Climat : “Plus on attend pour agir, plus il sera difficile et coûteux d’atteindre le même objectif” (Giec)

Un, deux... et trois. Les experts du climat de l'ONU (Giec) viennent de publier le 3ème volet de leur rapport. Celui-ci, hautement politique, porte sur les mesures concrètes à mettre en place pour atténuer le réchauffement climatique et ses effets les plus graves. Energie, transports, alimentation... Les experts appellent à changer en profondeur nos modes de consommation et de production. Ces transformations doivent être opérées au plus vite, sinon l'objectif de contenir le réchauffement à 1,5°C sera hors de portée, alertent-ils. Explications.
Juliette Raynal
(Crédits : MATTHIAS RIETSCHEL)

"Le monde n'est pas sur la bonne trajectoire pour limiter le changement climatique et éviter ses effets les plus graves. Seules des mesures immédiates et ambitieuses dans tous les secteurs et à toutes les échelles sont à même de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre". Voilà le message principal du dernier rapport des experts pour le climat de l'ONU (Giec), publié ce lundi 4 avril après de longues négociations.

Si les discussions ont été aussi nombreuses (elles ont pris fin avec plus de 48 heures de retard et ont conduit à décaler la publication du rapport de plusieurs heures), c'est parce que ce dernier opus concerne spécifiquement les solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Un texte politique

Autrement dit, ce texte est sans doute le plus important d'un point de vue politique puisqu'il porte sur les stratégies et mesures concrètes à mettre en place pour transformer la société et l'économie. Il porte ainsi sur la transformation de nos modes de consommation, de production et de nos infrastructures. Un sujet d'autant plus délicat et crucial à l'heure où la guerre en Ukraine met en lumière notre dépendance aux énergies fossiles.

Ce troisième volet succède à deux autres publications. La première, en août dernier, portait sur la physique du climat. La deuxième, en février dernier, concernait pour sa part les impacts du changement climatique et la vulnérabilité de nos sociétés.

Des prochaines années critiques

Le texte, fruit du travail de 278 auteurs qui ont évalué plus de 18.000 études scientifiques, est très clair : les prochaines années seront critiques pour augmenter nos chances de changer la trajectoire des émissions. "Si nous n'atteignons pas un pic des émissions des GES avant 2025 au plus tard, nous ne pourrons pas atteindre l'objectif des 1,5°C", précise Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired) et autrice du rapport. Par ailleurs, pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle, les émissions de CO2 doivent également diminuer de 43% d'ici 2030.

"Plus on attend pour agir, et plus il sera difficile et coûteux d'atteindre le même objectif car nous serons obligés de réduire la durée de vie d'investissement déjà réalisés", poursuit la chercheuse.

Transformer en profondeur le secteur de l'énergie

Le secteur de l'énergie est particulièrement visé. "L'ensemble des centrales électriques fonctionnant au fioul, au charbon ou au gaz, d'ores et déjà installées ou en phase de projet avancé, émet plus de GES que le budget carbone dont nous disposons pour atteindre l'objectif de 1,5°C. Tenir cet objectif suppose donc de fermer de façon prématurée toutes ces centrales", explique Céline Guivarch. Le rapport estime par ailleurs qu'éliminer les subventions aux énergies fossiles pourrait faire baisser les émissions de 10%.

Plus largement, les experts du climat préconisent une diminution drastique de la consommation des énergies fossiles, une électrification massive des usages, des progrès en termes d'efficacité énergétique et le développement de carburants alternatifs, comme l'hydrogène propre. Des recommandations dans la lignée de celle de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Des mécanismes efficaces et des technologies accessibles

Si ce message d'urgence a le goût de déjà vu (depuis des années les experts du climat insistent sur l'importance d'agir immédiatement), il s'accompagne aussi de plusieurs notes d'espoirs : des solutions technologiques ont vu leurs coûts chuter drastiquement depuis 2010, jusqu'à 85% pour l'énergie solaire, les éoliennes et les batteries. Résultat, la capacité des énergies photovoltaïque et éolienne a augmenté respectivement de 170% et 70% entre 2015 et 2019. Malgré ce boom, le chemin est encore long puisqu'elles ne représentent encore que 8% de la production électrique mondiale.

Par ailleurs, des politiques d'atténuation, des réglementations et des instruments de marchés sont déjà en vigueur dans de nombreux endroits et plusieurs ont prouvé leur efficacité. C'est le cas notamment des normes dans le secteur automobile ou du bâtiment en matière d'efficacité énergétique ou encore du marché du carbone. "Mais une part importante des émissions ne font pas encore l'objet de réglementation", souligne Raphaël Jachnik, spécialiste finance climat au sein de l'OCDE. "Il faut les renforcer et les élargir. Un changement systémique est nécessaire", estime-t-il.

