Twitter, un "nid" à conflits d'intérêts entre médecins et labos

Une étude révèle que de nombreux médecins promeuvent des produits thérapeutiques, notamment en oncologie, alors qu'ils reçoivent de l'argent de certains labos pharmaceutiques. Une tendance qui va de pair avec l'accroissement de la présence des patients et de l'industrie du médicament sur les réseaux sociaux.
Jean-Yves Paillé
Les patients actifs sur Twitter et atteints d'un cancer partagent leur expérience, s'informent mais essaient aussi de se renseigner sur les essais cliniques et nouveaux médicaments disponibles.

Des médecins feraient-ils de Twitter un outil de promotion de médicaments ? C'est la question épineuse posée dans une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association, mardi 17 janvier. Cette dernière s'est intéressée aux contenus des comptes Twitter de plusieurs professionnels de santé américains. Ils utilisent le réseau social pour "communiquer, interpréter, éclairer, engager des discussions", et 60% de leurs posts évoquent des questions de santé. Et 14% des tweets portent sur des produits ou des services commerciaux.

L'étude, menée du 1er juin au 1er août, s'intéresse en particulier au cas des hématologistes-oncologistes, des professionnels de santé spécialisés dans différents cancers. Les chercheurs se sont focalisés sur 634 de ces professionnels de santé (4% des spécialistes de ce type présents aux Etats-Unis), plutôt actifs sur le réseau social.

504 (sur 634) professionnels de santé en situation de conflit d'intérêts

Elle conclut que 504 d'entre eux ont des conflits d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques. En clair, ces professionnels de santé ont loué les mérites de certains médicaments, alors qu'ils recevaient de l'argent des industriels. Pour arriver à une telle conclusion, les chercheurs ont épluché les tweets, et vérifié sur le site projects.propublica.org si leurs auteurs percevaient de l'argent des laboratoires pharmaceutiques. Les 504 hématologistes-oncologistes ont perçu directement plus de 100 dollars, et 44% d'entre eux ont reçu 1.000 dollars et plus. Et ce, sans compter les sommes d'argent dédiées à la recherche contre le cancer, provenant souvent des industriels du médicament.

"Un concentré de conflits d'intérêts chez les cancérologues".

L'étude ne donne pas les noms des comptes Twitter concernés, mais elle dépeint le type de messages publiés. Cas typique: l'annonce de l'arrivée d'une nouvelle molécule autorisé par l'Agence américaine des médicaments, saluée vivement par un message tout en superlatifs. Pour le docteur Vinay Prasad, un des auteurs de l'étude qui est lui-même hématologiste-oncologiste, le réseau social à l'oiseau bleu est "un concentré de conflits d'intérêts chez les cancérologues".

L'étude ne dit pas non plus si les laboratoires demandent expressément à certains professionnels de santé de promouvoir leurs produits. Mais elle montre un phénomène qui concorde avec l'importance accrue accordés par les patients aux réseaux sociaux. Ces derniers utilisent Twitter à la recherche d'une solution à leur pathologie, ou pour confier et partager leur vécu de la maladie. Ils sont sensibles aux avis des hématologistes-oncologistes actifs sur le réseau social.

Si Twitter éprouve des difficultés pour augmenter le nombre de ses abonnés, les études soulignent le fait que les patients, leur famille et amis sont de plus en plus nombreux à être actifs sur le réseau social à l'oiseau bleu, et à se regrouper en communautés.

Ces derniers cherchent par de nombreux biais, y compris via Twitter, des traitements, voire des essais cliniques auxquels ils pourraient participer.  Ce thème était par exemple évoqué dans 18% des tweets recensés par la revue Jama Oncology dans le cadre d'une étude de 2016 sur les cancers du poumons.

Les réseaux sociaux, un outil important pour l'industrie pharmaceutique

Au vu de la présence accrue des patients sur les réseaux sociaux, les laboratoires pharmaceutiques ont donc tout intérêt à s'y montrer de plus en plus actifs. Pour promouvoir leur produit, tenter de se rapprocher des communautés de patients ou suivre le comportement de ces derniers.

"Les réseaux sociaux intéressent l'industrie pharmaceutique pour le "social listening". C'est-à-dire l'analyse de ce qui se dit sur leurs produits, afin de mieux comprendre ce que vivent leurs patients. Cela peut permettre de développer de nouveaux services et plateformes répondant aux besoins de ces derniers. Les plus importants laboratoires pharmaceutiques font de la veille 24 heures sur 24 pour savoir ce qui se dit sur leurs produits.", détaillait à La Tribune Cédric Foray pour le cabinet EY.

Une présence en progression, mais jugée timide, sur Twitter

Aujourd'hui, les taux de présence et d'activité sur Twitter des labos sont jugés timide par les analystes. Dans une étude d'avril 2016, McKinsey expliquait pourtant que certains patients réclament une présence accrue et cherchent à contacter directement les laboratoires pour se renseigner sur leurs produits.

Si le nombre d'abonnés des comptes les plus suivis semblent modestes par rapport à ceux de marques de produits de consommation classiques, l'activité de l'industrie pharmaceutique sur Twitter connaît toutefois une tendance haussière. Une étude de 2016 estimait que le nombre de posts de l'Industrie pharmaceutique avait bondi de 520%, et le nombre d'abonnés de 300% depuis 2013.

le secteur tente de se rapprocher des patients de plusieurs manières. Avec son compte @AstraZenecaUS, suivi par près de 50.000 personnes le laboratoire britannique informe les patients des traitements disponibles pour les cancers du poumon par exemple. Le compte de GSK, l'un des plus suivis (137.000 abonnés) se veut quant à lui pédagogique, il implique notamment les patients avec des quiz, leur demande leur avis sur certains de ses produits. Le compte le plus suivi est celui de Novartis avec plus de 200.000 abonnés.

Facebook a lancé de nouveaux services pour attirer l'industrie pharmaceutique

L'industrie pharmaceutique espère également se rapprocher des patients grâce à Facebook. Le réseau social de Marck Zuckerberg a lancé de nouveaux services en novembre pour séduire l'industrie du médicament. Le réseau social veut encourager la création de "pages communautaires". Celles-ci ont vocation à regrouper des personnes atteintes d'une même pathologie par exemple, ou suivant un traitement précis. Le réseau social donne la possibilité aux industries pharmaceutiques de sponsoriser ces pages. AstraZeneca, qui vend des produits dédiés à l'asthme ou a des problèmes pulmonaires chroniques, est par exemple partenaire de la page "sauvez votre respiration" (Save your breath).

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 19/01/2017 à 11:34
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"et 44% d'entre eux ont reçu 1.000 dollars et plus". Soit, 56%, qui touchent MOINS de 1000 usd et se transforment en commerciaux. C'est petit et montre bien comme l'argent les intéresse plus que les malades.

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