Transformons la France au cœur des régions : les nouveaux enjeux économiques du Grand-Est

TRANSFORMONS LA FRANCE AU COEUR DES RÉGIONS - Que faire face à l'accumulation des crises géopolitiques, à l'impact prépondérant de la crise sanitaire, aux impératifs de la transition énergétique et environnementale, à la pénurie de ressources humaines ? Dépendant de son tissu industriel et de ses échanges internationaux, le Grand-Est tente de rassembler ses atouts pour faire face. Des élus, des chefs d'entreprises et des représentants des écosystèmes régionaux viendront débattre de ces enjeux à l'occasion de l'étape locale de la tournée « Transformons la France au cœur des régions », le 5 avril à Strasbourg.
L'industrie (photo : la fonderie Stellantis à Charleville-Mézières) représente 19,4 % de la valeur ajoutée dans le Grand-Est. Soit 3,1 points de plus que dans les autres régions françaises, hors Ile-de-France
L'industrie (photo : la fonderie Stellantis à Charleville-Mézières) représente 19,4 % de la valeur ajoutée dans le Grand-Est. Soit 3,1 points de plus que dans les autres régions françaises, hors Ile-de-France (Crédits : Olivier Mirguet)

Il y a trois ans, au printemps 2020, la crise sanitaire du Covid a paralysé le Grand-Est, première région française engloutie par cette vague qui a submergé son système de santé. L'économie s'est mise à l'arrêt. Les hôpitaux de Mulhouse ou Strasbourg ont cherché en Allemagne le soutien dont ils avaient besoin, en confiant au pays voisin les soins des patients les plus affectés.

Une fois de plus, l'international est venu à la rescousse de la région. Comme au lendemain de la seconde guerre mondiale, quand les investissements étrangers avaient offert à la période des « Trente Glorieuses » un impact singulier en Alsace et dans le nord de la Lorraine. L'Allemagne, les Etats-Unis, la Suisse et même le Japon sont venus avec leurs projets et leurs flux de capitaux. Les usines General Motors, Siemens ou Sony ont vu le jour, accompagnant la croissance endogène des industriels historiques français, tels Peugeot ou Alstom.

La désindustrialisation a frappé en Lorraine dans les années 1990. Et un peu plus tard en Alsace. Les flux de travailleurs frontaliers ont permis de maintenir à flot les statistiques de l'emploi. Aujourd'hui, le Grand-Est reste bien classé : au troisième trimestre 2022, le taux de chômage s'est établi à 7,1 % de la population active dans la région, en repli de 0,7 point par rapport au niveau du troisième trimestre 2021. C'est son plus bas niveau depuis 2008.

La croissance décroche

Dans une étude publiée en février 2022, l'Insee a pourtant constaté que la croissance avait décroché depuis 1998 dans le Grand-Est. Deux éléments statistiques soutiennent ce constat. Le Grand-Est dépend fortement de son industrie, qui représente 19,4 % de la valeur ajoutée régionale. Soit 3,1 points de plus que dans les autres régions hors Ile-de-France. A contrario, les services marchands apportent 45,8 % de la valeur ajoutée. Soit 4,1 points en-dessous de la moyenne nationale. L'Insee observe dans le Grand-Est un décrochage particulièrement marqué dans l'information et la communication, dans les services aux entreprises et l'hébergement-restauration.

La nouvelle donne engendrée par l'accumulation des crises permettra-t-elle de renverser cette situation ? En fusionnant en 2016 les vieilles entités administratives d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne pour donner naissance au Grand-Est, la réforme territoriale a donné naissance à un champion de l'agriculture et des agro-industries. Le pôle d'excellence viticole du champagne soutient la balance commerciale flatteuse du Grand-Est. En 2022, les données brutes de la direction générale des douanes et droits indirects ont établi un solde positif de 2,368 milliards d'euros pour le commerce extérieur du Grand-Est. Le département de la Marne, principal producteur de champagne (avec l'Aube), présente à lui seul un solde positif de 2,634 milliards d'euros.

