Procès du Rio-Paris : comment Airbus soutient la thèse de l'erreur de pilotage sans accabler les pilotes d'Air France de l'AF447

Devant une salle comble, Airbus a débuté son interrogatoire dans le procès de l'accident de l'AF447, l'A330 d'Air France tombé en mer le 1er juin 2009. Si le constructeur ne démord pas de l'erreur de pilotage, il se garde bien de remettre en cause la compétence intrinsèque des pilotes montrant même qu'ils ont agi efficacement à un (seul) moment.
Léo Barnier
Après Air France, c'est au tour d'Airbus de passer à la barre.
Après Air France, c'est au tour d'Airbus de passer à la barre. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

La salle d'audience 2.01 du tribunal correctionnel de Paris n'avait pas été aussi remplie depuis le premier jour du procès de l'accident du Rio-Paris. Une seule raison à cela : la présence d'Airbus à la barre. L'intérêt pour l'interrogatoire du constructeur dépasse ainsi celui d'Air France la semaine passée. Pendant sept heures son représentant, Christophe Cail, ancien chef pilote d'essai chez Airbus et actuellement conseiller opérationnel du directeur de la sécurité des vols, a répondu aux nombreuses questions des juges - ou plus exactement aux questions de l'une des trois juges qui a littéralement pris l'interrogatoire en main. Sans véritable rebondissement, cette séquence s'est tout de même distinguée par un infléchissement de la position d'Airbus vis-à-vis des pilotes. Ou du moins une recherche de subtilité.

Se voulant didactique, Christophe Cail a demandé à débuter son interrogatoire par une nouvelle vidéo avec une modélisation numérique reproduisant les derniers instants du vol. Si cette requête a été acceptée, la présidente du tribunal a tout de suite posé des limites à l'exercice. Le représentant d'Airbus n'a pas eu le droit de séquencer la vidéo pour appuyer sa démonstration, et a dû se contenter de commenter en direct et sans pause les quatre dernières minutes du vol AF447.

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Pas de couple à cabrer à TO/GA

Par la suite, beaucoup de domaines déjà largement étudiés ces dernières semaines (sondes, classification de la panne, procédures, directeurs de vol...) ont été à nouveau explorés à la lumière des réponses d'Airbus. Apportant souvent des précisions par rapport aux précédents témoins sur la communication faite aux compagnies et pilotes, sur le ressenti du deterrent buffet à bord (vibrations préalables au décrochage), sur les indications de perte de vitesse ou les lois de pilotage, Christophe Cail s'est parfois opposé à certains d'entre eux sur des points précis.

L'ayant lui-même fait lors d'essais, il a fermement affirmé que lors d'une mise en poussée maximale (« take-off/go-around ») en haute altitude, l'effet de couple pouvant faire monter l'avion était quasiment imperceptible, voire nul contrairement à ce qu'avaient déclaré certains pilotes avant lui. Cette poussée maximale, prévue dans la procédure de décrochage à l'époque mais supprimée peu de temps après, n'a donc pas fait monter l'avion à l'insu des pilotes, n'était pas préjudiciable à la sécurité et pouvait donc être appliquée. Pour rappel, selon le changement de procédure décidé à là suite d'un autre accident quelques mois plus tôt, là où il fallait mettre simultanément la poussée maximale et une action à piquer, l'objectif prioritaire était désormais de réduire en premier lieu l'incidence en faisant baisser le nez et ensuite ajuster la poussée.

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Un équipage intéressant

Pourtant, c'est à travers deux autres séquences que le représentant d'Airbus s'est illustré, en évoquant l'attitude des pilotes. La ligne de défense du constructeur n'a pas évolué, à savoir que ce sont les actions des pilotes qui ont sorti l'A330 de son domaine de vol et que certaines actions sont incompréhensibles à ses yeux, mais Christophe Cail a introduit une subtilité. L'ancien pilote d'essai a valorisé l'équipage, montrant qu'à un certain moment celui-ci a fonctionné à nouveau : « Je trouve intéressant cet équipage qui veut maîtriser la trajectoire et qui commence à bien faire ». Il fait ainsi référence à la courte séquence qui s'est déroulée une vingtaine de secondes après la déconnexion du pilote automatique consécutive à la perte d'indications de vitesse.

A ce moment-là, le pilote aux commandes (pilote en fonction ou PF) a déjà appliqué « une action à cabrer qui fait augmenter l'assiette de l'avion jusqu'à 11° en dix secondes » selon le rapport du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA). Une action à cabrer qui ne s'explique pas Christophe Cail, que ce soit par la correction de la perte (fictive) de 300 pieds (90 m), l'effet de sursaut ou encore l'impression de survitesse.

