"Le marché de la santé animale est déraisonnable" (PDG de Ceva)

Lors de la présentation des résultats annuels du groupe, le PDG de Ceva Marc Prikazsky a critiqué la ligne suivie par les grands groupes de santé animale cotés en Bourse. Une manière d'accréditer la stratégie de la société girondine, orientée vers les petites acquisitions.
Jean-Yves Paillé
"Quand vous êtes coté en Bourse, la société est prise par la valorisation de l'action. Personnellement, je ne veux pas être pris par une logique privilégiant court terme, je m'inscris sur du très long terme", explique Marc Prikazsky.

Depuis le rachat acté de la filiale santé animale Merial de Sanofi par Boehringer Ingelheim en janvier, Ceva est le numéro 1 français du secteur. Et ce, avec un chiffre d'affaires de 912 millions d'euros en 2016, et une croissance de 10% à taux de change constants, a annoncé le groupe, jeudi 9 février. Il devance de quelques dizaines de millions d'euros son principal concurrent français, Virbac. Ceva revendique désormais la 6e place mondiale (le groupe se classait à la 8e place mondiale en 2015) et compte rentrer dans le top 5 mondial en 2020. S'appuyant sur sa bonne forme financière, la société girondine a annoncé 90 millions d'euros d'investissements dans ses outils industriels, dont 36 millions d'euros en France.

Et tout cela, sans passer par la case introduction en Bourse. "Beaucoup de patrons en rêve, mais être coté est la dernière chose que je ferai. Nous avons la taille suffisante pour grossir par nous-mêmes", fait valoir Marc Prikazsky, le PDG du groupe. Il s'est alors lancé dans une critique des marchés boursiers.

"Quand vous êtes coté en Bourse, à un moment donné, vous n'avancez plus sur votre  stratégie et ce que vous voulez mener sur le long terme. Vous avancez en fonction de ce que les actionnaires multiples, les analystes, vont entendre ou veulent entendre. Ce n'est que ça. Il faut alors faire beaucoup pour aller vite. La société est prise par la valorisation de l'action. Personnellement, je ne veux pas être pris par une logique privilégiant le court terme, je m'inscris sur du très long terme."

Si Ceva n'est pas coté en Bourse, la société dépend quand même de plusieurs actionnaires. Mais pour le PDG, le fait que le capital est détenu aux deux tiers par les salariés, et que les actionnaires changent tous les sept ans, permet d'assurer une stratégie sur le long terme.

"Un jour le secteur va se consolider"

Reprenant sa critique des marchés boursiers, le PDG estime que les sociétés cotées en Bourse ont une forte propension à dépenser trop d'argent pour des acquisitions.

"Par besoin de communication, ces groupes cotés sont capables de mettre la main sur des sociétés à des prix fous. Il est déraisonnable d'acheter des entreprises pour 20 à30 fois leur EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôt et dépréciations, NDLR)."

Une critique à peine voilée de quelques transactions importantes dans le secteur. Le géant américain Zoetis, par exemple, a racheté en 2015 le spécialiste de la santé en aquaculture Pharmaq pour 765 millions de dollars, soit près de dix fois son EBITDA.

Plus globalement, le PDG du groupe français juge que "le marché de la santé animale est déraisonnable. Des sociétés sont survalorisées, avec les promesses de fortes croissances dans le secteur (les analystes évoquent une croissance d'environ 7% par an). Cela peut créer des bulles dans le secteur". Et de prédire: "Un jour, le secteur va se consolider, et il deviendra raisonnable."

Une trentaine d'acquisitions en 15 ans

Ceva assure déjà avoir intégré cette logique consolidation du secteur, et mène une stratégie de "grignotage" pour croître. En 15 ans d'existence, il a réalisé une trentaine de "petites" acquisitions, et a multiplié sa taille par sept. Le groupe prévoit de nouvelles acquisitions en 2017, notamment en Asie.

S'il ne dévoile pas le montant de ses rachats, Ceva assure y mettre un prix bas, contrairement aux acquisitions réalisées par certains de ses concurrents cotés en Bourse. Pour les petites acquisitions, il utilise ses fonds propres, et pour les plus grandes il a recours à la dette bancaire, "facile à obtenir", selon le PDG.

Dans le détail, la stratégie de Ceva consiste à racheter des sociétés pour obtenir une taille critique. Il leur promet une continuité dans leurs activités historiques, et y ajoute ses autres produits à leurs activités. "Des acteurs viennent même à nous, car nous leur garantissons une certaine indépendance",

Si Ceva privilégie des "petites" acquisitions, c'est parce que "les grosses acquisitions sont compliquées", selon le PDG. "Effectuer un rachat pour doubler de taille et pour ne plus faire de croissance n'est pas possible. Lorsqu'une grosse acquisition est réalisée, on doit avant tout faire en sorte que le système fonctionne. Avec les petites acquisitions, on peut mieux travailler sur le business et le développement".

Intégrer le top 5 de la santé animale ne sera pas aisé

Mais Ceva peut-il rentrer dans le top 5 avec cette stratégie de grignotage, alors qu'il fait face à des concurrents, tous cotés en Bourse? Quatre acteurs semblent indéboulonnables, excepté s'ils décident de céder des actifs. Le numéro 1, Zoetis  jouit d'une capitalisation boursière au plus haut (plus de 27 milliards de dollars) et d'un chiffre d'affaires annuel de 4,4 milliards d'euros. Boehringer Ingelheim vise la première place mondiale depuis son rachat de Merial avec lequel il cumule 3,8 milliards d'euros de revenus. Ensuite vient Merck Animal Health, qui a généré 3,45 milliards de dollars en 2015 et la partie santé animale d'Eli Lilly (3,16 milliards de dollars de revenus en 2016).

Deux autres concurrents sont à la portée du laboratoire français: Idexx laboratories avec 1,77 milliard de dollars (1,66 milliard d'euros) de chiffre d'affaires l'année dernière, soit une croissance de 11% et la partie santé animale de Bayer. Cette dernière a généré 1,49 milliard de dollars (1.39 milliard d'euros) de chiffre d'affaires en 2015, avec une croissance de 13%.

In fine, Ceva est pour le moment le 7e acteur mondial."Une partie des acquisitions ne sont pas comptées dans notre chiffre d'affaires 2016", explique Marc Prikazsky. Il compte sur ses récentes acquisitions, dont celles des produits de Merial dédiée aux porcins, notamment. Mais pour rentrer dans le top 5, Ceva devra mettre les bouchées doubles.

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 09/02/2017 à 19:15
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"Quand vous êtes coté en Bourse, à un moment donné, vous n'avancez plus sur votre stratégie et ce que vous voulez mener sur le long terme. Vous avancez en fonction de ce que les actionnaires multiples, les analystes, vont entendre ou veulent entendr...

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