C'est une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron qui n'est toujours pas digérée par les maires cinq ans après : la suppression de la taxe d'habitation. Le président de la République s'est toujours fait l'avocat d'une compensation à l'euro près, mais les élus locaux auraient aimé conserver ce lien fiscal avec l'ensemble de leurs administrés. A date, il ne leur reste en effet plus qu'un seul levier: la taxe foncière, dont s'acquittent seulement les propriétaires immobiliers.
Une taxe qui va mécaniquement augmenter
Sauf qu'entre le coût de la crise sanitaire, le dégel du point d'indice des fonctionnaires et l'explosion des prix de l'énergie, les maires, qui doivent maintenir leurs services publics et investir dans la transition écologique, n'ont pas d'autre choix que d'augmenter ladite taxe foncière. Première à annoncer une hausse de plus de 50% le 7 novembre 2022, la maire (PS) de Paris a été attaquée par ses oppositions, car elle avait promis qu'elle réhausserait pas cet impôt. Anne Hidalgo s'est justifiée en expliquant que les propriétaires étaient minoritaires au sein de la capitale.
De fait, cette taxe va mécaniquement augmenter de 7,1% en 2023 dans toutes les communes. Et ce du fait d'une revalorisation des valeurs locatives cadastrales calculée par l'Insee à partir des indices des prix à la consommation entre novembre 2021 et novembre 2022. Les maires peuvent toujours dire « C'est l'Etat » et baisser leur taux pour ne pas le répercuter sur leur population, mais « c'est hypocrite », persifle Bertrand Hauchecorne, maire (Sans étiquette) de Mareau-aux-Prés (1.250 habitants, Loiret) et vice-président chargé des Finances à l'association des maires ruraux (AMRF).
Un bouclier tarifaire pour 30.000 communes
D'autant que les villages comme le sien, c'est-à-dire comptant moins de dix agents, réalisant moins de 2 millions d'euros de recettes et éligibles aux tarifs réglementés du gaz et de l'électricité, bénéficieront encore, en 2023, d'un bouclier tarifaire sur la base d'une hausse des tarifs de 15%. D'après le gouvernement, 30.000 sur 34.900 communes sont concernées. « Je n'ai jamais mis le nez dans les comptes de mes collègues, mais j'observe que ceux qui défendent l'autonomie fiscale oublient que ça signifie augmenter les impôts », lâche un président d'intercommunalité.
Les petites villes s'affirment, elles, moins bien loties. Maire (PS) de Boussy-Saint-Antoine (8.000 résidents, Essonne), Romain Colas va certes récupérer 250.000 euros de recettes supplémentaires avec la revalorisation automatique de la taxe foncière, mais cela épongera à peine sa facture de gaz qui va bondir de 300%, culminant à 480.000 euros en 2023. « C'est positif pour nos finances, mais insuffisant face à l'explosion des dépenses énergétiques. Je peux toujours jouer sur la politique tarifaire des équipements publics, mais nos concitoyens subissent déjà l'inflation... », confie l'édile.
Les maires n'ont plus le choix
Et ce dans un contexte où les communes débattent, d'ici à la fin janvier, de leur orientation budgétaire, avant de voter, entre fin mars et mi-avril, un budget à l'équilibre entre dépenses et recettes. « Nos marges de manœuvre se sont réduites comme peau de chagrin. Ce n'est donc pas par gaieté de cœur que nous utilisons ce dernier levier fiscal qui, de surcroît, ne porte que sur une catégorie de contribuables », souligne Antoine Homé, maire (PS) de Wittenheim et co-président de la commission Finances de l'association des maires de France (AMF).
En réalité, les maires n'ont plus le choix. Revoir à la hausse leurs recettes permet de compenser leurs dépenses exceptionnelles et d'apporter de l'autofinancement supplémentaire. Pour leurs prêteurs, et donc pour le financement de leurs investissements, c'est même un gage de confiance. « Il faut par ailleurs couvrir les baisses de droit de mutation à titre onéreux (DMTO, « frais de notaire », qui vont diminuer avec la baisse des transactions immobilières, Ndlr) », décrypte Luc-Alain Vervisch, directeur des études Collectivités locales à la Banque postale.
Lyon va augmenter son taux d'imposition de 9%
A Lyon, la hausse des coûts de l'énergie et l'inflation ont engendré 32 millions d'euros de dépenses supplémentaires. Malgré le plan de sobriété énergétique mis en place, le maire de Lyon, Grégory Doucet, évoquait déjà fin 2022 la possibilité d'augmenter les impôts locaux pour pallier cette hausse des dépenses. Ce lundi, la Ville a franchi un cap supplémentaire en annonçant l'augmentation de son taux d'imposition de 9% (qui passera ainsi de 29,26% à 31,89 % en 2023). Soit une moyenne de 5 euros de plus par mois, selon les calculs de la ville.
