président (UDI) du conseil régional d'Ile-de-France chargé du Logement alerte sur l'échéancier d'interdiction à la location des passoires thermiques. En 2025, 2028 et 2034, les logements classés G, F et E seront retirés du marché.

« Le principe est vertueux, mais le calendrier est irréaliste. La moitié du parc immobilier francilien ne sera plus louable dans neuf ans. Cela risque de renforcer les marchands de sommeil... », avertit le maire de Mennecy (Essonne).

Un constat partagé par la présidente de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis). Un mois après la réunion entre le gouvernement et les banques sur la rénovation des copropriétés, elle plaide pour que les travaux soient obligatoires en cas de vente du logement ou de changement de locataire. A défaut de vote en assemblée générale, « ça renvoie à l'Etat l'obligation de financer », estime-t-elle. Dès le 23 mars, elle a ainsi une réunion avec la Commission nationale de concertation en matière locative sur les dérogations à l'interdiction de louer, et ce juste après un rendez-vous, le 21, avec les ministres concernés sur l'attrition des logements en zones tendues.

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Paris, l'exemple emblématique de la crise du logement

Paris demeure l'exemple emblématique de ce décalage entre la demande et l'offre, mais, pour l'heure, la capitale se concentre sur la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques.

« Dans cette perspective, nous avons tous intérêt à raconter la même histoire, mais nous dégageons déjà une image d'optimisme. Tous les investisseurs internationaux sentent que ça se passe à Paris. Rien qu'en 2022, les investissements directs étrangers ont crû de 7% ! » s'enthousiasme Lionel Grotto, le directeur général de Choose Paris Region, l'agence d'attractivité du conseil régional.

En fin d'après-midi, c'est la métropole du Grand Paris qui capte la lumière du soleil couchant. L'intercommunalité aux 131 communes dévoile les huit premiers lauréats de son troisième concours d'architecture et d'urbanisme « Inventons ». Alors que l'habitat post-Covid peine à sortir de terre, plombé par l'inflation et la remontée des taux d'intérêt, les maires et les promoteurs présents dans le palais des festivals affichent leur optimisme.

« Nous devons survivre face aux bourrasques dans la compétition des égoïsmes et continuer à être au service de la population », lâche son président (LR) Patrick Ollier.

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« Le problème de la pénurie se pose dans de nombreux pays »

« La crise du logement n'est pas que française », rétorque Geoffroy Cerez, directeur de la levée de fonds du gestionnaire d'actifs Patrizia pour la France, la Belgique, la Suisse romande, l'Italie, le Portugal et l'Espagne.

Sur les 60 milliards d'euros en portefeuille, 50 le sont dans l'immobilier dont 18 dans le résidentiel. « Nous sommes conscients qu'il faut créer de nouveaux logements. Le problème de la pénurie se pose dans de nombreux pays », insiste le quadragénaire.

La nuit tombée, le directeur général de Groupama Immobilier, Eric Donnet, se félicite, lui, de son coup de communication sur « l'immeuble le plus nul de Paris » lancé au Salon de l'immobilier d'entreprise (Simi) de décembre. L'idée est simple : plutôt de démolir un immeuble Art déco de 1928 de 7.000 m², libéré par l'Autorité des marchés financiers en mai, il cherche un ou plusieurs preneurs qui accepteraient de le transformer de l'intérieur.

« Plusieurs programmations sont possibles. Nous pensons faire notre choix d'ici à fin juin avant de déposer le permis de construire avant la fin de l'année », confie-t-il le promoteur.

Le bois est roi

Le lendemain, le 15 mars, la colère des acteurs du Grand Paris est retombée. Le ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein a promis de démarrer sa visite par la tente de la région-capitale. A l'heure dite, l'ex-maire (Divers gauche) de Clichy-sous-Bois prend le temps de regarder les maquettes du Centre aquatique olympique, du Village olympique et du Village des médias, où le bois est roi.

Un matériau sur lequel misent Guillaume Poitrinal et Philippe Zivkovic depuis 2014. Après avoir revendu, en février, Woodeum (2.000 logements en travaux, 275 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022), les deux associés se recentrent sur les bureaux avec leur société WO2 (350.000 m² de bureaux, dont 250.000 en travaux et 100.000 lancés en 2023).

« Avec les confinements successifs qui ont bouleversé la psychologie des gens, les équipes ne veulent revenir au bureau que si ce dernier est plus confortable et s'ils sont ''mieux'' logés que chez eux », assure ainsi Philippe Zivkovic.

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Le logement et les bureaux représentent d'ailleurs trois-quarts des actifs sous gestion de La Française Real Estate Managers (32 milliards d'euros en portefeuille). Dans le cadre d'une « stratégie de différenciation » assumée, le président Philippe Depoux et ses équipes ont ainsi mené un sondage auprès de leurs locataires. Sans surprise, ces derniers souhaitent des immeubles plus verts, avec plus de souplesse pour leur bail et davantage de services.

« Plus ils sont excentrés, plus ils en demandent », explique le dirigeant de la filiale du Crédit Mutuel Nord-Europe.

Les petites et villes moyennes suscitent l'appétit des investisseurs

D'autant qu'en parallèle, la zone dense parisienne retrouve des couleurs. Le promoteur de tours à énergie positive, Elithis, originaire de Dijon, s'apprête à livrer des immeubles à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et dans de nombreuses villes moyennes comme Le Havre, Montévrain (Seine-et-Marne) ou Nancy. Un terrain de chasse également prisé par le leader mondial du coworking IWG qui s'apprête à ouvrir des centres à Brest, Carquefou, Clermont, Dax, Perpignan ou encore à Poitiers.

Des communes de taille intermédiaire qui suscitent l'appétit des investisseurs. Les quatre associés de Mindston Capital, agréés par l'Autorité des marchés financiers, entendent lever 100 millions d'euros pour financer des murs et des fonds de commerce en Bretagne. En partenariat avec un gestionnaire régional, ils entendent surfer sur le boom du tourisme local (+7% en 2022 par rapport à 2019) en se constituant un portefeuille d'hôtels de plus ou moins cinquante chambres.

Des financiers qui, en revanche, ne suivent plus les promoteurs immobiliers, selon Hervé Legros, PDG d'Alila.

« Les banques lâchent le secteur tant est si bien que certains retirent des permis de construire », relève le professionnel lyonnais.
« Beaucoup ont levé de la dette pour financer leur croissance, mais ils vont se retrouver avec des murs de dette en 2023-2024 », prévient-il.

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Les data centers, le nouvel eldorado de l'immobilier d'entreprise ?

A défaut d'habitats neufs, ils se reconvertiront peut-être dans l'immobilier d'entreprise. Actuellement, 4 à 5 opérateurs de data centers se positionnent sur le marché français.

« Ce sont des opérations de dizaines de milliers de mètres carrés à plusieurs centaines de millions d'euros », témoigne l'avocate Elisa Bocianowski, associée chez Simmons & Simmons.

Et c'est bien connu : plus le foncier est rare, plus il est cher. Une spéculation qui n'est près de s'arrêter : l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols à horizon 2050 est dans toutes les têtes. Seul Vinci Immobilier semble avoir pris conscience de cette problématique. La filiale du géant du BTP a déjà acquis 50 usines-à-gaz à Engie, qu'elle dépollue avec Brownfield avant d'y monter des opérations immobilières.

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