Un taxi travaille comme deux Français mais gagne moins que le Smic !

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1402  mots
Le revenu annuel d'un taxi ne dépasserait ainsi pas les 42.000 euros par an, pour les chauffeurs ne supportant pas les charges de leur licence, soit une minorité : 19% des taxis parisiens. Quant aux autres, leur revenu annuel ne dépasserait pas les 18.000 euros, soit un maximum de 13 euros de l'heure pour un chauffeur ayant remboursé sa licence, et 5,5 euros pour celui qui n'a pas encore soldé son emprunt.
Selon une enquête réalisée auprès d'un millier de taxis parisiens par le bureau de recherche 6t, la majorité des chauffeurs gagneraient 5,5 euros de l'heure. Avec un temps de travail de 66 heures par semaine, dont les deux tiers du temps est passé à vide, en attente de client. Exploration d'un système qui semblerait nécessiter quelques révisions.

Un chauffeur de taxi travaille comme deux salariés français. Tel est le constat qui ressort de l'enquête réalisée par le bureau de recherche 6t auprès de 1.000 chauffeurs franciliens, dont 98% d'hommes. D'après cette étude financée sur fonds propres, les chauffeurs travailleraient en effet onze heures par jours, six jours par semaine et ne prendraient que trois semaines de congés par an. Au final, "ils travaillent donc deux fois plus qu'un salarié français aux 35 heures", analyse 6t. De quoi corroborer les conclusions de leur précédente enquête, et la compléter.

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Dans le détail, les comportements diffèrent en fonction de leur statut. Ce sont par exemple les artisans dont la licence est en cours de remboursement qui déclarent travailler le plus grand nombre d'heures. Cela dit, en moyenne, les chauffeurs déclarent effectuer environ 11 courses, soit une course par heure. Ici encore, les résultats varient en fonction du statut des chauffeurs : ce sont les salariés qui déclarent un nombre de courses plus élevé, devant les locataires, les artisans et les membres de coopératives.

Les courses décrites par les chauffeurs sont courtes par leur durée : environ un quart font moins de 10 minutes et deux tiers moins de 20 minutes. Interrogés sur leur dernière course, les chauffeurs évoquent une durée moyenne de 22 minutes. Sur une heure, cela revient donc à dire que les taxis roulent chargés un tiers du temps, le reste étant passé en attente de clients ou en approche.

La majorité des chauffeurs gagneraient 5,5 euros de l'heure

Ainsi, le revenu annuel d'un taxi ne dépasserait pas les 42.000 euros par an, pour les chauffeurs ne supportant pas les charges de leur licence, soit une minorité : 19% des taxis parisiens. Quant aux autres, leur revenu annuel ne dépasserait pas les 18.000 euros, soit un maximum de 13 euros de l'heure pour un chauffeur ayant remboursé sa licence, et 5,5 euros pour celui qui n'a pas encore soldé son emprunt.

Pas étonnant que les taxis jugent leurs conditions de travail mauvaises. Bien sûr, les chauffeurs interrogés mettent en avant le long temps d'attente entre deux courses (les taxis sont sans clientèle les deux tiers de leur temps d'activité quotidien). Mais ils accusent aussi et surtout les plateformes VTC. A leur sujet, ils évoquent le terme de "concurrence déloyale".

"Le VTC, l'arbre qui cache la forêt" ?

"Est-ce que tout ira mieux pour les taxis si l'on supprime les VTC ?", interroge Nicolas Louvet, directeur de 6t. "Rien n'est moins sûr, dans un premier temps au moins". Selon lui, "le VTC, c'est l'arbre qui cache la forêt". Le bureau d'étude note que la multiplication des VTC a certes affecté le marché du taxi (une récente étude du BCG commandée par Uber évoque d'ailleurs un taux de substitution de l'ordre de 5% par an depuis 2013 : les VTC auraient ainsi grignoté 15% des parts de marché des taxis depuis leur arrivée sur le marché. Un taux qui semble cependant outrageusement faible aux yeux de certains analystes, qui évoquent une chute du chiffre d'affaires des taxis de l'ordre de 30%).

D'où l'importance d'une réforme du marché des licences, afin d'alléger les charges des taxis, analyse 6t. 48% des taxis interrogés par le bureau d'études se sont prononcés en faveur d'un éventuel rachat des licences, financé par la mise en place d'un fonds public, contre 45% qui se sont déclarés "très défavorables" ou "défavorables". Un point qui serait toutefois encore à l'étude au Ministère des Transports.