Pour la suite, en se référant aux enregistreurs de vol, le représentant d'Airbus estime que le pilote non en fonction (PNF, chargé des communications, de la lecture des check-lists et de la supervision du pilote aux commandes) contient alors l'effet de surprise et reprend son rôle de « monitoring ». Il lit les informations sur le système de surveillance électronique centralisée de l'avion (ECAM) et ordonne au pilote aux commandes de redescendre. Pour l'ancien pilote d'essai, le PNF remplit alors pleinement sa fonction, avec « autorité », ce qui a un effet positif avec un pilote aux commandes qui « obéit ». Celui-ci « fait alors plusieurs actions à piquer qui ont pour conséquence de réduire l'assiette et la vitesse verticale », comme le rapporte le BEA.

C'est alors que le PNF sort à nouveau de son rôle, selon Christophe Cail, qui n'« explique pas pourquoi il arrête son monitoring » pour basculer les instruments du pilote aux commandes sur des sources anémométriques et inertielles de secours, et appelle à de nombreuses reprises le commandant de bord, alors en phase de repos. Selon le représentant d'Airbus, il l'appelle sept fois en 35 secondes.

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Des possibilités de s'en tirer

A travers cette déclaration, Christophe Caille tente visiblement de montrer que lorsque l'équipage a rempli son rôle, la situation était maîtrisable même après les premières actions à cabrer : « C'est dramatique car là, ils avaient vraiment une occasion de s'en sortir. S'il (le pilote non en fonction) avait continué son monitoring, le pilote de droite (pilote en fonction), qui est sans doute un peu perdu à ce moment-là, aurait continué à descendre ». De fait, dès la fin de cette séquence de travail en équipage, le pilote en fonction reprend ses actions à cabrer qui entraîne le déclenchement de l'alarme de décrochage.

A en croire Airbus, si l'équipage était allé « jusqu'au bout », il aurait pu récupérer l'appareil à ce moment-là et s'en sortir sans dommage. « S'ils étaient redescendus, nous ne serions pas là aujourd'hui » a ainsi affirmé Christophe Cail. Cela rejoint la démonstration faite par le constructeur dans les premiers jours du procès, vidéo à l'appui, pour signifier que la situation n'était pas encore inextricable et que l'avion était récupérable si l'équipage avait mis en place la procédure unreliable airspeed indication -avec l'application immédiate des actions de mémoire - pour stabiliser la trajectoire et disposer du temps nécessaire pour aller chercher dans la documentation la suite de la procédure.

De quoi pousser la thèse de l'erreur de pilotage sans accabler les pilotes, du moins individuellement. L'ancien pilote d'essai les a d'ailleurs salué dans le cockpit cette nuit-là : « Pourquoi cela n'a pas marché ? Chaque pilote est sans doute un bon pilote, avec tous les tests qu'ils ont faits. Ils sont passés par le moule et sont au moins standard, mais c'est l'équipage qui n'a pas fonctionné. »

Léo Barnier

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Commentaires 5
à écrit le 17/11/2022 à 9:29
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La démonstration video d'Airbus est de la poudre aux yeux ! On ne me fera pas croire que les deux pilotes avant le debrayage PA avaient les yeux sur leur PFD puisque le PA faisait parfaitement son travail et maintenait la trajectoire. Ce ne sont p...

à écrit le 17/11/2022 à 8:50
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Tout ça s'inscrit dans la politique du dos rond entre partie dont une fois de plus est absente la DGAC pourtant responsable de tout ce qui est la surveillance de l'entièreté, de l'avion à la formation des pilotes. Ensuite de 50 années d'instruction...

le 17/11/2022 à 18:02
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Sauf que …. sur un planeur, un calculateur croyant savoir piloter ne vous déroule pas le trim jusqu’à plein cabrer lorsque vous atteignez les basses vitesses . Les choses sont loin d’être aussi simples que ce que vous semblez croire…. En fait, le vid...

à écrit le 15/11/2022 à 14:30
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Beaucoup de bavardages et la seule vraie question n'est jamais traitée : le directeur de vol était affiché pendant le drame. Pourquoi le directeur de vol continue d'afficher une consigne alors que le pilote auto lui est désengagé à cause de l'incohér...

le 16/11/2022 à 13:32
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Bonjour, C'est fait depuis l'AD 2011-0199R1 sur A 330 et surement sur les autres types de la gamme Airbus

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