La difficile équation environnementale du transport aérien

Inverser sa courbe du CO2 à l'heure d'une croissance exponentielle du trafic mondial : l'engagement du secteur, qui vise à diviser de moitié son empreinte carbone à l'horizon 2050, est ambitieux. D'autant que l'avion électrique n'est pas pour demain et que les biocarburants restent onéreux. De l'aviation aux aéroports, les défis environnementaux ont été au cœur de plusieurs conférences organisées au 6ème Paris Air Forum.
(Crédits : Toby Melville)

C'est un débat passionné. Du mouvement « Flygskam » (#hontedeprendrelavion) sur les réseaux sociaux aux appels à la taxation du kérosène, la pression sociale sur le transport aérien, accusé d'être un gros pollueur, ne cesse de monter depuis quelque temps. Pourtant, le secteur s'est engagé à réaliser des efforts considérables : l'association internationale du transport aérien (IATA) s'est fixé comme objectif de réduire les émissions de CO2 de 50% d'ici à 2050 par rapport à 2005. Mais avec la croissance vertigineuse du trafic aérien mondial,  est-ce réalisable ?

Lors d'une table ronde intitulée « Plus d'avions, moins de pollution : mission impossible ? », qui s'est déroulée le 14 juin au Paris Air Forum, Michael Gill, directeur exécutif et directeur des affaires environnementales de l'ATAG (Air Transport Action Group) a répondu par l'affirmative, en rappelant que le secteur est déjà en train de remplir son objectif à court-terme d'améliorer l'efficacité énergétique des flottes de 1,5 % par an.

En outre, « c'est une question autour de laquelle le secteur tout entier est complètement uni », a-t-il souligné. Les obstacles potentiels ? Pour Michael Gill, « si on ne permet pas à Corsia (ndlr : système mondial de compensation des émissions de dioxyde de carbone, voté par l'Organisation internationale de l'aviation civile) d'être implémenté avec succès, de déployer ses effets pour que le public puisse voir l'efficacité environnementale de cette mesure, s'il est mort-né, ce serait une énorme déception pour tous et nous retarderait des années voire des décennies dans nos tentatives d'influer sur le débat environnemental ».

Vers une aviation électrique ou hybride ?

Pour réduire voire supprimer les émissions de carbone, une aviation commerciale électrique d'ici à 2050 est-elle envisageable ? Probablement non, d'après Stéphane Cueille, directeur Groupe R&T et Innovation de Safran. De fait, la densité des batteries ne permet pas aujourd'hui aux avions de la taille de l'aviation commerciale de voler à de longues distances.

Afin que l'aviation commerciale soit tout électrique pour des vols de plus de 1000 km, « il faudrait une révolution scientifique », a pointé celui qui est également président du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC).

« Si on veut être en tout électrique, ce sera sur de très courtes distances. Si on accepte d'être en hybride, c'est-à-dire d'avoir un mélange de batteries et de propulsion thermique, on peut aller sur des plus longues distances », a-t-il analysé.

Jusqu'aux vols régionaux en hybride à l'horizon 2030 ?

« C'est faisable, mais avec des gains plus ou moins intéressants ».

La promesse coûteuse des biocarburants

Alors pour réussir le pari environnemental du transport aérien, tous les regards se tournent vers les biocarburants. Problème, leur utilisation pour l'heure reste limitée à 0,04 % de la consommation. La raison ?

« Les biocarburants seront toujours structurellement plus coûteux à produire que les carburants d'origine fossile », a affirmé l'expert et ancien directeur biotechnologies chez Total, Philippe Marchand.

Afin de développer leur utilisation, « il faut admettre qu'il y aura un surcoût, mais qui n'arrivera qu'après une certaine période de transition ». Les pays scandinaves ont commencé à imposer l'incorporation des biocarburants dans les réservoirs : en Norvège, à partir de 2020, ceux-ci devront en contenir 0,5 % dans un premier temps.

« Au fur et à mesure que le taux d'incorporation augmentera, le coût du biocarburant augmentera aussi », a détaillé ce spécialiste.

Selon lui, « c'est une transition qu'il faut accepter et qu'il faut faire de manière acceptable, en expliquant bien les enjeux ».

Des solutions techniques venant des constructeurs, telle que la réduction de l'équipage grâce au Single Pilot, pourraient aider les compagnies aériennes à faire face à la hausse des coûts en leur permettant de trouver des gains par ailleurs. « Un certain nombre de sujets sur lesquels les constructeurs doivent travailler doivent donner de la performance économique aux compagnies aériennes pour leur permettre d'absorber la transition énergétique », a estimé pour sa part Stéphane Cueille.