L'immense levier inexploité de la demande

L'autre point positif du rapport réside dans l'immense potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui se trouve du côté de la demande. "La demande correspond aux choix individuels que l'on réalise dans nos modes de vie, comme préférer le train à l'avion ou diminuer notre consommation de viande", expose Céline Guivarch. Mais il faut créer les conditions qui vont permettre d'orienter ces choix. "Donner envie à une personne de prendre son vélo pour aller travailler, nécessite que cette personne ne soit pas trop éloignée de son travail et qu'il y ait des pistes cyclables", illustre la chercheuse. Or, ces conditions ne relèvent pas de choix individuels, mais de choix collectifs, de politiques publiques qui touchent les infrastructures. D'après les experts du climat, les bonnes politiques publiques combinées aux infrastructures et aux technologies adéquates pour favoriser les changements dans nos modes de vie pourraient conduire à diminuer de 40 et 70% des GES d'ici à 2050.

Activer ce potentiel inexploité suppose des financements massifs. "Les capitaux et les liquidités disponibles au niveau mondial sont suffisants. Le défi consiste à les mobiliser vers le financement des secteurs et des régions critiques pour la transition", note Raphaël Jachnik et également auteur du rapport. Rien que pour le secteur de l'électricité, 2.300 milliards de dollars par an seront nécessaires entre 2023 et 2052 pour tenir l'objectif de 1,5°C.

Des coûts... mais aussi des bénéfices

Réduire les émissions a aussi un coût.

"La majorité des études montre qu'une réduction des GES entraîne un ralentissement, modeste, de la croissance économique", pointe Yves Lecoq, directeur du Cired et auteur du rapport.

L'expert cite également les impacts sociaux, avec la disparition d'emplois dans les secteurs les plus émetteurs. "Les impacts économiques et sociaux dépendent du détail des politiques publiques et de la façon dont elles sont mises en œuvre", nuance-t-il.

A l'inverse, ces options de réduction des émissions de GES ont aussi des externalités positives en dehors du climat. L'exemple le plus évident étant celui de la santé, la diminution des émissions améliorant significativement la qualité de l'air.

Le rapport rappelle enfin que malgré l'ensemble des efforts attendus, des émissions de GES résiduelles persisteront dans les secteurs les plus difficiles à décarboner, notamment dans l'industrie lourde et l'aviation. Pour venir les contrebalancer et parvenir à la neutralité carbone, les solutions d'émissions négatives sont indispensables. Deux grandes catégories se distinguent : celles naturelles qui consistent à séquestrer les émissions  dans la biomasse, en plantant des arbres par exemple, déjà testées à grande échelle. Et toutes les autres, comme l'extraction du CO2 de l'atmosphère, qui sont à des stades beaucoup plus embryonnaires. "Mais ces solutions là, ne sont pas une substitution à la réduction des émissions", alertent les auteurs de l'étude.

Juliette Raynal

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Commentaires 10
à écrit le 05/04/2022 à 9:36
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D'où les effets positifs de la guerre en Ukraine qui va nous forcer à consommer moins de gaz et de pétrole, créer des pénuries, une instabilité permanente peu favorable aux déplacements lointains. Que du bonheur ! On dit merci qui ? Merci m'sieur Pou...

à écrit le 05/04/2022 à 9:13
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Une seule solution, sortir de "la politique de l'offre" dont les éternelles publicités en est la parti visible! Toute les conséquences en découlent!

à écrit le 05/04/2022 à 8:47
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Et si on commençait par laisser faire le marché? Laisser dériver (à la hausse) les coûts du carburants, les coûts de l’électricité, les coûts de chauffage... cela permettrait une vraie prise de conscience de la nécessité de réduire nos consommations....

à écrit le 05/04/2022 à 8:33
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Les scientifiques c'est bien quand ça permet à la classe dirigeante de restreindre nos libertés mais si c'est pour freiner la marge bénéficiaire de l'actionnaire là ça ne va plus. Alors ils essayent bien de lier les deux mais qui ne le sont pas liés,...

à écrit le 04/04/2022 à 21:42
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Il est bien trop tard pour agir, de toutes façons

à écrit le 04/04/2022 à 21:16
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Cette rhétorique culpabilisante est absurde, il est déjà bien trop tard pour agir, et puis justement, c'est au contraire, arrêter d'agir, qu'il faudrait : Arrêter de se chauffer, arrêter de consommer, arrêter de faire des enfants. Et même si on arrêt...

à écrit le 04/04/2022 à 19:41
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Manger moins de viande, au prix où est déjà la viande de mauvaise qualité et bien sûr celle que revendique des ONG telles que Greenpeace, obtenue grâce à l’élevage extensif (non intensif), il n’est pas besoin de nous dire de moins manger de viande ma...

le 05/04/2022 à 3:21
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Essayez le poisson. Du chrome, du plomb, de l'atome, que du bon pour pas cher.

le 05/04/2022 à 9:46
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L’élevage extensif consomme bcp de superficie au détriment des forêts ! Les productions alternatives d’énergie buttent sur l’éolien et le voltaïque qui sont incapables de stocker et de produire à la demande, en Allemagne la production des éoliennes ...

le 06/04/2022 à 9:47
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Quand j'étais jeune y a longtemps la viande était très chère, on cuisinait les bas morceaux, faisait du pot au feu, etc, et l'élevage intensif a rendu la viande accessible (comme le saumon, produit de luxe devenu accessible). Accessible = on en conso...

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