Les compagnies aériennes tablent sur une perte de 201 milliards de dollars entre 2020 et 2022

En ouverture de l'assemblée générale de l'IATA qui se tient à Boston, Willie Walsh, directeur général de l'association de compagnies aériennes, a pris le micro pour dresser le bilan de l'industrie du transport aérien. Un exercice au cours duquel il s'est fait fort de pourfendre les restrictions sanitaires sur les voyages au nom de la reprise de l'activité, mais se montrant bien plus discret sur la question des tarifs comme des coûts de carburants.
Willie Walsh, directeur général de l'IATA, a présenté sa première assemblée générale.
Willie Walsh, directeur général de l'IATA, a présenté sa première assemblée générale. (Crédits : Reuters)

Comme il est de coutume, l'assemblée générale de l'Association internationale du transport aérien (IATA), qui a pris ses quartiers à Boston le 4 et 5 octobre, est l'occasion de faire le point sur l'état de forme du transport aérien. A l'aune des 18 derniers mois d'une crise sans précédent, l'exercice s'est révélé d'autant plus intéressant. Le redressement de transport aérien dans le contexte de la pandémie de Covid-19 a ainsi largement marqué les débats, que ce soit sur les manières de regagner la confiance des passagers, de faciliter la connectivité en dépit des restrictions sanitaires mais aussi de retrouver un semblant de rentabilité économique.

« La pandémie de COVID-19 qui a pratiquement stoppé l'aviation mondiale en avril 2020 est maintenant pratiquement endémique », a déclaré Willie Walsh, directeur général de l'IATA, en ouverture de sa présentation de l'état de l'industrie du transport aérien. Loin de se montrer fataliste, l'ex-patron de British Airways et du groupe IAG, qui a pris les rennes de l'association le 1er avril, a enchaîné par une énumération de signaux encourageants : un trafic cargo qui dépasse de près de 8 % les niveaux d'avant-crise, la reprise du trafic domestique dans plusieurs pays, le bond dans les réservations internationales lors de l'annonce de la réouverture des frontières entre l'Europe et les Etats-Unis, prévue en novembre.

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De septembre 2001 à mars 2020

Faisant un parallèle avec la rupture brutale provoquée par le 11 septembre 2001 en termes de sûreté, Willie Walsh a salué la résilience du transport aérien tout en tançant les mesures de restrictions jugées inadaptées : « Aujourd'hui, le défi immédiat est COVID 19, ou plus exactement la réaction des gouvernements face au risque présenté par le virus. [...] La façon dont nos partenaires gouvernementaux gèrent les restrictions aux frontières doit cependant s'améliorer considérablement. »

Le lobbyiste en chef des compagnies aériennes a appelé à l'adoption d'une approche basée sur les risques, estimant que « voler n'était pas le risque » statistiques de contamination à l'appui. Il souhaite ainsi que toutes les restrictions soient levées pour les passagers vaccinés et que, étant donné que l'ensemble de la population mondiale n'avait pas encore accès aux vaccins, les tests devaient être financés par les gouvernements et permettre de voyager sans quarantaine.

Pour parfaire son réquisitoire, Willie Walsh a demandé une standardisation des différents systèmes certificats de santé numériques, à l'image du passe sanitaire européen, pour éviter que la reprise soit « compromise par des règles complexes "faites maison". » Il n'a pas manqué de rappeler l'existence du IATA Travel Pass au passage. Le dirigeant a tout de même conclu en saluant l'opportunité que représentait la tenue d'une conférence de haut niveau par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) le 12 octobre prochain, annoncée quelques minutes plus tôt par Salvatore Sciacchitano, président du conseil de l'agence onusienne.

52 milliards de dollars de pertes en 2021

Si Willie Walsh s'est montré si vindicatif, c'est que la situation reste fragile. Après avoir perdu 138 milliards de dollars l'an dernier, les compagnies aériennes vont encore perdre 52 milliards de dollars cette année et 12 milliards l'an prochain, le retour à l'équilibre n'étant attendu qu'en 2023. Si les prévisions de l'IATA s'avèrent exactes, ce sont 201 milliards de dollars qui auront été perdus en seulement trois ans, soit l'équivalent des bénéfices réalisés par les compagnies entre 2011 et 2019.

