Les ports de l'axe Seine misent sur l'écologie pour gagner des parts de marché en Europe

Au lendemain de la réunion des maires de Paris, Rouen et Le Havre chez l'ex-Premier ministre Edouard Philippe, le Grand port fluvio-maritime Haropa vient de voir le jour. Alors qu'Anvers reste considéré comme le "vrai" port de la capitale, l'établissement public fait le pari de la décarbonation des entrepôts et des transporteurs de marchandises, fluviaux, maritimes et routiers.
César Armand
Situé à dix kilomètres de Paris intra-muros et au bord des autoroutes A1 et A86 comme du réseau ferré national, le port de Gennevilliers constitue un exemple emblématique. Y transite 4 millions de tonnes de marchandises par an.
Situé à dix kilomètres de Paris intra-muros et au bord des autoroutes A1 et A86 comme du réseau ferré national, le port de Gennevilliers constitue un exemple emblématique. Y transite 4 millions de tonnes de marchandises par an. (Crédits : C.A.)

C'est fait ! Neuf ans après la constitution d'un groupement d'intérêt économique (GIE) entre les ports de Paris, Rouen et Havre, Haropa-Grand port fluvio-maritime est enfin devenu, le 1er juin 2021, un établissement public d'Etat doté de 1,45 milliard d'euros jusqu'en 2027. L'ambition affichée par le Premier ministre Jean Castex est limpide : en faire le « système portuaire maritime et fluvial de premier plan en Europe ». La feuille de route de son président du directoire Stéphane Raison s'avère tout aussi claire : assurer le renouveau industriel de la France, récupérer et reconquérir des parts de marché - Anvers reste considéré comme le ''vrai'' port de Paris - et capter de nouvelles lignes de fret fluviales et maritimes. La moitié du trafic conteneur français passe encore et toujours par les ports étrangers.

Alignement des planètes économiques et politiques

Pour une fois, les planètes économiques et politiques semblent en effet alignées. Outre le volontarisme du gouvernement et la volonté affichée par les trois maires Anne Hidalgo, Nicolas Mayer-Rossignol et Edouard Philippe d'avancer de concert, la crise de la Covid-19 est en train d'accélérer des tendances déjà lourdes. L'explosion du e-commerce dans les métropoles pousse les logisticiens à s'installer au plus près de leur client final. Ikea vient par exemple d'annoncer la construction d'un entrepôt de 72.000 m²  sur le port de Limay-Porcheville (Yvelines) d'un montant proche de 120 millions d'euros.

Situé à dix kilomètres de Paris intra-muros, au bord des autoroutes A1 et A86 et du réseau ferré national, le port de Gennevilliers constitue un autre exemple emblématique. Y transitent 4 millions de tonnes de marchandises par an dont 800.000 par le rail. Trente mois après l'inauguration d'un entrepôt de deux étages de 20 mètres de haut et de 63.000 mètres carrés, l'infrastructure fluvio-maritime de 400 hectares accueillera, fin 2024-début 2025, un nouvel ensemble. Pour un budget de 150 millions d'euros, l'édifice mesurera 30 mètres de haut, recensera 90.000 m²  sur quatre niveaux et accueillera 80 mètres de ponton pour connecter les navires et les véhicules utilitaires. Ces derniers pourront de cette manière rejoindre des barges sur le fleuve si besoin. Aujourd'hui, le terrain est occupé par des bâtiments des années 1950 inoccupés en grande partie et déconventionnés fin 2021.

Porté par l'Australien Goodman, développeur, foncière et gestionnaire de 650.000 m² d'actifs dans le monde, ce projet immobilier est censé répondre aux deux principaux défis des ports français : développement de logistiques décarbonées et multimodales et réaménagement des sites sur eux-mêmes. En plus d'une ferme urbaine de 1,7 hectare sur son toit qui devrait apporter chaque année 200 tonnes de fruits, légumes et aromates aux grand-parisiens, le site est pensé pour être autonome en énergie à sa livraison : centrale photovoltaïque de 11.000 m², puits de géothermie et échangeur calorifique. Aux yeux des dirigeants d'Haropa, ce projet XXL présente un atout majeur. Il se trouve à l'Ouest de la capitale au plus près du port du Havre, précisément là où le nouvel ensemble fluvio-maritime veut densifier les implantations logistiques pour contrecarrer les ambitions de ses rivaux belges et néerlandais. Lesquels se frottent les mains à la perspective de la construction du canal Seine Nord.

La ZFE comme accélérateur de la décarbonation

La zone à faibles émissions de la métropole du Grand Paris, qui restreint progressivement la circulation des véhicules très polluants à l'intérieur de la zone dense francilienne, devrait également accélérer la décarbonation des transporteurs. Si 80% des marchandises, qui quittent le port du Havre ou qui y arrivent, continuent de passer par la route, contre moins de 50% à Rotterdam ou Anvers, Gennevilliers prend déjà le taureau par les cornes. En février, le port séquano-dionysien a inauguré la plus grande station en gaz naturel de ville (GNV) et bioGNV de France avec Total et Sigeif Mobilités, une société d'économie mixte créée par le Syndicat intercommunal pour le gaz et l'électricité en Île-de-France (Sigeif) et la Caisse des Dépôts. De la même façon avec le Syctom, l'agence métropolitaine des déchets, une usine de méthanisation est à l'ordre du jour pour alimenter ladite station en bioGNV.

En matière d'hydrogène vert, priorité du gouvernement avec 7 milliards d'euros de France Relance« un appel à projets va être lancé dans les prochaines semaines », promet le président du directoire d'Haropa Stéphane Raison. « Il faut qu'on accompagne les industriels clients pour trouver des solutions avec eux. On va par exemple ajouter des points de livraison électrique sur les bateaux comme sur les bateaux de croisière », ajoute Stéphane Raison. Le président de Goodman France Philippe Arfi déclare, pour sa part, qu'à la livraison de son bâtiment en 2024-2025, « le parking en sous-sol accueillera les véhicules utilitaires avec des prises ».

Au pire, le Grand port fluvio-maritime, qui revendique 400.000 m² d'entrepôts contractualisés ou en discussion pour 2021, pourra toujours compter sur son ''cousin'' Voies navigables de France. L'établissement public, qui entretient, exploite et développe sur l'axe Seine 1.400 kilomètres de voies d'eau, dont 700 à grand gabarit, vient de signer un contrat d'objectif et de performance avec l'Etat. 3 milliards d'euros, dont 1 milliard pour cette partie normando-francilienne, vont être débloqués d'ici à 2030, notamment pour régénérer les écluses, barrages et ponts-canaux, des installations anciennes et potentiellement à risques. Selon leurs calculs, près de quatre fois plus d'acteurs économiques qu'aujourd'hui pourraient circuler sur le fleuve en plus des habitués: céréaliers, entreprises de BTP  et industriels de l'aéronautique et de l'économie circulaire.

César Armand

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