Bruxelles planche sur "un fonds européen de garantie pour le remboursement des billets d'avion" (Adina Valean)

Dans une interview accordée à La Tribune, Adina-Iona Valean, commissaire européenne aux transports, a détaillé la vision de Bruxelles sur l'aviation. Alors que la crise sanitaire a soulevé la question épineuse du remboursement des passagers dont les vols ont été annulés à cause du Covid-19, "la Commission réfléchit à la création d'un fonds européen de garantie pour le remboursement dans des cas identiques". "Le 1er septembre tous les remboursements devront avoir été réalisés", indique-t-elle.
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LA TRIBUNE - La pandémie a été à l'origine d'une crise sans précédent. Attendez-vous une reprise dans les mois qui viennent ?

ADINA-IONA VALEAN - L'an passé la reprise temporaire du trafic durant l'été a été suivie d'une longue période de stagnation. Le risque d'un nouveau variant étant toujours présent, cela pourrait remettre en cause rapidement un scénario optimiste. Selon les estimations, le trafic ne devrait pas revenir au niveau de 2019, avant 2023, 2024 ou 2025. Depuis le début de la crise, la Commission a pris de nombreuses mesures pour aider l'industrie du transport aérien dans son ensemble à surmonter les effets terribles de cette pandémie. Pour éviter les vols "fantômes", nous avons autorisé l'an dernier les compagnies aériennes à ne pas utiliser leurs créneaux horaires, sans prendre le risque de les perdre l'année d'après, conformément au règlement européen sur les créneaux horaires. Il faut en principe qu'une compagnie aérienne utilise au moins 80% de ses créneaux pour éviter de perdre ses droits historiques. Nous préparons actuellement une extension du « slot relief » pour la saison d'hiver 2021/2022. Concernant les soutiens financiers, la Commission a mis en place un cadre temporaire et flexible pour que chaque Etat puisse apporter des aides à leurs compagnies aériennes et aux aéroports en difficulté, dans le respect des règles. S'il faut attendre 2025 pour avoir une reprise complète de l'activité, beaucoup de dettes se seront accumulées, et l'industrie aura sans doute besoin de temps pour faire face à ces défis.

Les passeports sanitaires seront-ils suffisants pour permettre aux passagers de voyager à nouveau facilement ?

Je l'espère. C'est pour cela que la Commission a proposé aux Etats membres une approche commune, celle d'avoir les mêmes certificats Covid, afin que la reprise du trafic soit aussi homogène que possible. J'espère que le pass sanitaire aidera nos citoyens à voyager sans le poids des quarantaines et des tests systématiques. Mais cela dépendra aussi de la situation sanitaire le moment venu, et des décisions des dirigeants de chaque pays. Au niveau européen, nous nous basons sur des données scientifiques pour déterminer les zones oranges ou rouges, et espérons que cet été, à partir du 1er juillet, le pass sanitaire sera mis en place par tous les Etats membres. La question demeure sur le système de vérification de ces certificats. Nous travaillons avec l'industrie afin de déterminer le meilleur moyen de mise en œuvre, qui soit homogène et efficace.

L'Union européenne et l'association des nations du sud-est asiatique, l'ASEAN ont conclu un accord sur le transport aérien, qu'en attendez-vous ?

C'est la première fois qu'il y a un accord de bloc-à-bloc d'aviation qui ouvre de nouvelles opportunités à plus d'un milliard de voyageurs. Cela doit renforcer les liens entre l'Asie et l'Europe, les liens économiques et sociaux entre ces deux blocs, permettre de proposer davantage de vols directs, au lieu de vols avec correspondances et de réduire l'impact environnemental de l'aviation. Personne ne doit s'inquiéter, nous veillerons de près aux questions de concurrence déloyale, afin que toutes les compagnies qui opèrent en Europe respectent les mêmes règles. Depuis 2019, la Commission a la possibilité de mener des enquêtes en cas de soupçon d'irrégularité, afin de vérifier que tout est fait dans les règles. Depuis mai, nous avons mis en place des mesures visant à vérifier les aides accordées dans l'aviation. Je sais qu'il y a des inquiétudes au sein de la communauté du transport aérien, au sujet des effets de ces accords aériens sur la compétitivité de l'industrie européenne. Mais comme je l'ai dit, nous en tirerons des bénéfices et en cas de litige, nous aurons à notre disposition des outils performants pour empêcher toute irrégularité

Quelles sont les prochaines étapes pour que cet accord entre en vigueur ?

La Commission a fait son travail en menant les négociations en coordination avec tous les Etats membres. Au bout du compte,  il revient aux Etats membres de le signer. Cela sera la prochaine étape.

