Enième rebondissement dans le feuilleton de la Chapelle Darblay qui tient en haleine le monde du papier depuis sa fermeture à l'été 2020. En passe d'être cédée par le finlandais UPM au consortium Samfi/Paprec pour un projet mêlant production d'hydrogène et stockage de déchets, la papèterie pourrait bien changer de mains avant même que l'encre de l'acte de vente soit sèche.
Comme son président Nicolas Mayer Rossignol l'avait laissé entendre en octobre dernier, la Métropole Rouen Normandie (MRN) vient en effet de notifier à UPM qu'elle exerçait son droit de préemption sur l'usine, juste à échéance du délai légal.
Objectif avoué : empêcher le démantèlement d'un outil industriel reconnu comme un modèle d'économie circulaire en raison de sa capacité à recycler les déchets papier issus des poubelles jaunes de 24 millions d'habitants, soit tout de même plus du tiers des français. « L'enjeu n'est pas local mais il est national voire européen, insiste le président de la MRN C'est aussi un enjeu de souveraineté industrielle, il aurait été absurde de perdre ce savoir-faire ».
Racheter pour revendre
Si la préemption n'est pas contestée en justice, la collectivité pourrait devenir propriétaire du site au début du mois de mai au terme du délai de recours prévu par la loi. Combien de temps conservera t-elle les clefs ? Difficile à dire. Mais Nicolas Mayer Rossignol n'en fait pas mystère : son intention est bien de revendre l'établissement, et si possible « à brève échéance ». « Nous n'allons pas nous improviser papetier », précise t-il. En réalité, ses espoirs reposent entièrement sur le projet alternatif porté par Veolia et Fibre Excellence qui avait été écarté par UPM.
Le consortium franco-canadien propose de reconvertir la Chapelle Darblay, initialement spécialisée dans la fabrication de papier journal, en un site de production de papier carton recyclé (ou papier pour ondulé dans le jargon) pour l'emballage destiné essentiellement à l'export. Le tout moyennant un investissement de 120 millions d'euros.
Un pari à haut risque
Bien que le projet paraisse solide, le pari de la Métropole rouennaise n'en reste pas moins osé. Pratique courante dans le commerce, la préemption urbaine appliquée à un site industriel de cette ampleur est inédite. Et pour cause, elle est autrement plus risquée. L'agglomération devra, en effet, débourser quelque huit millions d'euros pour acquérir l'usine et son matériel de production (stocks, machines, informatique...). Et ce alors même que la faisabilité technique et surtout économique du projet des acheteurs pressentis n'est pas complètement démontrée à ce stade.
« On n'est pas au bout de nos peines, c'est une étape », a d'ailleurs admis Nicolas Mayer Rossignol devant les élus de son assemblée. De fait, un certain nombre de freins doivent encore être levés. Entrés tardivement dans la course, les deux acheteurs potentiels doivent s'assurer d'un soutien bancaire public ou privé et de l'apport de subventions locales et nationales. Ils doivent en outre obtenir des garanties de la CRE sur le tarif de rachat de l'électricité de l'énorme chaudière biomasse (l'équivalent d'un tiers de la consommation de la Normandie) qui est adossée à l'installation. En clair, il leur est difficile sinon impossible d'espérer une issue favorable sans un appui simultané des collectivités locales et de l'Etat.
Le changement de pied de Bercy
De ce point de vue, la situation a nettement évolué. Après avoir longtemps rechigné à prendre parti pour l'une ou l'autre des solutions de reprise laissant UPM seul juge, le ministère de l'économie prête désormais une oreille plus attentive au projet de Veolia et Fibre Excellence. « Il bénéficie dorénavant d'un soutien visible à Bercy », assure le représentant des cadres au sein de l'intersyndicale, Arnaud Dauxerre que La Tribune a interrogé vendredi dernier juste à la sortie d'une réunion avec la délégation interministérielle à la restructuration.
Le changement de pied (tardif) du ministère de Bruno Le Maire est aussi salué par Nicolas Mayer Rossignol qui avait beaucoup pesté contre les atermoiements du gouvernement. « Nous avons longtemps prêché dans le désert. Il a fallu aller contre une certaine forme de technocratie et que le politique reprenne la main. C'est ce qui est en train d'arriver », se félicite t-il. Reste maintenant à finaliser le projet de reprise industriel. Dans tous les cas, le temps presse. Les échéances électorales se rapprochent et rien ne dit que le prochain gouvernement issu des urnes se montrera aussi coopératif.
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