La filière ferroviaire s'organise pour garder un train d'avance

Le 12ème Salon international de l’industrie ferroviaire (SIFER), organisé à Lille, permet aux acteurs du secteur de rêver à une union sacrée. Plus facile à dire qu’à faire, dans un secteur aussi concurrentiel et marqué par le leadership chinois. L'union française est désormais indispensable pour accélérer la dynamique d'innovation et poursuivre sur la voie de la décarbonation.
Depuis 2019, un contrat de filière signé entre l'Etat, la SNCF, la RATP, Alstom et Thales permet de développer des initiatives dans le domaine de la transition écologique et l'innovation mais aussi la transmission des données informatiques et l'accompagnement des plus petites entreprises.
Depuis 2019, un contrat de filière signé entre l'Etat, la SNCF, la RATP, Alstom et Thales permet de développer des initiatives dans le domaine de la transition écologique et l'innovation mais aussi la transmission des données informatiques et l'accompagnement des plus petites entreprises. (Crédits : Charles Platiau)

« Le ferroviaire n'avait jusqu'ici pas d'échange structuré, régulier et récurrent : l'innovation était d'abord perçue comme un avantage concurrentiel qu'il fallait préserver au sein de nos entreprises », admet Philippe Delleur, senior vice-président Affaires publiques chez Alstom et délégué permanent du Conseil stratégique de filière ferroviaire (CS2F).

Pour autant, la filière ferroviaire française fait toujours aujourd'hui office de championne mondiale, notamment grâce à Alstom-Bombardier (15,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires), qui reste quand même derrière le chinois CRRC (28 milliards d'euros).

« Nous avons un peu joué avec le feu, en transférant des technologies pour produire plus loin, moins cher », constate Louis Nègre, président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). Pour lui, le contexte actuel ouvre un immense pont d'or pour la filière. Les planètes s'alignent : le Green deal européen, les plans de relance et l'urgence climatique ouvrent un pont d'or à la filière ferroviaire.

Contrat avec l'Etat

En 2019, un contrat de filière a été signé avec l'Etat. La SNCF et RATP comme exploitants, Alstom et Thales du côté des industriels, ont ensuite planché sur une feuille de route globale, qui a permis la mise en place d'un avenant cet été.

Au programme, la transition écologique et l'innovation mais aussi la transmission des données informatiques, l'accompagnement des plus petites entreprises via l'association CARE (Compétitivité, Accompagnement, Rail, Emploi), la formation pour trouver les compétences ainsi que le plan de sauvegarde des lignes desservant les territoires.

L'objectif est évidemment de mieux flécher les financements accordés dans le cadre Programme d'Investissements d'Avenir (PIA 4), en lien avec les mécanismes de financement européens. Même si les sommes annoncées ne seront pas à la hauteur des besoins.

« J'ai fait remonter au Premier ministre qu'il faut prendre en considération notre filière, après avoir considérablement aidé l'automobile et l'aéronautique. Le compte n'y est pas et si nous ne changeons pas l'orientation des taxes, on aura du mal à trouver les milliards qu'il nous faut », rapporte Louis Nègre, à la tête du FIF.

Compétitivité avant tout

« Ce report de la route vers le rail, appelé de tous les vœux, ne se décrète pas : pour être attractif, il doit être innovant et compétitif », poursuit Philippe Delleur d'Alstom. A l'instar de ce qui se fait déjà dans l'aéronautique civile (CORAC) ou pour la mer (CORIMER), le Comité d'Orientation de la Recherche et de l'Innovation Ferroviaires a vu seulement le jour cette année.

Pour Luc Laroche, directeur des programmes innovation système ferroviaire chez SNCF Réseau, le ferroviaire doit fondamentalement se décarboner, en remplaçant notamment le diesel par l'hydrogène. « Nous avons comme ambition de faire rouler tous nos trains en zéro carbone d'ici 10 à 20 ans. Le train présente aujourd'hui un atout environnemental : il doit surtout garder cette longueur d'avance, car les autres modes vont également se décarboner », prévient Luc Laroche, directeur des programmes innovation système ferroviaire chez SNCF Réseau.