Faut-il s'attendre à d'autres accords entre d'autres régions du monde ?

Il est trop tôt pour le dire. Cela étant dit, nous négocions différents accords complémentaires, qui avaient été bloqués par la Grande-Bretagne au sein de la communauté européenne. Maintenant que le Royaume-Uni n'est plus membre de l'UE, d'autres accords paneuropéens avec des pays tiers pourraient voir le jour. Il ne s'agit pas simplement d'accords bilatéraux, ce qui sera intéressant, parce qu'on pourra y introduire des conditions concernant l'environnement, le social pour les travailleurs et des règles justes et équitables pour les entreprises. Cela permettra donc d'apporter plus de garanties que s'ils étaient signés État par État. Je suis optimiste sur la signature de ces accords par les membres de l'Union.

Comment assurer une concurrence équitable alors que des membres de l'Union ont accordé des aides à leurs compagnies ?

Il est important d'assurer les conditions permettant une concurrence juste et équitable. En mars 2020, la Commission a accepté que les Etats puissent temporairement aider leurs entreprises dans différents secteurs, dont l'aviation. Je sais qu'il y a des inquiétudes sur le fait que ces aides soient considérées comme des avantages et jugées inéquitables. C'est pourquoi certaines compagnies y ont renoncé. Mais ma collègue la Commissaire aux affaires de concurrence veille à ce que cela soit fait dans les règles et de façon équitable. Notre intention est bien d'aider à instaurer une concurrence juste sur le long terme. Tout le monde doit comprendre que ces aides étaient indispensables. Au plus fort de la crise, cela était évidemment nécessaire, mais cela ne pourra pas durer éternellement.

Que doit faire une compagnie qui s'estime victime de concurrence déloyale ?

La Commission regarde les choses au cas par cas. Nous sommes à l'écoute des plaintes, même quand elles se font au niveau de la Cour européenne de Justice. Le problème des droits sociaux des travailleurs dans l'aviation fait partie des sujets que nous suivons de près. Nous sommes au courant de certaines pratiques, pas nécessairement illégales, mais qui ne sont ni équitables, ni justes. Il a un vrai besoin d'évaluer de plus près leur impact sur le bien-être des travailleurs, c'est quelque chose que nous allons faire prochainement.

Comment améliorer le droit des passagers ?

La Commission est en première ligne pour défendre le droit des passagers. Pendant la crise, quand l'activité s'est arrêtée, les compagnies ont dû rembourser les billets, ce qui a accentué la crise de liquidité de l'aviation. Cela a engendré d'importantes difficultés économiques pour les compagnies aériennes. Notre législation actuelle octroie aux passagers des droits conséquents, mais certaines choses pourraient encore être améliorées. Nous travaillons actuellement avec les organismes de protection des consommateurs afin de régler ces problèmes. Le 1er septembre tous les remboursements devront avoir été réalisés. À l'avenir, il faudra que les compagnies aériennes fassent en sorte de mieux informer les consommateurs sur leurs droits. Afin de retrouver la confiance des voyageurs, il est nécessaire que ceux-ci puissent réserver leur vol en toute connaissance de leurs droits et de manière transparente. La législation doit être appliquée, et c'est là qu'il y a eu un problème. La Commission réfléchit à la création d'un fonds européen de garantie pour le remboursement dans des cas identiques.

La crise semble accélérer la simplification de l'espace aérien et la technologie fait progresser la numérisation du contrôle aérien. Avez-vous bon espoir de voir le ciel européen faire des progrès après des années de stagnation ?

Comme le disait le directeur général d'une importante compagnie aérienne : « quand il y a moins d'avions dans le ciel, on peut emprunter des routes plus directes, cela permet de moins consommer de carburant et donc d'avoir une empreinte environnementale réduite. » Le cadre réglementaire du Ciel unique européen, qui vise à accroître l'efficacité de la gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne en réduisant la fragmentation de l'espace aérien européen, pourrait permettre de diminuer de plus de 10% les émissions. C'est un outil important, car décarboner l'aviation est un défi de taille. Plutôt que d'imposer des contraintes lourdes visant à augmenter le prix des billets, il est préférable d'optimiser le trafic aérien. Cependant, il est vrai que la gestion du trafic aérien est un secteur où il y a beaucoup d'inertie, ce qui est dommage. On parle encore de modernisation du transport aérien, alors que dans les autres domaines on parle d'innovation. Cela montre à quel point nous sommes en retard. La France a fait mieux que prévu en ce domaine.

Que peut apporter le carburant durable ?

