Quel sera le visage du voyage aérien dans le monde d'après ?

A l'occasion du Paris Air Forum, Anne Rigail, directrice générale d'Air France, Edward Arkwright, directeur général exécutif d'ADP et Michel Dieleman, président de l'association française du travel management (AFTM), ont essayé d'imaginer les grandes tendances du transport aérien de demain.

Quel sera le visage du "monde d'après" pour les compagnies aériennes, les aéroports et le voyage d'affaires ? Difficile à dire tant il demeure d'inconnues dans l'équation. Première étape : l'arrivée d'un vaccin et son efficacité. Diverses hypothèses circulent (fin d'année, printemps). Mais une fois mis au point, il faudra plusieurs mois supplémentaires avant que des campagnes massives assurent une immunité solide pour l'ensemble de la population. Pour autant, malgré ces annonces encourageantes, Anne Rigail, la directrice générale d'Air France, ne change pas ses scénarios de reprise « nous attendons à un retour du trafic à son niveau de 2019 aux alentours de 2024. Ce qui compte, c'est d'accompagner cette reprise. On suivra de près les vaccins, les traitements, les tests et l'harmonisation des protocoles sanitaires qui pourront redonner confiance aux voyageurs », a-t-elle déclaré. Pour le quatrième trimestre 2020, Air France annonce 30 % d'offre sur son réseau long courrier, tiré par une activité fret dynamique, mais seulement 15 % sur les vols court et moyen courriers. Reste qu'une année de trafic très réduit (- 66 % en moyenne pour les compagnies selon l'IATA) aura nécessairement des répercussions sur la santé économique des acteurs de l'aérien. La directrice générale d'Air France a déjà observé quelques faillites (Flybe au Royaume-Uni, Compass Airlines et Miami Air aux Etats-Unis, Avianca en Colombie, LATAM au Brésil) et un début de consolidation (Korean Air qui rachète Asiana Airlines). Mais pour elle « la question, c'est la durée des aides de l'Etat par rapport à l'incertitude de la reprise du trafic ». Anne Rigail estime que la compagnie française possède de nombreux atouts : flexibilité commerciale, réseau très équilibré, marché domestique plutôt résistant, une destination Antilles qui avait bien repris après le premier confinement et l'Afrique toujours résiliente. « La France reste la première destination touristique mondiale. Je suis assez confiante pour l'avenir » ajoute-t-elle.

Le « bleisure », nouveau mode de voyage hybride

Edward Arkwright, directeur général exécutif d'ADP (Aéroports de Paris) estime lui aussi que le trafic reviendra à des niveaux pré-crise vers 2024, avec un bémol concernant la croissance du marché.

« Est-ce qu'on retrouvera les dynamiques de croissance d'avant crise ? C'est une autre histoire. Depuis trente ans, à chaque fois que le transport aérien a subi un choc fort, celui-ci a été absorbé, mais la dynamique s'est affaiblie », a-t-il expliqué.

La problématique principale pour les aéroports étant de mettre de la souplesse dans des infrastructures figées dans une segmentation de flux entre zones Schengen et non Schengen. Pour que l'expérience du passager atterrissant à Paris soit aussi qualitative après qu'avant la crise, Edward Arkwright déclare qu'ADP « proposera une offre commerciale identique et un service (qualité de l'air, nettoyage) équivalent ». Le groupe aéroportuaire va aussi développer les solutions de smart airport pour mieux réguler les flux de passagers. De son côté, Air France continuera d'appliquer certaines consignes d'hygiène dans le monde d'après (gel hydroalcoolique, produits de nettoyage virucides dans les cabines) mais Anne Rigail espère que masques et tests ne seront plus d'actualité.

Pour Michel Dieleman, président de l'AFTM (Association Française du Travel Management), « l'enjeu majeur, c'est la réouverture des frontières et de la liberté de circulation. Il existe de grandes disparités dans l'application des mesures sanitaires au niveau mondial et même la Zone Schengen n'est pas uniforme. Organiser des déplacements professionnels en ce moment, c'est très compliqué ». Le monde aérien post-Covid devra aussi être plus compatible avec les préoccupations environnementales. L'« avion bashing » concernant l'empreinte carbone de l'aérien ne vont pas disparaître avec le virus. La pression de la clientèle et des personnels est forte selon Anne Rigail, qui prévoit des « voyages plus raisonnés, avec un mélange de séjours d'affaires et de loisirs sur un temps plus long ». Un nouveau mode de voyage hybride appelé « bleisure » (contraction de business et leisure).  Air France a également intégré aux contrats professionnels pour les grands comptes des offres de compensation carbone avec achat de carburant durable.

Une classe affaires en mutation

Pour Edouard Arkrwight, « l'exigence environnementale est là. Il ne s'agit pas de quelques refus de voler (flygskam ou honte de voler) : c'est une demande globale de la société vis-à-vis du transport aérien ». Ce qui est certain, c'est que le voyage d'affaires a pris de plein fouet la crise sanitaire avec une baisse d'activité chiffrée à 20 à 30 %, selon Michel Dieleman : « le télétravail a explosé et la digitalisation des réunions va avoir un impact énorme. Il va falloir mieux préparer les déplacements professionnels. Le besoin de contact humain reste incontournable. Les voyages d'affaires auront toujours leur place dès que cette pandémie disparaîtra. Mais les Paris-Lyon ou Paris-Toulouse en avion quatre fois par mois pour des meetings d'une heure n'ont plus de sens ». D'autant moins que les vols inférieurs à 2H30 vont disparaître du catalogue d'Air France sous la pression du gouvernement.

La compagnie nationale croit beaucoup à l'intermodalité et travaille toujours plus étroitement avec la SNCF pour élargir l'offre train plus avion (14 villes, plus Bordeaux bientôt, reliées aux deux aéroports franciliens). ADP inclut aussi cette composante ferroviaire  - la connexion TGV génère 10 % du trafic passager de Charles de Gaulle - dans ses nouveaux parcours passagers. Ces changements annoncés sonnent-ils la mort de la classe affaires en long courrier ? Certainement pas pour Michel Dieleman, pour qui « il y a une prise de conscience dans les entreprises pour passer des voyages en courts courriers au train, et utiliser les économies réalisées pour offrir de meilleures conditions aux voyageurs long courrier ». La RSE (responsabilité sociétale des entreprises), que l'AFTM a renommé RSV (responsabilité sociétale du voyageur) dans son dernier livre blanc, est une tendance de fond qui va certainement s'amplifier.

Pour Anne Rigail, le report des passagers affaires vers la classe premium et la classe économique date de la crise financière de 2008. Pour elle, la classe affaires est un terme historique qui ne décrit plus la nouvelle réalité : « aujourd'hui, la moitié des clients première et business voyagent pour des motifs personnels. Nous avons un atout, ce sont nos 32 Boeing 777 pour lesquels nous savons adapter au jour le jour la capacité de la classe avant (où se trouvent les sièges business et première Ndr) ». Avec son plan de transformation, le groupe espère améliorer de 1,2 Md€ son résultat opérationnel à horizon 2022.

« Il faudra bien sûr s'adapter à l'évolution de la demande. Mais l'homme est un animal social et curieux, le plaisir de la découverte et du voyage ne disparaîtra pas avec cette crise sanitaire » conclut Anne Rigail, confiante dans le futur de l'aviation commerciale dans un monde post-Covid.

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