
Acheter une maison en versant une rente à vie au vendeur : méconnue, souvent raillée pour avoir été caricaturée par le septième art et la littérature, ce type de vente immobilière connaît pourtant un vrai regain d'intérêt depuis la crise sanitaire et les différents coups durs qui ont suivi comme la guerre en Ukraine, la crise énergétique et l'inflation. « Il y a eu un véritable basculement depuis deux ans », constate en effet Sophie Richard, fondatrice, en 2017, de l'enseigne Viagimmo devenue en début d'année, le premier réseau de franchises dédié à la vente en viager, avec une trentaine d'agences réparties sur le territoire national et l'ambition d'ouvrir huit à dix nouvelles agences par an pour répondre à une croissance de 30% depuis la crise sanitaire. « Le regard des héritiers, des investisseurs et des médias a évolué. Quand je vais sur un plateau télé, je n'ai plus le sentiment de monter sur un ring... Si bien, qu'aujourd'hui, on ne parle plus du viager comme un outil pour déshériter ses enfants ou faire un pari sur la mort, mais comme un moyen de répondre aux problématiques de la réforme des retraites, de la Silver économie ou de l'accession à la propriété pour les jeunes générations. Or, le viager peut être une réponse aux diverses crises sociétales », constate l'autrice de plusieurs « doctrines » visant à faire évoluer le métier, désireuse de dépoussiérer une profession morcelée.
Le viager, « un sujet ultra moderne »
Selon la dirigeante de Viagimmo, l'appétence pour le viager est apparue au moment des Gilets Jaunes « lorsque les gens ont pris conscience que le système de retraite par répartition arrivait à bout de souffle », estime-t-elle. Pour elle, dans un pays à fort taux de propriété où l'on compte 60% de résidences principales, le viager peut être assimilé à une retraite complémentaire. « C'est un troc entre particuliers. Il permet de monétiser le capital immobilier en revenu complémentaire pour se constituer un pécule indispensable à la retraite. Le viager est un sujet ultra moderne, au cœur de l'actualité politique ! », défend la juriste en droit de l'immobilier, reconvertie il y cinq ans dans la défense et dans l'encadrement de la vente en viager. Elle n'exclut pas d'ailleurs de s'engager dans un comité consultatif lié à la réforme des retraites « pour instituer le viager comme une des solutions pour sécuriser sa retraite ». En 2012, déjà, après dix ans de droit, c'est le goût pour la gymnastique intellectuelle -dans les dossiers- et les rapports humains qui l'avait amené à réfléchir et modéliser un concept d'agences immobilières vouées au viager, avec, pour se démarquer de la concurrence des mandataires et autres commerciaux, la création d'agences physiques. « Pour des raisons de proximité, aussi. Le viager, ce sont des tranches de vie que l'on accompagne. La clientèle est moins volatile que dans les agences immobilières traditionnelles », dit-elle.
Un concept en franchise pour professionnaliser le viager
La première agence, lancée il y a dix ans aux Sables d'Olonne, siège de l'entreprise, deviendra un site pilote pour formaliser les actes, développer un réseau d'une trentaine d'agences, un centre de formation, concevoir un manuel opératoire, éditer un guide du viager... pour finalement basculer vers la franchise en 2022. Un format plus propice pour perpétuer le modèle et le développement du réseau, mené sans levée de fonds. Viagimmo qui assure avoir atteint l'équilibre et la rentabilité, dès la deuxième année, aurait depuis reçu plus de sept-cents demandes d'installation. « L'objectif est d'ouvrir huit à dix agences par an pour atteindre, à terme, un réseau d'une centaine d'agences », précise Sophie Richard, qui voudrait que tout à chacun puisse faire appel à « un viagériste de famille comme on peut avoir un médecin ou un notaire de famille ». Si le mouvement s'accélère, le marché reste marginal. Pour peu qu'elles existent, faute d'une représentation nationale, les données restent approximatives. Les uns estiment que les ventes en viager représentent 4.000 à 5.000 transactions par an, certains en comptabilisent 8.000 à 9.000, quand d'autres évoquent 1% des 1,2 million de transactions immobilières annuelles (FNAIM 2021). Quoi qu'il en soit, la tendance est là.
Les primo-accédants et les investisseurs
Qui y a recours ? Si les plus célèbres s'appellent Charles de Gaulle, Giscard d'Estaing, François Hollande ou Ségolène Royal, « depuis la crise sanitaire, face à un marché de l'immobilier dont les prix ont augmenté de 111% en vingt ans, les enfants s'y intéressent de de plus en plus », remarque la fondatrice de Viagimmo, notamment dans le cas d'un « viager libre » (15% des transactions), qui permet à l'acquéreur d'emménager dans le logement dès la signature de la vente ou de le mettre en location, sans avoir recours à l'emprunt. « C'est une formule recherchée par les primo-accédants et les investisseurs pour se constituer un patrimoine à un prix intéressant en évitant les frais bancaires », note Sophie Richard. C'est un des intérêts économiques de cette formule. Le vendeur bénéficie, lui, de cet apport, nommé, « bouquet », d'une rente et l'assurance de percevoir chaque mois des revenus complémentaires pour financer, par exemple, une entrée à l'Ehpad.
Parler d'une même voix
Mais, c'est le dispositif de « viager occupé » où le vendeur reste vivre dans son logement le temps voulu qui constitue l'essentiel du marché (85% à 90% des ventes) opéré par des vendeurs âgés en moyenne de 76 ans et des acquéreurs de 49 ans. Avec, là encore, des avantages pour le vendeur (rente, financement d'une éventuelle dépendance, organisation de la succession) et l'acquéreur qui n'a pas de revenus fonciers à déclarer et bénéficie d'un prix d'achat réduit grâce à une décote d'occupation calculée en fonction de l'âge, du sexe, et de l'espérance de vie du vendeur. «Dans le cas de l'achat d'un bien d'une valeur vénale de 350.000 euros à une femme de 71 ans, la décote d'occupation, tenant compte d'une espérance de vie statistique de dix-neuf ans, sera de 54%. Soit un bouquet de 50.000 euros à verser à la signature avec une rente viagère de 554 euros par mois », explique Sophie Richard. Si nécessaire, cette estimation prend en compte le coût d'amélioration de l'habitat dans le cadre de la rénovation énergétique. Dans 80% des cas, cela concerne des résidences principales (60% de maisons, 40% d'appartements) pour 20% de résidences secondaires ou locatives. « Mais tout peut être cédé en viager. Des maisons, des appartements, des copropriétés, des garages, des jardins... C'est un moyen d'investir dans la pierre en faisant circuler l'argent de part et d'autre. Il ne s'agit pas de profits sur la mort, mais d'une forme d'économie circulaire qui répond aux enjeux de la RSE », conçoit Sophie Richard, qui, approchée par des acteurs étrangers, n'exclut pas d'exporter son concept hors des frontières nationales à moyen terme. Sollicitée par des confrères, la dirigeante de Viagimmo réfléchit aussi à la création d'une fédération nationale du viager. Cette structure permettrait, d'une part, de s'attaquer aux nombreux vides juridiques rencontrés par le viager, dont les règles datent du code Napoléon, et d'autre part, de rassembler les experts « viagéristes » pour parler d'une même voix, à un grand public de plus en plus à l'écoute.
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