Une décision qui sera votée lors du prochain conseil municipal, le 19 janvier. La Ville justifie cette décision par sa volonté de continuer la « transformation écologique et solidaire du territoire » et de maintenir l'intégralité de son service public. Cette mesure ne devrait concerner « que 30% des Lyonnais » et engage une possibilité de plafonnement pour les ménages les plus modestes, tout en ouvrant la voie à une nouvelle recette d'environ 27 millions d'euros.
Lors des vœux à la presse, Grégory Doucet a aussi indiqué que cette mesure allait principalement impacter les gros investisseurs, rappelant que les ménages propriétaires de 5 logements ou plus possèdent 57 % des logements en location situés dans Lyon. De son côté, l'UNPI Rhône pointe le fait que les exécutifs écologistes à la Ville et à la Métropole ont enchaîné les mesures (encadrement des loyers, du complément de loyers ...) qui incombent aux propriétaires.
« On ne s'oppose pas sur les questions de fond, comme de développer les immeubles verts ou d'augmenter le pouvoir d'achat de locataires... Mais les propriétaires ne peuvent pas tout financer », affirme Sylvain Grataloup, son président.
A Grenoble, le débat promet d'être explosif
A Grenoble, qui se positionne quant à elle comme l'une des villes au taux d'imposition les plus élevés de France (52,7 %, soit 1.380 euros annuels pour un logement de 70m2), le débat n'est pas encore tranché, mais il promet d'être explosif en ce début d'année.
Tout avait commencé par une mise en garde du maire écologiste Eric Piolle, qui avait annoncé, en pleine crise énergétique, projeter une hausse de 15% à 25% de la taxe foncière en octobre 2022 (par exemple 260 euros annuels de plus pour un appartement de 3 à 4 pièces de 63 m²).
Objectif : « amplifier la transition écologique, maintenir les services publics locaux largement menacés par la conjoncture et renforcer les mesures de justice sociale, faire face à la hausse des dépenses ».
La Ville de Grenoble rappelait en effet qu'elle devait trouver 18 millions d'euros supplémentaires pour boucler son budget 2023. Elle avait alors esquissé trois premiers scénarios, conditionnés au contenu du Projet de loi de finances (PLF) du gouvernement et a reporté le vote de son budget de décembre à mars prochain pour trancher.
Mais les échanges ont déjà été vifs avec l'opposition, qui déplore « une année 2022 qui aura battu tous les records d'endettement », tandis que l'UNPI 38 demande à la fois « un plafonnement des taxes à l'échelle nationale », et une « récupération du montant de la taxe foncière auprès des occupants des logements ».
« Grenoble figure déjà parmi les 50 villes les plus peuplées, mais avec le 4e taux de taxe foncière le plus élevé, indique le président de l'UNPI 38, Jérôme Aubreton. Si on augmente encore, la question va être de se demander quel est le seuil de tolérance dans une ville, où le montant de la taxe représente déjà pour certains biens 3 mensualités de location ? ».
À Bordeaux, toutes les options restent ouvertes
Avec une hausse de +25% en dix ans pour atteindre 1.541 euros en moyenne, Bordeaux figure déjà parmi la poignée de grandes villes dotées des taxes foncières les plus élevées, selon Meilleurtaux. Après son élection en 2020, la majorité écologiste menée par Pierre Hurmic a donc opté pour la stabilité fiscale en 2021 puis, à nouveau, en 2022. Mais avec la fin de la taxe d'habitation et la flambée des coûts de l'énergie, la question se pose de manière bien plus accrue.
En septembre dernier, l'élu vert indiquait vouloir mesurer le soutien financier de l'Etat aux collectivités avant de trancher entre une hausse et une stabilité de la taxe foncière en 2023. En face, l'opposition de droite et du centre, qui avait baissé d'un point la taxe foncière en 2019 à la veille des élections municipales, a déjà annoncé qu'elle s'opposerait à toute hausse d'impôts.
Après de fortes hausses, Nantes veut stabiliser sa taxe foncière
Selon l'Observatoire national des taxes foncières de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), la ville de Nantes se situe au 6ème rang des villes françaises enregistrant les plus fortes augmentations, avec un taux de taxe foncière atteignant 60,7% en 2022 (taxe d'enlèvement des ordures ménagères et taxe diverses comprises). Pour la seule commune de Nantes, le taux passe de 42,5% à 46,3%. Entre 2011 et 2021, la taxe foncière des Nantais a progressé de 27,2%. Et de plus 11,5% entre 2021 et 2022.
La municipalité justifie cette hausse au regard d'un budget d'investissement voté au regard de l'évolution démographique (+9.000 habitants par an sur la métropole), des besoins de créations et de rénovation des établissements et services scolaires, de travaux liés à la transition énergétique, de la sécurité... du désengagement de l'Etat, et pour faire face à l'inflation. 280 millions d'euros seraient programmés sur les bâtiments scolaires.
