
"Hercule" ou "Grand EDF", qu'importe le nom du projet de réorganisation, les syndicats restent frontalement opposés à la grande réforme d'EDF que le gouvernement français tente de mener à bien auprès de la Commission européenne depuis plusieurs mois.
"Bien que des bruits trompeurs et contradictoires commencent à se faire jour, l'interfédérale n'est pas dupe tant de la stratégie d'effets d'annonce que des garanties illusoires proposées par le gouvernement. Elle reste sidérée par le flou artistique des négociations avec la Commission européenne. Cela renforce l'opposition de l'interfédérale à Hercule, ainsi que son unité aux côtés des parlementaires pour refuser tout passage en force éventuel du gouvernement", écrit dans un communiqué de presse, publié ce lundi 17 mai, l'interfédérale syndicale énergie et mines CGT, CFE-CGC, CFDT et FO.
Initialement baptisé "Hercule", ce projet désormais renommé "Grand EDF", vise à réorganiser l'énergéticien historique en trois entités pour lui donner plus de moyens d'investir dans le nucléaire et les énergies renouvelables, et satisfaire également aux règles de concurrence fixées par Bruxelles : EDF Bleu avec les activités nucléaires et le réseau de transport RTE ; EDF Vert avec les activités commerciales, de distribution et les renouvelables ; et EDF Azur, avec les concessions hydrauliques.
Depuis de nombreux mois, les syndicats se montrent très hostiles à ce projet de réorganisation et ont déjà mené plusieurs journées de grève et de manifestations. Ils craignent que les négociations entre Paris et Bruxelles, dans lesquelles ils ont été tardivement impliqués, conduisent à un démantèlement du groupe.
Nouvelle mouture: les syndicats n'y voient "rien de nouveau"
De son côté, l'exécutif a affirmé il y a quelques jours avoir revu sa copie et durci sa position vis-à-vis de Bruxelles. Le projet Hercule, tel que présenté initialement à la Commission européenne, est désormais considéré comme caduc par le gouvernement français, qui estime qu'il n'offrait pas les garanties suffisantes pour assurer l'intégrité du groupe, dont il détient près de 84% du capital.
Le gouvernement explique négocier à présent sur la base d'un groupe intégré, garantissant une stratégie unique et la circulation des flux financiers et humains au sein des différentes entités. Mais cette nouvelle mouture du projet ne convainc pas les syndicats.
"Le principe du groupe intégré, c'est rassurant, mais c'est la position que la France affirme avoir depuis le début. Donc, il n'y a rien de nouveau", constate Sébastien Michel, secrétaire fédéral FCE-CFDT.
"La Commission veut faire la peau aux monopoles d'État"
Quant à l'assurance de la libre circulation des capitaux et des salariés au sein des différentes entités, le syndicaliste y nourrit peu d'espoirs.
"Je serais très surpris que ces nouveaux éléments soient acceptés par la Commission européenne. Ce sont des lignes rouges qu'elle ne souhaite pas franchir. La Commission veut à tout prix faire la peau aux monopoles d'État. Elle souhaite qu'EDF soit séparé en trois parties qui se font concurrence", rappelle-t-il.
Évoquant les discussions entre Bruxelles et Paris, EDF a, lui-même, indiqué, qu'il n'y avait pas "de certitude quant à leur calendrier ni quant à leur aboutissement", dans un communiqué, diffusé mercredi dernier à l'occasion de la publication de ses résultats trimestriels.
Le sort d'Enedis suspendu à un "montage purement financier"
Les syndicats, comme de nombreux élus locaux, s'inquiètent également du sort d'Enedis, le réseau de distribution d'électricité. Dans le futur EDF imaginé par l'exécutif et la direction du groupe, Enedis serait logé dans un EDF Vert, filiale dont une partie minoritaire du capital serait privatisée.
"Cela pose problème car Enedis, qui exerce une activité régulée, se retrouverait dans un bloc avec des activités concurrentielles [comme les activités commerciales et les énergies renouvelables, Ndlr]. La CRE [le régulateur de l'énergie, Ndlr] sera alors en permanence sur le dos d'Enedis pour être certaine qu'il ne sert pas à financer les activités d'énergies renouvelables", prévient Sébastien Michel. "Le gouvernement veut placer Enedis, qui est une activité rentable, dans EDF Vert uniquement pour attirer les investisseurs. C'est un montage purement financier et non un projet industriel", fustige-t-il.
Dans le communiqué de presse, publié ce 17 mai, l'interfédérale s'émeut en ces termes:
"Au regard de ce que les promesses de non privatisation, de seuil minimal de détention par l'État et autre 'golden share' ont eu comme effet sur la trajectoire de Gaz de France depuis 2004, l'interfédérale n'accorde aucune valeur à ces fausses garanties pour l'avenir d'Enedis."
Les syndicats ajoutent :
"Elle réaffirme donc son exigence de voir Enedis garder le statut de filiale directe EDF comme l'exige aujourd'hui le Code de l'Énergie."
Une golden share, ou action de référence, permet à celui qui la détient (souvent l'État) de conserver un droit de veto sur l'ensemble du capital d'une société dans certaines circonstances spécifiques.
"Mais aujourd'hui, nous ne connaissons pas les points sur lesquels l'État peut actionner cette golden share", pointe Sébastien Michel.
Les syndicats réclame la réévaluation unilatérale du prix du nucléaire
Alors que Bercy a prévenu que les négociations avec Bruxelles seraient "difficiles" et qu'aucun calendrier n'est désormais communiqué, les syndicats plaident pour une mise à l'arrêt du projet de réorganisation.
Ils défendent, en revanche, une réévaluation rapide et unilatérale de l'Arenh, le mécanisme qui fixe le prix de l'électricité nucléaire qu'EDF vend aux fournisseurs alternatifs. Depuis plus de dix ans, celui-ci est fixé à 42 euros le mégawattheure. Un prix qui ne reflète plus les coûts de production nucléaire.
L'interfédérale milite également pour une recapitalisation "en s'appuyant sur la promesse que le ministre [Bruno Le Maire, Ndlr] lui a faite le 6 avril d'apporter à EDF 10 milliards d'euros de soutien public", précise le communiqué. Ces 10 milliards d'euros doivent permettre de racheter les parts détenues par les actionnaires minoritaires afin qu'EDF SA soit à 100% publique. Pour les syndicats, cette renationalisation d'EDF SA doit nécessairement passer par une loi afin de protéger le capital de toute revente ultérieure.
Ces derniers demandent enfin la mise en place d'une commission sous l'égide du Haut-Commissariat au Plan.
"Cela permettrait de mettre autour de la table le gouvernement, la direction d'EDF, mais aussi les syndicats et les parlementaires", explique Sébastien Michel, qui estime nécessaire la réalisation d'un état des lieux de la libéralisation du marché de l'énergie en France.
Pour l'heure, l'interfédérale n'a pas programmé de nouvelles journées de mobilisation. "Nous attendons de voir ce qu'il ressortira des prochains cycles d'échanges prévus avec Bruno Le Maire", précise Sébastien Michel.
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