Les experts du climat ont sûrement eu du mal à déglutir en lisant la nouvelle. Pour accroître son indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie après son invasion de l'Ukraine, on savait déjà que le Royaume-Uni prévoyait de mettre les bouchées doubles dans le nucléaire. Mais le pays, qui dévoile sa nouvelle stratégie énergétique aujourd'hui, entend aussi autoriser de nouveaux forages pétroliers et gaziers en mer du Nord. Une direction qui va totalement à l'encontre des recommandations scientifiques, qui exhortent à mettre fin, dès maintenant, aux nouvelles explorations d'énergies fossiles.
Dans son dernier rapport, publié lundi 4 avril, le groupe d'experts du climat de l'ONU (Giec) est catégorique : les nouvelles explorations de combustibles fossiles mettront hors de portée l'objectif de l'accord de Paris de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. Même l'Agence internationale de l'énergie (AIE), référence pour de nombreux pays dans le monde et parfois accusée d'être trop conservatrice à l'égard des énergies renouvelables, avait créé la surprise en mai dernier en adressant le même message : la limitation du réchauffement à 1,5°C d'ici la fin du siècle impose immédiatement la fin de tous les nouveaux projets d'exploration d'énergies fossiles.
Malgré ces nombreux avertissements, le gouvernement britannique prévoit d'autoriser, dès l'automne prochain, l'octroi de licences pour l'exploration de nouveaux champs pétroliers et gaziers, révèle un communiqué de presse. Le pays entend aussi augmenter la production des champs existants en mer du Nord, rapporte le quotidien The Guardian. Pour l'heure, les volumes visés n'ont pas été communiqués.
"Maximiser" la production d'énergies fossiles
Selon Kwasi Kwarteng, le ministre des Entreprises et de l'Energie, le Royaume-Uni a besoin de plus de pétrole et de gaz à court terme pour se défaire des combustibles importés de Russie, et alléger la pression sur les prix.
"Augmenter les énergies renouvelables à bas coûts et le nucléaire, tout en maximisant la production d'énergies fossiles en mer du Nord est la meilleure et seule manière d'assurer l'indépendance énergétique du pays dans les années à venir", avance-t-il dans le communiqué de presse.
Le gouvernement de Boris Johnson met, par ailleurs, en avant le fait que la production locale d'énergies fossiles aura une empreinte carbone plus faible que celle des importations russes.
En dehors du gaz et du pétrole, le Royaume-Uni prévoit aussi d'accélérer nettement dans le nucléaire, l'éolien en mer, le solaire et l'hydrogène. Cette stratégie doit permettre au pays de décarboner sa production électrique à hauteur de 95% à l'horizon 2030.
"Cela réduira notre dépendance à l'égard des sources d'énergie exposées à la volatilité des prix internationaux que nous ne pouvons pas contrôler, de sorte que nous pourrons bénéficier d'une plus grande autosuffisance énergétique et de factures moins élevées", commente le dirigeant conservateur dans le même communiqué de presse.
Construire 1 réacteur par an jusqu'en 2030
Dans le détail, le Royaume-Uni prévoit de presque quadrupler sa capacité nucléaire à l'horizon 2050 en la portant à 24 GW, contre 7 GW actuellement. Objectif : que l'atome représente environ 25% de la demande électrique à cette échéance. Cela restera cependant bien inférieur ce que représente aujourd'hui la part du nucléaire dans le mix électrique français (environ 70%).
Pour accélérer dans l'atome civil, le gouvernement britannique mise énormément sur les petits réacteurs modulaires (appelés SMR, pour small modular reactors, dans le jargon), dont le développement technologique, encore en cours, fait l'objet d'une vive compétition internationale. La couronne britannique espère tirer son épingle du jeu grâce au consortium emmené par Rolls-Royce et dans lequel elle a déjà investi 405 millions de livres sterling (soit environ 485 millions d'euros).
Pour passer la vitesse supérieure, le Royaume-Uni va aussi créer une nouvelle instance gouvernementale, le Great British Nuclear, et un nouveau fonds doté d'une enveloppe de 120 millions de livres sterling (soit environ 144 millions d'euros).
L'objectif est de livrer 8 nouveaux réacteurs d'ici la fin de la décennie, soit 1 réacteur par an, précise le communiqué de presse. Aujourd'hui, le rythme observé dans l'industrie nucléaire est plutôt de 1 réacteur tous les 10 ans.
Pour rappel, le premier EPR britannique, situé à Hinkley Point, dans le sud de l'Angleterre, est actuellement en cours de construction, avec EDF à la manœuvre. Comme en France et en Finlande, le chantier souffre de multiples retards et le réacteur ne devrait pas être opérationnel avant la mi-2026. Des discussions sont par ailleurs en cours avec l'électricien français pour la construction d'une nouvelle centrale à Sizewell, dans le Suffolk. Les deux projets combinés devraient produire environ 6,5 GW d'électricité.
Turbo dans l'éolien en mer
En matière d'éolien en mer, l'objectif est d'atteindre une capacité de 50 GW d'ici 2030, contre les 40 GW visés initialement. Actuellement, le Royaume-Uni dispose d'une capacité de 11 GW. Sur ces 50 GW, 5 pourraient reposer uniquement sur des éoliennes flottantes, dont la technologie, encore émergente, permet d'installer les mâts dans des eaux beaucoup plus profondes.
Fin 2020, le Royaume-Uni occupait déjà la première marche du podium européen avec quelque 2.300 éoliennes en mer raccordées, soit 40% de la puissance installée en Europe en matière d'éolien offshore, selon les données compilées par WindEurope.
En revanche, pas question de développer massivement les éoliennes terrestres. Seuls les projets soutenus par des communautés de citoyens pourront voir le jour.
Solaire et hydrogène dynamisés, mais impasse sur l'isolation thermique
L'énergie solaire, elle, est amenée à être multipliée par cinq, passant de 14 GW actuellement à 70 GW en 2035. Et, l'hydrogène doit atteindre une capacité de 10 GW à l'horizon 2030, contre 5 GW prévus initialement.
Boris Johnson semble également faire l'impasse sur l'isolation thermique des bâtiments, pourtant connue pour son efficacité dans la réduction des gaz à effet de serre.
Sujets les + commentés