Entre 2021 et 2022, les recettes municipales ont progressé de 8,2% (462,6 millions d'euros) tandis que les impôts des Nantais ont augmenté de +12,5% (251,3 m€). La hausse de la taxe foncière votée en 2022 devrait en rester là jusqu'à la fin du mandat, selon la municipalité.
Une hausse plus modérée en Bretagne qui pourrait s'emballer en 2023
En Bretagne, la hausse de taxe foncière entre 2021 et 2022 a été globalement moins forte que dans d'autres villes françaises. Alors que l'Observatoire des taxes foncières de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) observe que l'augmentation moyenne sur 200 villes françaises sur un an s'élève à 4,7 %, les villes bretonnes mentionnés dans le baromètre montrent une évolution de taxe, avec majoration légale des valeurs locatives, inférieure à la moyenne nationale. Y compris dans des zones littorales à forte tension immobilière : 4,5 % à Vannes (Morbihan), 4,6% à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), 3,3% à Rennes, Lorient, Quimper et Saint-Brieuc, 4,2% à Brest.
Pour autant, en comparaison à Rennes et Vannes, où le taux de taxe foncière s'établit respectivement à 47,48% et 34,15% celui de Lorient, à 48,62%, apparaît plutôt élevé. Il s'agit d'un héritage du passé quand après la Libération et dans le cadre de la reconstruction de la ville, l'État exonérait de taxe foncière pendant 25 ans les nouveaux habitants. Le maire actuel a donc pris l'engagement de ne pas augmenter la taxe foncière durant toute la durée de son mandat.
Avec l'inflation sur laquelle est calculée la majoration légale des valeurs locatives et qui s'établira à 7% en 2023, la hausse des taux de taxe foncière pourrait cependant devenir plus, voire très, significative selon les communes. Confrontées à la hausse des prix de l'énergie, les collectivités cherchent à boucler leur budget grâce à de nouvelles recettes fiscales. A Lamballe Terre et Mer, le taux de taxe foncière en 2023 va ainsi augmenter de 150% (de 0,63 % à 1,63 %), ce qui représente une augmentation de 47 euros en moyenne pour des propriétaires au profil somme toute modeste.
À Rennes, où entre 2016 et 2021, l'augmentation du taux de la taxe foncière s'est élevée à 9,8%, la maire Nathalie Appéré a récemment indiqué qu'elle s'attendait à des dépenses en forte augmentation cette année et à une facture énergétique en hausse de 24 millions d'euros en 2023.
Au-delà de la taxe foncière, certains élus bretons pourraient aussi envisager d'accroître la taxe sur les résidences secondaires, qui, par exemple, représentent à date 26% du parc immobilier de Saint-Malo. Or ce pourcentage devrait encore grimper compte tenu de la typologie des ventes immobilières indique la mairie.
A Montpellier, « c'est le bailleur qui en fait les frais »
Selon les données de L'observatoire national des taxes foncières de l'Union nationale des propriétaires immobiliers, publiées en octobre 2022, Montpellier affichait en 2021 un taux de taxe foncière de 53,44% (hors taxe d'enlèvement des ordures ménagères, TEOM), soit la 8e ville la plus chère des 50 villes les plus peuplées de France (pour lesquelles la moyenne s'élève à 43,13%, contre une moyenne nationale de 39,43%). Si on prend en compte la TEOM, ce taux passe à 65,79% à Montpellier et la propulse en 2e position des villes les plus chères, derrière Le Havre (66,97%) et devant Nîmes (65,64%) et Angers (65,52%).
Entre 2011 et 2021, ce taux a augmenté de 13,7% hors TEOM et de 15,4% avec la TEOM, ce qui place Montpellier en bas du tableau des augmentations dans les 50 villes les plus peuplées (où la moyenne est de 21,7% contre 24,9% sur tout le territoire). Entre 2021 et 2022, la taxe foncière a augmenté de 3,4% (hors TEOM, celle-ci étant restée stable) à Montpellier, contre 4,7% dans les 200 villes les plus peuplées.
« Selon nos calculs, pour certains des appartements, il faut désormais environ trois mois de location pour payer cette taxe, souligne à La Tribune Nina Baudière-Servat, présidente de l'UNPI de l'Hérault.
C'est bien beau d'avoir supprimer la taxe d'habitation, mais aujourd'hui, c'est le bailleur qui en fait les frais ! Avec les obligations de rénovation énergétique qui viennent s'ajouter, les contraintes sont de plus en plus importantes pour les propriétaires.
Beaucoup de biens vont être mis en vente car les charges sont trop importantes et Montpellier n'est plus une zone attractive, au profit de villes comme Béziers... Et ce qui nous préoccupe, c'est que d'après le dernier Copil de l'Observatoire des loyers, l'augmentation du taux de taxe foncière va être plus élevé en 2023. »
Sollicitée, la collectivité n'a pas (encore) confirmé ces informations.
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