Les challenges complexes des aéroports

De leur côté, les aéroports sont eux aussi confrontés à des challenges complexes. « Les aéroports ne découvrent pas aujourd'hui le problème d'acceptabilité et de confrontation entre la croissance, les besoins d'infrastructures et l'environnement », a rappelé Edward Arkwright, directeur général exécutif du Groupe ADP en charge de développement, de l'ingénierie et de la transformation, à l'occasion de la table ronde « CO2, bruit, emploi : l'impossible équation des aéroports ». Comment font-ils face ?


« Les défis auxquels nous faisons face sont d'une part locaux, tels le bruit, la qualité de l'air ou la congestion, et d'autre part globaux, tels le carbone », a noté John Holland-Kaye, directeur général de l'aéroport de Londres-Heathrow, premier aéroport européen en nombre de passagers, qui vient de dévoiler son plan pour une colossale extension d'ici à 2050 tout en misant sur zéro net émission de CO2.

Aucun aéroport ne peut résoudre tout seul le défi du carbone, a-t-il estimé, « mais nous pouvons prendre l'initiative et montrer que cela peut être réalisé et c'est quelque chose que nous les aéroports européens avons commencé à faire ». Quant au niveau local, « nous avons travaillé depuis dix dernières ans sur la compréhension des problèmes locaux pour arriver à un plan d'extension qui les traite » entre autres en minimisant les impacts négatifs et en bénéficiant à l'emploi.

« Il faut réexpliquer l'utilité sociale d'un aéroport », a enfin estimé le sénateur de Seine-Saint-Denis et ancien maire du Bourget, Vincent Capo-Canellas. A l'aune d'une attente qui n'a jamais été aussi forte et des objectifs environnementaux bien plus importants que par le passé, « il faut réinterroger l'ensemble de nos pratiques parce qu'il me semble qu'on est à un point critique », a-t-il résumé.

 Regarder les vidéos du Paris Air Forum

CO2, bruit, emploi: l'impossible équation des aéroports ?https://www.youtube.com/watch?v=YMlTgecSe5s

Plus d'avions, moins de pollution: mission impossible ?

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Commentaires 9
à écrit le 07/07/2019 à 10:51
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L' équation n'est pas difficile. Elle est impossible. Et, le système de compensation proposé est une vaste escroquerie. Les biocarburants développés à une échelle industrielle et respectueux de l'environnement cela n'existe pas. Peut on, aujourd'hui,...

à écrit le 06/07/2019 à 12:55
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Et si au lieu de reduire a un pilote on augmentait le prix derisoire de certains billets ceux inferieurs a 100 euros par exemple. Mettre un frein aux vols qui coutent moins que le trajet d'autoroutes pour se rendre a l'aéroport

à écrit le 06/07/2019 à 7:47
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Le meilleur moyen de forcer le transport aérien à faire des économies est de ne plus le subventionner par des détaxes. Comme l'absence de TVA sur les vols intra-européens, en contravention avec l'esprit des traités et de l'acte unique: Plus de cinq m...

à écrit le 05/07/2019 à 22:15
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En tout les cas ça pollue moins relativement qu'un SUV , les low cost qui remplissent bien leurs avions sont sur une moyenne de 70g/ km de co2

à écrit le 05/07/2019 à 16:26
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l’informatique mondiale pollue 2 fois plus que l’aviation avec une croissance supérieure, 40 % de l’électricité mondiale est faite avec du charbon ! Avec la 5G et l’internet des objets se sera l’explosion !

à écrit le 05/07/2019 à 15:08
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L'avion électrique sur courte distance sera une alternative au train (électrique lui aussi). A pile à combustible, c'est envisageable ? Question de puissance. Ensuite ça sera l'hydrogène qui posera problème, trop demandé...

à écrit le 05/07/2019 à 13:24
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"accusé d'être un gros pollueur," C'est un gros pollueur, un énorme pollueur même, on peut se passer des euphémismes qui ne font que voiler la vérité, merci.

à écrit le 05/07/2019 à 11:51
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Il n'y a pas solution pour résoudre TOUS les problémes liés à l'aviation... sauf à limiter le nombre d'avions. C'est économiquement impossible.TOUS les discours qui ne prennent pas en compte ce paramètre ne sont que MENSONGES.

le 05/07/2019 à 12:29
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On ne résoudra pas le problème des milliers de morts annuels sur les routes sans arrêter la circulation automobile : on interdit toutes les voitures ???? Et pour le CO², l'étape suivante, c'est interdire la climatisation et le chauffage ???

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