Face à la crise énergétique, le Grand-Est entend défendre son indépendance en soutenant les actions de la filière agricole. Maximin Charpentier, président de la Chambre régionale d'agriculture, propose de « massifier les pratiques de production d'énergie dans les fermes, avec des mini-digesteurs qui permettront de ramasser le gaz comme on ramasse le lait ». L'image est éloquente.

Emmanuel Connesson, directeur régional de GRDF, rappelle que le Grand-Est est devenu la première région de France pour la production de biogaz : celui-ci couvre déjà 7 % de la consommation. « Cette part va plus que doubler dans six à huit mois pour atteindre 15 à 16 %, soit l'équivalent des imports russes il y a deux ans », prévoit Emmanuel Connesson. Le Grand-Est a démarré en avance sur les objectifs de la PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie), qui vise 20 % de gaz vert en France en 2030.

Le symbole de Fessenheim

Certains symboles sont difficiles à effacer. La fermeture en 2020 de la centrale nucléaire de Fessenheim, sans solution de rechange pour l'économie de ce territoire frontalier en Centre-Alsace, a jeté un froid sur les ambitions de déploiement d'une nouvelle économie verte. Le député haut-rhinois Raphaël Schellenberger (LR) tire à boulets rouges sur les promesses non assumées de ce territoire auquel « des dossiers d'implantation ont échappé parce que le foncier n'était pas disponible, et où les promesses faites dans l'hydrogène ou la filière bois-énergie ont ressemblé à des grosses farces ». Les enjeux de la reconversion économique de cette zone d'activités industrielles, passé de 200 hectares à 60 hectares pour des raisons environnementales, ont fini par perdre une partie de leur intérêt.

Sans attendre l'annonce symbolique d'une nouvelle présence industrielle à Fessenheim, le Grand-Est se focalise sur d'autres parties de son territoire, où les cycles schumpétériens de la destruction créatrice affichent une tournure plus favorable. Dans l'Est mosellan, sur le site de l'ancienne cokerie de Carling/Saint-Avold, les promoteurs ont annoncé en septembre 2022 un investissement d'un demi-milliard d'euros d'Infinite Loop, qui crée une usine de recyclage du PET. En Alsace, terre d'excellence des biotechs, l'allemand Merck vient d'annoncer un investissement de 130 millions d'euros dans son unité de production dédiée à l'équipement de l'industrie pharmaceutique. Merck recrutera 800 personnes. A Troyes, l'industriel espagnol Garnica crée une nouvelle usine de contreplaqué peuplier, un produit du bâtiment fabriqué jusqu'alors en Italie. Ce projet permettra de de valoriser la ressource locale en bois et de réduire l'empreinte carbone liée au transport.

Le poids de l'automobile

Fortement exposé aux évolutions technologiques de l'industrie automobile, le Grand-Est a déjà sauvé ses trois sites majeurs de Stellantis : deux modèles de voitures électriques de milieu de gamme seront produits à Mulhouse. La fonderie de Charleville-Mézières sera reconvertie dans la fabrication de carters de moteurs électriques. L'usine mosellane de Trémery se reconvertira dans les moteurs électriques.

Reste la question des ressources humaines, composante essentielle des cycles économiques et de la transition de l'industrie. Dans un Grand-Est réputé peu attractif, les lacunes des systèmes éducatifs et de formation continue ont été prises en compte par les acteurs de l'économie. Les initiatives privées de formation professionnelle se sont multipliées dans les PME et les ETI de la région, à l'image de l'entreprise De Dietrich qui forme désormais ses propres chaudronniers.

Mais la maîtrise des langues étrangères reste un point faible. « Nous sommes une région frontalière mais le système éducatif ne regarde pas à 360 degrés », déplore Olivier Klotz, président du Medef Alsace. Les collectivités ont-elles saisi les opportunités ouvertes par le traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle, qui prévoyait en janvier 2019 de multiplier les domaines de coopération économique entre les deux pays ? Dans la formation et dans la recherche franco-allemande, comme dans la création de zones franches économiques proches de la frontière, le Grand-Est peut franchement mieux faire.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.