Procès du Rio-Paris : le changement des sondes Pitot aurait-il pu éviter le crash de l'AF447 d'Air France ?

Si Thales n'est pas sur le banc des accusés au côté d'Air France et d'Airbus, ses sondes AA sont tout de même au cœur de l'audience sur l'accident du vol AF447. Pour autant, selon certains, il n'est pas dit qu'un changement de modèle aurait pu éviter le crash survenu dans la nuit du 1er juin 2009. Explications.
Léo Barnier
Evènement déclencheur du drame de l'AF447, le givrage des sondes Pitot Thales AA aurait pu survenir sur un autre modèle.

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Est-ce que le vol AF447 aurait disparu en mer le 1er juin 2009 s'il avait été équipé d'autres sondes Pitot que les sondes AA de Thales ? C'est l'un des axes d'attaque préférentiels des parties civiles pour démontrer la responsabilité - et donc la culpabilité - d'Airbus et d'Air France dans l'accident de l'A330 entre Rio et Paris. Il a pour objectif principal de montrer qu'en dépit d'une multiplication franche du nombre d'incidents en 2008 et début 2009, aucun des grands protagonistes ne s'est saisi du problème avec une action forte.

Selon cette perspective, Air France a tergiversé avant d'appliquer un bulletin de service (SB) d'Airbus de 2007 (révisé en 2008) conseillant de remplacer les sondes Thales C16195AA (dites « AA ») par des C16195BA (dites « BA »), tandis qu'Airbus n'a pas rendu ce bulletin de service obligatoire, et que l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) ne s'est pas saisi du sujet avec l'émission de consigne de navigabilité (Airworthiness Directive ou AD). A l'inverse, Air Caraïbes est louée pour sa décision d'avoir changé ses sondes très rapidement après les deux incidents de givrage survenus à l'été 2008, un peu moins d'un an avant l'accident de l'A330 d'Air France.

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Une multiplication d'incidents

Selon le premier rapport d'expertise, 43 incidents liés à un givrage de sondes sur la flotte A330/340 ont été signalés à Airbus entre 2004 et août 2009, dont 18 n'ont été rapportés au constructeur qu'après l'accident du Rio-Paris. D'après les auteurs de ce rapport : « ces évènements ont eu une fréquence très basse, de 1 à 2 par an. Les occurrences reportées ont progressivement augmenté, 3 en 2006, 4 en 2007 puis 17 en 2008. ». Entre janvier et début août 2009, 16 événements supplémentaires viennent alourdir le décompte, sans que les causes de cette accélération soudaine ne soient jamais pleinement identifiées. Certains mentionnent des problèmes de corrosion sur les sondes Thales AA à partir de 10.000 heures de vol, tel que l'a indiqué quelques années plus tôt une analyse interne du groupe français, d'autres explorent la piste du réchauffement climatique.

Ce qui est sûr, c'est que l'immense majorité des cas concerne des sondes Thales AA, contre seulement six pour les Thales BA et trois pour les Goodrich. Interrogé ce mardi lors du procès, Jean-Paul Troadec, l'ancien directeur du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) entre octobre 2009 et 2013, met tout de même en garde contre un éventuel biais statistique en fonction du nombre d'avions équipés de chaque modèle de sonde, déclenchant par là même une légère moue sur le visage de Sylvie Daunis, la présidente du tribunal. Si, comme le signale l'ancien enquêteur, il y avait alors beaucoup plus de sondes Thales AA, certifiées en 1998, que de BA arrivées neuf ans plus tard, la démonstration est moins évidente avec les sondes Goodrich, en service depuis 1996 et installées comme équipement de série sur les A330.

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Retour rapide à la normale

Comme l'avancent plusieurs avocats des parties civiles, force est de constater qu'à partir de la mi-2009, le nombre d'occurrence redevient dans les standards connus avant 2008. Et cela correspond au retrait des sondes Thales AA du service. Ce mouvement avait déjà été amorcé par certaines compagnies dès fin 2008 comme Air Caraïbes et XL Airways, mais aussi par Air France. Après de longues discussions avec Airbus face à la multiplication d'incidents - le quart des occurrences touche la compagnie française avec notamment neuf incidents entre mai 2008 et mars 2009 - celle-ci a fini par décider de changer l'intégralité des sondes de sa flotte A330 le 27 avril 2009. Les premières modifications sont effectives le 30 mai, mais celles de l'A330 F-GZCP n'auront pas eu le temps d'être changées.

