"Le monde n'est pas sur la bonne trajectoire pour limiter le changement climatique et éviter ses effets les plus graves. Seules des mesures immédiates et ambitieuses dans tous les secteurs et à toutes les échelles sont à même de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre". Voilà le message principal du dernier rapport des experts pour le climat de l'ONU (Giec), publié ce lundi 4 avril après de longues négociations.
Si les discussions ont été aussi nombreuses (elles ont pris fin avec plus de 48 heures de retard et ont conduit à décaler la publication du rapport de plusieurs heures), c'est parce que ce dernier opus concerne spécifiquement les solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Un texte politique
Autrement dit, ce texte est sans doute le plus important d'un point de vue politique puisqu'il porte sur les stratégies et mesures concrètes à mettre en place pour transformer la société et l'économie. Il porte ainsi sur la transformation de nos modes de consommation, de production et de nos infrastructures. Un sujet d'autant plus délicat et crucial à l'heure où la guerre en Ukraine met en lumière notre dépendance aux énergies fossiles.
Ce troisième volet succède à deux autres publications. La première, en août dernier, portait sur la physique du climat. La deuxième, en février dernier, concernait pour sa part les impacts du changement climatique et la vulnérabilité de nos sociétés.
Des prochaines années critiques
Le texte, fruit du travail de 278 auteurs qui ont évalué plus de 18.000 études scientifiques, est très clair : les prochaines années seront critiques pour augmenter nos chances de changer la trajectoire des émissions. "Si nous n'atteignons pas un pic des émissions des GES avant 2025 au plus tard, nous ne pourrons pas atteindre l'objectif des 1,5°C", précise Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired) et autrice du rapport. Par ailleurs, pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle, les émissions de CO2 doivent également diminuer de 43% d'ici 2030.
"Plus on attend pour agir, et plus il sera difficile et coûteux d'atteindre le même objectif car nous serons obligés de réduire la durée de vie d'investissement déjà réalisés", poursuit la chercheuse.
Transformer en profondeur le secteur de l'énergie
Le secteur de l'énergie est particulièrement visé. "L'ensemble des centrales électriques fonctionnant au fioul, au charbon ou au gaz, d'ores et déjà installées ou en phase de projet avancé, émet plus de GES que le budget carbone dont nous disposons pour atteindre l'objectif de 1,5°C. Tenir cet objectif suppose donc de fermer de façon prématurée toutes ces centrales", explique Céline Guivarch. Le rapport estime par ailleurs qu'éliminer les subventions aux énergies fossiles pourrait faire baisser les émissions de 10%.
Plus largement, les experts du climat préconisent une diminution drastique de la consommation des énergies fossiles, une électrification massive des usages, des progrès en termes d'efficacité énergétique et le développement de carburants alternatifs, comme l'hydrogène propre. Des recommandations dans la lignée de celle de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Des mécanismes efficaces et des technologies accessibles
Si ce message d'urgence a le goût de déjà vu (depuis des années les experts du climat insistent sur l'importance d'agir immédiatement), il s'accompagne aussi de plusieurs notes d'espoirs : des solutions technologiques ont vu leurs coûts chuter drastiquement depuis 2010, jusqu'à 85% pour l'énergie solaire, les éoliennes et les batteries. Résultat, la capacité des énergies photovoltaïque et éolienne a augmenté respectivement de 170% et 70% entre 2015 et 2019. Malgré ce boom, le chemin est encore long puisqu'elles ne représentent encore que 8% de la production électrique mondiale.
Par ailleurs, des politiques d'atténuation, des réglementations et des instruments de marchés sont déjà en vigueur dans de nombreux endroits et plusieurs ont prouvé leur efficacité. C'est le cas notamment des normes dans le secteur automobile ou du bâtiment en matière d'efficacité énergétique ou encore du marché du carbone. "Mais une part importante des émissions ne font pas encore l'objet de réglementation", souligne Raphaël Jachnik, spécialiste finance climat au sein de l'OCDE. "Il faut les renforcer et les élargir. Un changement systémique est nécessaire", estime-t-il.
L'immense levier inexploité de la demande
L'autre point positif du rapport réside dans l'immense potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui se trouve du côté de la demande. "La demande correspond aux choix individuels que l'on réalise dans nos modes de vie, comme préférer le train à l'avion ou diminuer notre consommation de viande", expose Céline Guivarch. Mais il faut créer les conditions qui vont permettre d'orienter ces choix. "Donner envie à une personne de prendre son vélo pour aller travailler, nécessite que cette personne ne soit pas trop éloignée de son travail et qu'il y ait des pistes cyclables", illustre la chercheuse. Or, ces conditions ne relèvent pas de choix individuels, mais de choix collectifs, de politiques publiques qui touchent les infrastructures. D'après les experts du climat, les bonnes politiques publiques combinées aux infrastructures et aux technologies adéquates pour favoriser les changements dans nos modes de vie pourraient conduire à diminuer de 40 et 70% des GES d'ici à 2050.
Activer ce potentiel inexploité suppose des financements massifs. "Les capitaux et les liquidités disponibles au niveau mondial sont suffisants. Le défi consiste à les mobiliser vers le financement des secteurs et des régions critiques pour la transition", note Raphaël Jachnik et également auteur du rapport. Rien que pour le secteur de l'électricité, 2.300 milliards de dollars par an seront nécessaires entre 2023 et 2052 pour tenir l'objectif de 1,5°C.
Des coûts... mais aussi des bénéfices
Réduire les émissions a aussi un coût.
"La majorité des études montre qu'une réduction des GES entraîne un ralentissement, modeste, de la croissance économique", pointe Yves Lecoq, directeur du Cired et auteur du rapport.
L'expert cite également les impacts sociaux, avec la disparition d'emplois dans les secteurs les plus émetteurs. "Les impacts économiques et sociaux dépendent du détail des politiques publiques et de la façon dont elles sont mises en œuvre", nuance-t-il.
A l'inverse, ces options de réduction des émissions de GES ont aussi des externalités positives en dehors du climat. L'exemple le plus évident étant celui de la santé, la diminution des émissions améliorant significativement la qualité de l'air.
Le rapport rappelle enfin que malgré l'ensemble des efforts attendus, des émissions de GES résiduelles persisteront dans les secteurs les plus difficiles à décarboner, notamment dans l'industrie lourde et l'aviation. Pour venir les contrebalancer et parvenir à la neutralité carbone, les solutions d'émissions négatives sont indispensables. Deux grandes catégories se distinguent : celles naturelles qui consistent à séquestrer les émissions dans la biomasse, en plantant des arbres par exemple, déjà testées à grande échelle. Et toutes les autres, comme l'extraction du CO2 de l'atmosphère, qui sont à des stades beaucoup plus embryonnaires. "Mais ces solutions là, ne sont pas une substitution à la réduction des émissions", alertent les auteurs de l'étude.
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