Digitalisation

Dans la même logique, l'hyper-performance passe par la digitalisation, à commencer par le train autonome. « C'est essentiel car nous souhaitons multiplier par deux les volumes transportés via le chemin de fer ». Par exemple, sur une ligne donnée, le système européen de gestion du trafic ferroviaire (en anglais, European Rail Traffic Management System, ERTMS) permet de passer de 13 trains à 16, et même 18 trains avec l'ATO (Automatic Train Operation pour train autonome).

Finalement, c'est même tout le modèle économique du train qu'il faut réinventer. « Nous voulons relancer un cercle vertueux avec plus de fréquence, il faut donc que le coût marginal d'un train soit plus faible », précise Luc Laroche. Les solutions ? La conduite en autonomie, la maintenance prédictive, un train plus léger pour être moins agressif sur l'infrastructure, plus capacitaire en nombre de passagers, une modularité en fonction de la fréquentation mais également le couplage automatique des wagons de fret pour gagner du temps.

Faire face à la concurrence

« L'attractivité du ferroviaire passe également par le service, qu'il s'agisse de services digitaux aux clients ou de gestion du dernier kilomètre, la garantie de trains sûrs et sécurisés (notamment à bord des trains autonomes) et même désormais la question sanitaire (flux d'air désinfection) », liste SNCF Réseau.

Reste la question cruciale de la concurrence, notamment chinoise et américaine, qui se positionne sur les marchés européens. Sans forcément ouvrir leurs appels d'offres aux étrangers... Le géant chinois CRRC remporte en effet près de 90% des appels d'offres dans son pays, ces marchés étant inaccessibles aux Occidentaux. Tandis que CRRC se positionne sur certains marchés, en Inde, en Turquie ou en Europe.

« Nous devons redoubler d'innovation pour produire vert à coût équivalent pour rester compétitif sur le marché global », commente le président de la FIF Louis Nègre, qui attend impatiemment la révision des règles de concurrence européennes établies en 1997. « Ces règles ne s'imposent qu'à l'échelle du marché commun européen, pas du tout à celui du global market », poursuit-il.

Fair compétition et innovation

Le maître-mot ? La « fair compétition » (compétition équitable) et même le « level plane field » (terrain de jeu équilibré), avec les regards tournés vers l'Europe. « Aujourd'hui, il ne faut, non pas s'inquiéter que deux grandes sociétés s'allient (NDLR : référence à l'intégration du canadien Bombardier par le français Alstom, dont le premier projet de fusion a été retoqué par la Commission européenne) mais plutôt de comment d'autres géants pourraient les faire disparaître », cingle Louis Nègre de la FIF.

Pour Amaury Jourdan de Thales, « la compétition internationale a toujours été forte, c'est le jeu. Sauf que l'Europe est orientée vers un standard et l'inter-opérabilité alors que ce n'est absolument pas le sujet en Chine. Il faut nous re-concentrer sur le made in France, s'appuyer sur notre écosystème absolument fantastique et trouver des sujets spécifiques comme la desserte des fines lignes du territoire pour innover ».

Dans cet écosystème, se trouve justement Railenium, émanation du pôle de compétitivité à vocation mondiale I-Trans. « Railenium explore principalement trois thèmes train autonome, les essais, la digitalisation et maintenance prédictive, mais il y a encore trop de travail en circuit fermé », commente Bernard Schaer, le président de cet Institut de Recherche Technologique (IRT). Dans ce cadre, le CORIFER me semble être un outil essentiel, pour être force proposition mais aussi faire un pas en avant majeur, sorte de maison commune de l'innovation ». En mettant justement en place des échanges structurés, réguliers et récurrents.

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