Comme je viens de l'expliquer, il est très difficile de décarboner l'aviation. Les carburants alternatifs ont donc un formidable potentiel pour réduire les émissions du secteur. Mais pour cela il faudrait avoir au moins 5% de carburant durable qui soit mélangé d'ici à 2030 et plus de 60% d'ici à 2050. Le problème n'est pas une question de volonté, mais qu'il n'y a actuellement pas assez de carburant alternatif sur le marché. La Commission va proposer une loi visant à fixer des objectifs d'incorporation de carburants durables. Ce seront des objectifs graduels, mais on veut donner un signal fort sur le marché pour encourager le développement de ces carburants alternatifs.

Comment voyez-vous le transport aérien en 2035 ? Est-ce qu'après deux décennies de croissance stoppées par la crise, la croissance pourrait reprendre comme avant ?

Le futur du transport aérien dépendra de la transition environnementale et de la digitalisation. Ce sont les ingrédients clés pour une meilleure résilience. La crise Covid a montré que conserver des supply chain performantes était essentiel. Le trafic va continuer à progresser, parce que voyager fait partie de la façon de vivre des européens. Mais il faut que le trafic se développe de manière plus durable.

En 2035, où en seront les compagnies de leur transition énergétique, selon vous ?

On doit regarder les annonces faites par l'industrie de l'aérien qui a pris des engagements. L'industrie aérienne devra proposer des avions durables. Si on parle d'avion à l'hydrogène ou électrique ou d'aéroport zéro émission et du carbone tracing, cela va nécessiter des aides pour verdir ce secteur et aboutir à l'arrivée de nouveaux avions. On peut imaginer avoir des avions à hydrogènes à partir de 2035. L'industrie a cette ambition et est assez avancée. Mais l'autre outil important pour réduire les émissions est de passer par le ciel unique européen. C'est un réel levier pour décarboner le secteur plus rapidement.

Est-ce qu'en 2035 les compagnies aériennes devront faire face à un prix du carbone plus élevé ?

La Commission propose des mesures visant à la taxation des émissions, mais aussi à favoriser la décarbonation avec les e-fuel, ou par mélange avec des carburants durables. Nous allons proposer des instruments financiers : mille milliards pour le cadre financier pluriannuel (2021-2027) et 750 milliards pour le plan de relance NextGenerationEU. Cela s'accompagne de réformes. La taxonomie devrait définir ce qui peut être un investissement vert et aider l'aviation à obtenir des fonds verts.

Vous avez évoqué l'utilisation de l'hydrogène par l'aérien, quelles sont les synergies possibles avec autres secteurs.

La Commission croit beaucoup à l'hydrogène. Nous pensons que c'est une opportunité d'avoir un avantage pour augmenter la productivité et construire une nouvelle économie. Mais pour l'usage de ces nouveaux carburants, il y a un risque de concurrence entre secteurs. En effet, atteindre les objectifs climatiques européens va nécessiter beaucoup de carburant durable et d'électricité. Nous devons travailler en synergie avec les secteurs de l'énergie et faire en sorte qu'il y ait suffisamment d'énergies disponibles. Pour cela on propose des incitations à trouver l'énergie la plus appropriée pour chaque secteur, de manière à ce qu'ils n'aient pas à se battre pour en disposer.

Que pensez-vous des différents projets de mobilité aérienne urbaine?

Cela va venir, il y a beaucoup d'intérêts et de soutien. J'ai vu une étude européenne dans laquelle on demandait au public ce qu'il pensait de ces nouvelles technologies de mobilité aérienne. Les gens les plébiscitent et pensent que ces nouvelles technologies vont faire partie de leur vie en 2035. On doit travailler à en réduire le bruit, à garantir leur usage en toute sécurité et à mettre cela en marche de la façon la plus durable possible. En avril dernier on a adopté un cadre de loi qui devrait garantir que les drones soient sûrs, sécurisés et verts.

Ce secteur peut-il générer de l'emploi ?

Ce nouveau secteur apportera des solutions à la congestion et créera beaucoup d'emplois nouveaux pour des jeunes actifs, en même temps que de nouveaux moyens de se déplacer.

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Commentaires 4
à écrit le 11/07/2021 à 18:33
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ils n'ont que ca a faire?

à écrit le 10/07/2021 à 10:25
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Tandis que le monde est à feu et à sang c'est qu'il y a des choses importantes hein !? ^^ Vite un frexit !

à écrit le 09/07/2021 à 17:16
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"J'espère que le pass sanitaire aidera nos citoyens à voyager sans le poids des quarantaines et des tests systématiques." c'est à ce genre de phrase qu'on reconnaît ceux qui n'ont toujours pas compris le fonctionnement du virus et sont complices de s...

à écrit le 09/07/2021 à 16:49
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L'UERSS souhaite collectiviser les créances du secteur aérien en créant de nouveaux impôts pour les soviets...

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