Bien que Willie Walsh ne l'ait pas évoqué, la question des prix est prégnante dans les conversations de l'assemblée générale. Afin de préserver autant que faire se peut l'activité dans le contexte de crise sanitaire, les tarifs pratiqués sont aujourd'hui très bas. Selon les statistiques de l'IATA, le prix moyen d'un aller-retour avant crise était de 310 dollars par personne, dans un volume de trafic de l'ordre de 4,5 milliards de passagers.

Au plus fort de la crise, en 2020, ce prix est tombé à 242 dollars alors que le nombre de passagers s'écroulait à 1,8 milliard. Une reprise progressive du trafic s'est certes opérée en 2021, avec une projection autour de 2,3 milliards de passagers sur l'année, mais cette petite embellie s'est faite au prix de tarifs très bas qui n'avaient parfois comme seul objectif que de couvrir les coûts variables des vols opérés (kérosène, maintenance, redevances, etc.). Selon l'IATA, les passagers ont ainsi dû débourser 214 euros en moyenne pour prendre l'avion en 2021.

Une situation tarifaire intenable

La chute du trafic affaires, plus durable que celle des trafics loisir ou affinitaire, contribue largement à cette chute des tarifs. L'adage veut que les classes avant des appareils représentent 30 % des passagers mais 60 % de la recette. Sans oublier les voyageurs corporate volant en classe économique, qui payent en général plus cher que les voyageurs de loisir en raison de réservations plus tardives et de la sélection d'offres flexibles.

Selon plusieurs acteurs du secteur, cette situation ne pourra pas perdurer encore très longtemps. Une remontée des tarifs devra s'amorcer dans les prochains mois si les compagnies veulent entrevoir un retour à l'équilibre. Encore faut-il qu'un groupe majeur prenne le risque de lancer le mouvement. L'IATA semble tout de même confiante à ce sujet : en sus d'une remontée du trafic à 3,4 milliards de passagers annuels en 2023, elle entrevoit une remontée des tarifs aux alentours de 228 dollars en moyenne. Celle-ci pourrait être dopée par la reprise des vols entre l'Europe et les Etats-Unis, habituellement très rentables, à partir de novembre.

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Le prix du kérosène flambe

Cette question devient d'autant plus pressante que les coûts du kérosène se sont envolés depuis mi-2020, avec une hausse de 60 % en un an. Evalué à 77 dollars en moyenne en 2019, le prix du baril a chuté à 47 dollars en 2020, avant de retrouver son niveau d'avant crise dès cette année. Le prix du baril de kérosène est ainsi estimé à 74,5 dollars cette année. Pour l'instant, le couvertures prises pendant la crise permettent de limiter l'impact mais les effets devraient se faire ressentir de plus en plus fortement dans les prochains mois.

En dépit de ces chiffres, Sebastian Mikosz, vice-président principal en charge de l'environnement et de la durabilité, s'est voulu rassurant. Il estime que cette forte hausse est en train de s'atténuer, avec même une légère décrue en septembre. L'IATA prévoit une augmentation de 4 % seulement du prix moyen du baril de kérosène en 2022, à 78 dollars.

L'impact à venir du zéro émission

Et c'est dans ce contexte sinistré que l'IATA vient de s'engager dans un pari, sans doute nécessaire, mais risqué : atteindre le « zéro émission nette » d'ici 2050. Selon Willie Walsh lui-même, cela coûtera 2 000 milliards de dollars au transport aérien sur trente ans. Les carburants aériens durables (SAF), qui deviendront le principal levier de décarbonation, coûtent 3 à 4 fois plus cher que le kérosène. L'arrivée de l'hydrogène, si elle se concrétise à partir de 2035, nécessitera d'énormes investissements dans la flotte comme dans les infrastructures. Sans compter le coût des compensations carbone dans le cadre du programme Corsia de l'OACI entré en vigueur cette année.

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Commentaires 3
à écrit le 05/10/2021 à 11:13
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Ce ne sont pas les écologistes qui nuisent au transport aérien ! Il était déjà mal en point en 2019, le covid l'a achevé en 2020. Les raisons ? Un modèle économique imbécile, le «bas-coût/bas-prix» (low-cost). Les prix des billets étant inférieurs au...

à écrit le 05/10/2021 à 9:44
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Chez eux une perte n'est qu'un manque a gagner... ce ne sont que des prévisions et non une catastrophe!

à écrit le 05/10/2021 à 8:18
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Économie aberrante s'il en est, quand est-ce qu'on taille dans le gras là dedans ? L'avion oui mais sous perfusion d'argent public non.

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