Sept milliards d'euros d'aides d'État à Air France fin mai, une recapitalisation d'Air France-KLM aujourd'hui dans les tuyaux à hauteur de six milliards d'euros selon Le Monde, dont trois apportés par l'État français. Devant ces sommes colossales, représentant les deux-tiers du chiffre d'affaires annuel d'Air France avant crise, Marc Rochet, le vice-président d'Air Caraïbes et Président de French Bee, deux compagnies du Groupe Dubreuil et de CMA CGM, a réagi avec vigueur ce lundi lors de la quatrième journée du Paris Air Forum, organisé par La Tribune.
"Je regrette le manque d'équité. On est aujourd'hui face à des mesures qui sont sans commune mesure avec la réalité du terrain. Quand vous regardez les chiffres avancés aujourd'hui dont Air France a besoin, nous sommes sur des montants colossaux, qui représentent en gros, de manière arrondie, 200.000 euros par salarié ! En ce moment, on parle d'une crise très grave dans le petit commerce qui représente 1,5 million d'emplois en France et dont l'aide se situe entre 1.500 et 10.000 euros par salarié [une aide mensuelle par entreprise en fait, Ndlr]. Il y a quelque chose d'inconcevable. Cette disparité se retrouve dans le transport aérien. S'il y avait eu un plan global d'aides au transport aérien sur des bases équitables, cela m'aurait semblé de nature à pouvoir consolider la présence du pavillon français et à se projeter dans l'avenir", a-t-il déclaré.
Distorsion de concurrence
Jean-François Dominiak, le président du syndicat des compagnies autonomes (Scara) et PDG d'ASL Airlines France, abonde dans ce sens.
"Au niveau Scara, nous avons déploré dès le départ que l'aide de 15 milliards d'euros [du plan de relance de l'aéronautique, Ndlr] ait été focalisée essentiellement sur l'industrie aéronautique et le groupe Air France. Le transport aérien, ce n'est pas que le groupe Air France, il y a une multitude d'entreprises dont certaines n'ont pas obtenu de prêts garantis par l'État. C'est pour cela que nous avons demandé dès le départ la création d'un fonds d'un milliard d'euros pour les compagnies autres que celles du groupe Air France", a-t-il indiqué. Car, en agissant ainsi, "l'État crée fatalement des distorsions de concurrence. L'État va dire qu'il est actionnaire d'Air France, mais c'est un actionnaire particulier qui a de l'argent public. Ça pose un réel souci d'équité", a ajouté Jean-François Dominiak.
Restructuration
Ce discours sur les aides rejoint très vite celui des contreparties demandées par le gouvernement pour améliorer la compétitivité d'Air France. Alors qu'Air France va supprimer 8.500 postes d'ici à 2022 et espère améliorer sa performance opérationnelle de 1,2 milliard d'euros d'ici-là, Marc Rochet ne semble pas convaincu.
"Aujourd'hui, on est en train de mettre l'argent des contribuables, qui est un argent sacré, à coup de canadairs sans envisager comment il faut se transformer. Je suis parmi les gens qui ne sont pas dans le déni. Même pour Air Caraïbes et French Bee, je n'imagine pas qu'en 2022, 2023, on fonctionnera comme aujourd'hui. Ce n'est pas possible, la clientèle aura changé, les trafics auront changé, les contraintes auront changé, il faut se transformer. Si on ne fait que donner de l'oxygène aux patients, oui ça lui permet de survivre un peu plus, mais cela ne lui permettra certainement pas d'être un marathonien après-demain. [...] Les mesures de réduction de coûts d'Air France, elles me laissent confiant dans l'avenir d'Air Caraïbes et de French Bee", a-t-il asséné.
Pour rappel, Air Caraïbes et French Bee sont les compagnies aériennes françaises les plus performantes en termes de structure de coûts.
Simplification de la réglementation
Pour se réformer, Marc Rochet demande une simplification de la règlementation du transport aérien et l'arrêt du chevauchement entre le code de l'aviation civile, datant de 1954, et la réglementation européenne. Alain Battisti, le président de la fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) et PDG de Chalair, va dans le même sens.
"Etre aidé, c'est fondamental, car on ne sera pas vivant si on ne reçoit pas d'aides. Il y a un problème de survie. Mais quand on observe ce qui se passe en Europe, des gens qui vivent dans des règles qui sont assez proches des nôtres, notamment en matière de droit social, il y a des plans de restructuration qui sont drastiques. Tous les grands groupes européens ont massivement cloué au sol leurs avions, fermé des filiales... Aujourd'hui, la clé, c'est de travailler l'interne. Bien sûr, il faut imaginer des plans de redémarrage, des programmes qu'il faut ajuster à la demande, garder les compétences, mais il faut d'abord réduire ses coûts. L'aéronautique moderne, et les low-cost, l'ont démontré depuis 20 ans. Ce travail sur les coûts, cela peut paraître limitatif, en France malheureusement, comme on n'a pas le courage d'engager la simplification de la réglementation, et que l'on a du mal à prendre des décisions qui seront mal interprétées politiquement ou socialement, on est en train de prendre du retard", a-t-il dit.
L'État aide toutes les compagnies, dit Jean-Baptiste Djebbari
Pour le ministre des transports, Jean-Baptiste Djebbari, "l'État aide toutes les compagnies aériennes".
"L'État a mis en place des dispositifs différents en fonction des compagnies, en fonction de leurs besoins, pour toutes les compagnies qui en ont fait la demande. L'État a aidé et a essayé de trouver les dispositifs d'aides les plus adéquats. C'est un souci constant pour Bercy et le ministère des transports de [faire en sorte que] les opérateurs français puissent ressortir de la crise à égales capacités d'agir", a-t-il déclaré vendredi lors de la première journée du Paris Air Forum.
Ce dernier a validé son soutien à Corsair. Selon nos informations, l'État va accorder un prêt de plus de 100 millions d'euros pour accompagner la reprise de la compagnie par de nouveaux actionnaires. Ce plan s'accompagne d'une restructuration lourde de la compagnie.
"Il est indispensable de mener des mesures de restructuration profondes, à la hauteur de la crise. Le monde de demain sera plus dur que le monde d'avant. C'est pour cela que nous avons décidé de faire un "reset" avec une obsession sur les coûts et la 'variabilisation' des coûts", a expliqué Pascal de Izaguirre, le PDG de Corsair. Et d'ajouter : les personnels ont compris que s'ils ne faisaient pas d'efforts pour améliorer la compétitivité structurelle de la compagnie, on n'avait aucune chance d'attirer des investisseurs. Nous avons dénoncé la totalité des accords collectifs existants pour les pilotes et les personnels navigants commerciaux (134 accords et usages) que nous avons remplacés par un seul accord de substitution pour les pilotes et les PNC. Nous avons signé des accords avec les trois catégories de personnels. En plus de cela, les effectifs vont diminuer après la signature d'une rupture conventionnelle collective avec les PNC, l'escale d'Orly et de la supervision des vols dans les DOM ont été externalisés et nous préparons d'autres mesures".
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