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A la (re)conquête des habitants des villes

Cependant, selon 6-t, l'arrivée massive de VTC n'est pas la seule responsable. Et de pointer le fait que, pour les taxis, avoir "longtemps délaissé les résidents de l'agglomération parisienne pour privilégier les touristes et les professionnels explique également leurs mauvaises conditions de travail." Les auteurs de l'étude poursuivent:

"En 2014, 6t a réalisé une étude sur l'impact du service Autolib' quant à la diminution de l'usage du taxi, pourtant le syndicat général du taxi parisien a considéré que "cet impact reste limité, car Autolib' est surtout utilisé par une clientèle locale et peu par les touristes. Autrement dit, pour la profession, le marché du taxi ne serait pas celui résident."

L'amélioration des autres  alternatives à la voiture particulière depuis la fin des années 1990 (tramway, fermeture plus tardive des métros, couloirs bus, Vélib', Autolib', etc.), expliquerait pourquoi les résidents se seraient détournés du taxi. Le véritable enjeu, est donc, selon le directeur du bureau d'analyses de favoriser l'accès aux taxis pour les résidents. "Les taxis doivent se retourner vers les résidents", analyse ainsi Nicolas Louvet, rappelant tout-de-même que l'analyse porte sur les taxis parisiens, dont les problèmes ne concernent que de loin les chauffeurs de province. Ce qui passe notamment par le développement d'applications de réservation favorisant la maraude électronique, comme la plateforme le.taxi lancée récemment dans plusieurs métropoles par les pouvoirs publics. Il suggère également de revoir quelques chapitres, comme celui du montant de la course minimum, qui, selon lui, devrait être réduit pour être concurrentiel avec les autres services sur les petits trajets.

Autolib', le vrai concurrent des taxis ?

Et pour cause, 6t note qu'avec un trajet moyen de 9,7 km pour un prix moyen de 23,3 euros, le prix moyen au kilomètre en taxi revient à 2,4 euros, contre 2,3 euros pour un VTC ou encore 0,9 euro pour Autolib'! Finalement, le prix au kilomètre des taxis serait ainsi très proche de celui du VTC, et bien plus élevé que celui du service Autolib'. Un service qui recense 14.400 trajets par jour. ​Si le prix des Autolib' augmentait, quel serait le report modal de ses utilisateurs ? Se tourneraient-ils vers le taxi ou le VTC ?

​Quoi qu'il en soit, 6t estime qu'il faudrait inciter les chauffeurs à "moins attendre dans les aéroports pour être plus présents en ville". Rappelons à ce propos une anecdote de l'ancien Directeur général de G7, Jean-Jacques Augier. Celui-ci expliquait récemment à La Tribune cette curieuse inversion de tendance, à savoir, le fait que dans les années 1980, les chauffeurs de taxi préféraient enchaîner les petites courses en ville plutôt que traverser Paris pour aller à Orly ou Roissy. A l'époque, "les chauffeurs de taxis boudaient les courses aéroports, et se dépêchaient de rentrer sur Paris où ils effectuaient une trentaine de courses par jour !", se souvenait-il.

Or c'est l'inverse aujourd'hui! Pas seulement chez les taxis d'ailleurs, mais chez l'ensemble des chauffeurs, également les VTC, chez qui il ressort une préférence pour les longs trajets et un faible nombre de courses. C'est pourquoi Uber n'a de cesse de prêcher l'inverse à ses partenaires: tentant de leur expliquer qu'il vaut mieux faire plus de petites courses moins chères - l'une des raisons qui avaient justifié la baisse de prix de 20% en octobre 2015 - pour, au final, selon l'entreprise, gagner plus, et optimiser le taux de remplissage du véhicule. Ce que tente également de faire LeCab avec sa récente offre "miniCab".

6t suggère d'ailleurs aux taxis de recourir aux plateformes de VTC comme Uber ou Allocab ayant ouvert leur porte aux taxis afin d'augmenter le nombre de courses et ainsi diminuer le temps passé à rouler à vide, qui représenterait aujourd'hui les deux tiers de la (longue) journée d'un chauffeur de taxi. La proposition de loi Grandguillaume, examinée ce mercredi en commission mixte paritaire à l'Assemblée, vise justement à supprimer les éventuelles clauses d'exclusivité qui empêcheraient les chauffeurs de taxi de jongler d'une plateforme à l'autre.

Si 6t permet, en ouvrant ses bases de données accessibles en ligne, un outil fort utile à qui tente d'analyser ce secteur, ne faudrait-il pas réaliser la même étude auprès des chauffeurs de VTC afin de tenter d'avoir une photographie plus précise et complète de ce marché ? En attendant d'espérer une étude commandée par un VTC comme Chauffeur privé et une entreprise de taxis comme G7, afin d'écarter tout soupçon de partialité...