Le retrait se concrétise véritablement avec l'émission d'une consigne de navigabilité de l'EASA fin août 2009. Elle demande l'abandon des sondes Thales AA et un panachage entre des sondes Goodrich en position 1 (poste de gauche) et 3 (secours) et des sondes Thales BA en position 2 (poste de droite).

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Le changement de sonde n'est pas tout

Pour autant, certains acteurs du procès ne veulent pas y voir un lien de cause à effet direct, qui ferait reposer la responsabilité du crash sur la seule défaillance des sondes. Alain Bouillard, qui a dirigé l'enquête du BEA sur l'accident du vol AF447 et interrogé aux côtés de Jean-Paul Troadec, prévient que la question est « sensible » et mérite d'être traité avec attention. Il indique ainsi qu'au-delà du changement de sondes, « beaucoup d'actions correctives ont été mises en place ».

L'ancien enquêteur cite ainsi la plus grande sensibilisation des pilotes à ces situations, évidente au vu du drame de l'AF447, alors que les communications faites jusque-là par Airbus et Air France n'avaient pas « accroché » comme l'ont signalé le premier collège d'experts interrogés au début du procès. Pour lui, cela a amené une meilleure préparation des vols et, sans doute, davantage d'évitements de masses nuageuses potentiellement givrantes.

Alain Bouillard indique également des évolutions dans les procédures (récupération du décrochage, suppléance du commandement de bord), le fonctionnement des automatismes (désactivation des directeurs de vol) ou encore la formation continue (entraînements réguliers à la récupération de décrochage, notamment en haute altitude, entraînement supplémentaire à la procédure IAS douteuse). Il juge ainsi que « changer les sondes sans changer les comportements » n'aurait pas forcément abouti à « un retour à la normale ».

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Toutes les sondes auraient gelé

Un avis qui pourrait être possiblement partagé par Gilles Le Barzic, membre du collège ayant mené la dernière contre-expertise en 2017. Lors de son témoignage en début de semaine, il a rappelé tout d'abord que toutes les sondes gèlent sous certaines conditions, Thales comme Goodrich. De fait, il a affirmé, qu'au vu des conditions rencontrées par l'AF447 au-dessus de l'Atlantique sud dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, n'importe laquelle des sondes alors en service aurait gelé.

Cette nuit-là, l'A330 d'Air France évoluait dans un domaine qui dépassait les critères de certification des sondes Pitot, reconnu obsolète par la plupart des témoins interrogés sur ce sujet lors du procès. La réglementation fixait alors une exigence de fonctionnement jusqu'à une altitude de 30.000 pieds et une température de -30°C, loin du domaine de vol des avions long-courriers depuis de longues années. Une obsolescence qui avait d'ailleurs conduit Airbus à demander des exigences supplémentaires à ses équipementiers Thales et Goodrich pour avoir des sondes capables d'évoluer à 40.000 pieds et -40°C. Si l'AF447 évolue à 35.000 pieds, Gilles Le Barzic indique que la température extérieure est de -43°.

Bien plus que la température, c'est surtout la « très forte concentration de cristaux de glace » dans l'air qui pousse le contre-expert à affirmer qu'il est « certain » que tous les types de sondes auraient gelé. Il se base pour cela sur des essais comparatifs menés dans un banc d'essai spécialisé du Conseil national de recherche du Canada (NRC), avec des conditions représentatives de celles rencontrées par l'AF447 à savoir une concentration de cristaux de glace de 11,8 g/m3 au minimum avec une vitesse de l'ordre de Mach 0.80.

