Alors que le gazoduc Nord Stream 1, qui relie la Russie à l'Europe en passant par la Baltique, ne fonctionne plus qu'à 20% de ses capacités depuis quelques jours, le Vieux continent se met en ordre de bataille pour diversifier ses sources d'approvisionnements. Une politique qui se décline à travers la stratégie des grandes entreprises gazières, jusqu'ici très impliquées dans le pays de Vladimir Poutine pour en exploiter les hydrocarbures. Y compris le groupe tricolore Engie, qui profite d'une activité en croissance, notamment grâce à l'envolée des prix de l'énergie, pour élargir son portefeuille et s'éloigner de Moscou.
De fait, le principal fournisseur de gaz en France, dont l'Etat français détient près de 24%, s'est félicité ce vendredi, à l'occasion de la présentation de ses résultats, d'avoir « significativement réduit » son « exposition financière et physique au gaz russe ». Alors que la Russie représentait toujours près de 20% de ses approvisionnements il y a quelques mois, il ne reste qu'un « petit volume résiduel d'à peu près 4% » de gaz acheté par Engie à Gazprom, a précisé sa directrice générale, Catherine MacGregor.
« C'est complètement dans la marge de la flexibilité de nos portefeuilles, donc on n'est pas du tout inquiets [...] Le risque reste dans un ordre de grandeur auquel on fait face régulièrement, du fait de changements de températures, de modification de l'activité économique, etc. », a-t-elle précisé lors d'un brief téléphonique.
Par conséquent, une rupture complète des livraisons en Europe n'aurait qu'un impact limité sur Engie, et les clients continuerait d'être servis, a assuré la cheffe d'entreprise.
Consolidation des partenariats
Il faut dire que l'entreprise multiplie les contrats depuis quelques mois, en augmentant ses achats à la Norvège, l'Algérie, les Pays-Bas ou encore les Etats-Unis. Une manière de « participer à l'effort de diversification et de sécurité d'approvisionnement », explique-t-on dans ses rangs, alors que les Etats européens pourraient manquer de 45 milliards de mètres cube de gaz cet hiver, avec des conséquences en chaîne sur leurs économies.
De quoi justifier la signature de deals néfastes pour le climat, puisqu'Engie se renforce notamment dans le gaz de schiste américain. En effet, après avoir dû abandonner en 2020, sous pression de l'Etat actionnaire et des écologistes, un méga-contrat négocié avec NextDecade pour la fourniture de gaz naturel liquéfié (GNL), le groupe français va finalement acheter 1,75 million de tonnes de GNL par an, en provenance du futur terminal texan Rio Grande à partir de 2026 et pour quinze ans, a-t-on appris début mai. Un revirement déjà entamé fin mars, puisqu'Engie avait alors étendu un contrat avec un autre groupe américain, Cheniere Energy, afin de lui acheter plus de GNL que prévu, et ce pour une vingtaine d'années.
En consolidant ses partenariats avec plusieurs pays, le groupe a ainsi pu contracter des volumes supplémentaires, qui « permettront de remplacer le gaz russe et d'atteindre les niveaux de stockage requis en cas de coupure totale des livraisons de gaz russe » pour l'hiver 2023-2024.
Pour ce qui est de cet hiver, Engie compte néanmoins en partie sur une « diminution de la demande », Catherine MacGregor ayant d'ailleurs cosigné la fameuse tribune d'appel à la sobriété d'urgence publiée dans le JDD, aux côtés des PDG d'EDF et de TotalEnergies. Mais là aussi, l'entreprise se montre confiante : « On a déjà observé une réduction de la demande, ce qui montre bien qu'il y a une certaine flexibilité du côté demande et que s'il y avait un scénario d'interruption du gaz russe sur l'hiver, nous serions capables complètement d'absorber les quelques pourcents qui nous resteraient à trouver », a assuré Catherine MacGregor.
Des résultats solides mais de nombreuses incertitudes
Au global, cette politique de diversification s'appuie sur des résultats financiers solides, portés par la flambée du prix des hydrocarbures. En effet, Engie a dégagé un bénéfice net de 5 milliards d'euros sur le premier semestre 2022, contre 2,3 milliards un an plus tôt, a dévoilé l'entreprise vendredi. D'autant que celle-ci avait déjà dégagé de confortables bénéfices en 2021, avec un résultat d'exploitation en augmentation de plus de 40 % par rapport à l'année précédente, là encore en partie grâce à l'envolée des cours observée depuis l'automne.
Cependant, compte tenu de nombreuses « incertitudes », aussi bien sur l'évolution des marchés que sur la position russe, Engie maintient ses prévisions inchangées pour l'année. Le groupe vise ainsi toujours un résultat net récurrent 2022 entre 3,8 et 4,4 milliards d'euros, même si ce résultat serait gonflé de 0,7 milliard « si les conditions de marché et l'environnement de prix [au 30 juin 2022, ndlr] devaient se poursuivre au second semestre ».
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