Selon les résultats de ces tests, tels que rapportés par Gilles Le Barzic, la sonde Goodrich 0851HL placée en position n°1 (à gauche) a givré à une concentration de 6 g/m3 et la sonde Thales BA à une concentration de 6,5 gm/3. Il en conclut donc que même si ces sondes sont plus résistantes que les Thales AA, elles auraient gelé aussi bien que ces dernières et, cela, quelle qu'ait été leur position sur l'avion. Seule la position n°3 n'a pas été testée. Si Gilles Le Barzic précise qu'elle est la mieux protégée des trois, il estime qu'au vu des performances mesurées, les sondes Thales BA et Goodrich 0851HL y auraient également givré.

Léo Barnier

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Commentaires 14
à écrit le 07/10/2023 à 10:14
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en tant qu'ancien météo militaire aviation je trouve que la déclaration du cdb "on ne va pas se laisser emm..par des cunimb" conduisant au non évitement de ces nuages dangereux alors que tous les autres vols de même créneau horaire ont fait un détour...

à écrit le 29/09/2023 à 23:46
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Les sondes Pitot ont 291 ans. Le Lockeed Constellation (pour ne parler que de lui) possédait DÉJÀ un dispositif de réchauffage des (DEUX) sondes. (qui N'A PAS été activé lors de la perte du Badin sur L'AF447). Alors la bataille entre les modèles, l...

à écrit le 29/09/2023 à 23:44
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Les sondes Pitot ont 291 ans. Le Lockeed Constellation (pour ne parler que de lui) possédait DÉJÀ un dispositif de réchauffage des (DEUX) sondes. (qui N'A PAS été activé lors de la perte du Badinb sur L'AF447). Alors la bataille entre les modèles, ...

à écrit le 29/09/2023 à 23:44
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Les sondes Pitot ont 291 ans. Le Lockeed Constellation (pour ne parler que de lui) possédait DÉJÀ un dispositif de réchauffage des (DEUX) sondes. (qui N'A PAS été activé lors de la perte du Badinb sur L'AF447). Alors la bataille entre les modèles, ...

à écrit le 10/11/2022 à 20:07
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Comme vous l'avez bien noté, les sondes Goodrich était montées en série sur les A330 Airbus. C'est Air France qui a voulu que ses A330 soient équipés avec Thalès. Sensibilité franco-française ? La petite réflexion d'Alain Bouillard ( parfaitement jus...

le 12/11/2022 à 10:57
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Il y a fort à parier que changer la mentalité et le comportement du constructeur est absolument impossible , alors pourquoi se fatiguer ? Il lui suffit de quelques déclaration comme celle que vous citez et d’inonder la «presse» d’informations fausses...

le 16/11/2022 à 13:45
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Vous etes bien defaitiste vis a vis du constructeur Le desengagement des DV est effectué par une AD La creation d'une annonce ECAM du type IAS UNRELIABLE avec la procedure IAS DOUTEUSE associée quand la moyenne des 3 vitesses chute d'au moins 30kt...

à écrit le 10/11/2022 à 16:21
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L'argument des sondes pitots comme cause de l'accident n'est pas defendable il y a au moins cinq defauts majeurs de conception/information/formation des Airbus qui ont été légèrement évoqués et qui ont fortement contribués à la sortie de domaine et ...

à écrit le 10/11/2022 à 13:35
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A l'heure des satellites, les sondes Pitot ne sont elles pas un peu anachroniques?

le 10/11/2022 à 16:09
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L'industrie est impatiente de vos propositions...

à écrit le 10/11/2022 à 9:41
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La théorie voudrait que de part leurs formations et les dures et longues séances aux simulateurs que les pilotes soient formés pour réagir à une question aussi banale que le risque de décrochage d’un avion. Certes, le givrage est regrettable mais qu...

le 10/11/2022 à 14:38
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Ce n'est pas propre à l'aéronautique mais bien souvent il y a une succession d'événements en cause , ici un incident technique auquel s'ajoute une réaction humaine inappropriée ? incontrôlée ? sous l'effet de la panique ? etc...

le 10/11/2022 à 16:14
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On peut effectivement penser que les simulateurs d'Air Inter satisfaisaient au besoin de gestion d'un avion. Par contre, insister sur les possibles contraintes météo vers les zones tropicales/équatoriales, pas sûr que cela ait été le quotidien des fo...

le 11/11/2022 à 10:22
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Lorsque les gens sont correctement formés la panique n'a pas sa place.

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