Le compostage des boues d'épuration en sursis

Le ministère de la transition écologique et solidaire souhaite interdire le mélange des boues et des déchets verts. Selon les professionnels, cela signerait la mort d'une filière vertueuse de valorisation.
(Crédits : Wikipedia CC BY-SA 3.0)

C'est la filière de valorisation la plus vertueuse des boues d'épuration qui est menacée de disparition, dénoncent les collectivités territoriales et les professionnels du recyclage et de l'eau. Transposant une directive européenne, le ministère de la transition écologique et solidaire remet en effet en cause le mélange de ces boues avec les déchets verts (feuilles d'arbres, branches, fleurs fanées...) pour produire du compost.

Sur les dix millions de tonnes de boues d'épuration produites chaque année en France, trois millions sont aujourd'hui valorisées de cette manière. Riche en potassium, phosphates, azote et matière organique, ce compost est ensuite vendu aux agriculteurs pour nourrir leurs sols. Et permet de réduire l'utilisation d'engrais chimiques, ainsi que de limiter l'érosion des sols, explique Sabine Houot, directrice de recherche au sein de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique). "Bien qu'encore limitée à 1% de la surface agricole utile, le compost contribue aussi à l'objectif de 4 pour 1000", souligne-t-elle. C'est-à-dire d'un taux de croissance annuel de 0,4% des stocks de carbone dans les premiers 30 à 40 cm des sols, une initiative lancée par la France en 2015 et censée participer à la réduction des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

La crainte d'une contamination des produits agricoles

La "directive déchets" adoptée en 2018 par l'Union européenne, telle qu'interprétée par le ministère de la transition écologique et solidaire, remet toutefois en cause le mélange de ces boues avec les déchets verts issus du tri des collectivités territoriales et des ménages. Et l'article 10 ter du projet de loi relatif au gaspillage et à l'économie circulaire, introduit par le Sénat afin de transposer sur ce point la directive, ne suffit pas lever les doutes sur la légitimité d'un tel mélange, estime Anne-Valérie Goulard, présidente du collège valorisation biologique de la Fnade (Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement).

L'approche du ministère de la transition écologique et solidaire vise notamment à garantir la parfaite traçabilité du compost utilisé par les agriculteurs, afin aussi de répondre à la demande croissante des consommateurs de davantage de transparence sur l'origine et la qualité de leurs aliments. Les boues d'épuration sont en effets susceptibles de contenir des résidus de médicaments ainsi que d'autres polluants. Et en cas de contamination de produits agricoles, l'agriculteur risque aujourd'hui d'être désigné comme le seul responsable, reconnaît Sylviane Oberlé, chargée de mission prévention des pollutions chez l'Association des maires de France (AMF).

"Mais en France, la présence de micro-polluants dans les boues est largement conforme à la concentration réglementaire. Et la fermentation du compost divise justement par cinq la présence de résidus de médicaments, dont on ne trouve ensuite quasiment aucune trace dans les sols", souligne Sabine Houot.

Le risque de contaminants n'est d'ailleurs pas moins important pour les effluents d'élevage, qui représentent aujourd'hui la large majorité des matières qui retournent au sol.

L'équilibre économique de la filière menacé

Le ministère de la transition écologique et solidaire s'inquiète également de l'avenir de la collecte sélective des déchets organiques des ménages, qui aujourd'hui concerne à peine 10% de la population française, mais qui selon la même directive de l'UE devra couvrir l'ensemble du pays avant la fin 2023. Pour en obtenir du compost, ces déchets organiques devront aussi être mélangés aux déchets verts. "Mais même si leur collecte devait atteindre son maximum, il n'y aura pas suffisamment de déchets verts [lesquels représentent aujourd'hui 7 millions de tonnes, NDLR] pour permettre le compostage des déchets organiques des ménages et celui des boues", affirme Sabine Houot. D'où une forme de concurrence... sans compter la promesse implicite aux citoyens de "ne pas remélanger" les déchets qu'ils auront triés.

Résultat: "les collectivités se retrouvent avec leurs boues sur les bras", résume Sylviane Oberlé. Dans la meilleure des hypothèses, elles pourraient juste être contraintes d'utiliser d'autres "déchets structurants" à la place des déchets verts: des résidus de bois ou de la paille par exemple. "Mais la qualité du compost issu des boues serait inférieure", souligne Hubert Brunet, président du Syprea (Syndicat des professionnels du recyclage en agriculture). Ce qui mettrait en danger l'équilibre économique de la filière, qui se rémunère par le prix du service de récupération des boues offert aux professionnels de l'eau, mais aussi par la vente du compost.

Les boues d'épuration devenues non compostables pourraient aussi venir s'additionner aux 4 millions de tonnes aujourd'hui épandues sur les sols. Plus riches en azote, elles le sont toutefois aussi en résidus médicamenteux et micro-polluants, et moins en matière organique, rappelle Sabine Houot. En raison de précédents d'utilisation douteux et de leur odeur, elles sont aussi moins facilement acceptées par les riverains, alors qu'il y a une véritable demande de compost, souligne Dominique Philippe, agriculteur et directeur de la plateforme de compostage Brie Compost. Dernière possibilité: l'incinération, qui aujourd'hui concerne déjà 3 millions de tonnes de boues, mais qui en détruit le potentiel organique.

Lire aussi : Convertir du fumier en gaz: le potentiel de la gazéification hydrothermale

Principe de précaution ou obligation de résultat?

"Le principe de précaution est nécessaire, mais à côté des risques, il faut également évaluer les bénéfices", plaide alors Anne-Valérie Goulard, qui voudrait que la loi autorise explicitement le mélange des boues avec les déchets verts à des fins de compostage. "C'est la conformité du compost aux normes sanitaires qui doit primer", ajoute Philippe Maillard, à la tête de la Fnade. Celle-ci a constitué une "task force" afin de faire pression sur les parlementaires devant examiner en novembre le projet de loi relatif au gaspillage et à l'économie circulaire. Pour Sylviane Oberlé, la "conception pas forcément fausse, mais orientée idéologiquement, du ministère" risque d'ailleurs d'empêcher la construction d'une filière économiquement viable de valorisation des déchets organiques: "des gisements isolés les uns des autres seront trop petits pour favoriser les économies d'échelle qui seules peuvent justifier des investissements". Les biodéchets des ménages auraient alors comme seule issue le compostage de quartier...

Lire aussi : Les biodéchets, futur chantier des déchets

"Il faut néanmoins que le cadre normatif concernant la présence et les contrôles de contaminants soit étoffé", reconnaît Sabine Houot, qui évoque également l'opportunité de généraliser le contrôle de qualité des composts par des organismes publics, déjà présents dans certaines régions. Afin d'éviter les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, "le compostage des boues a un sens lorsqu'il existe une plateforme de proximité", ajoute Dominique Philippe. Pour susciter la confiance, les professionnels promettent par ailleurs des engagements volontaires: "En matière de traçabilité, nous sommes prêts à étendre au compost le suivi décennal aujourd'hui assuré seulement dans le cas d'épandage direct des boues", ajoute Anne-Valérie Goulard. Mais le prix du risque zéro serait alors finalement payé par les consommateurs, note Dominique Philippe.

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Commentaires 13
à écrit le 03/11/2019 à 9:38
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J'avoue qu'en complément de mon petit composteur il m'arrive d'acheter du couteux compost dans les grandes surfaces de jardinage, le sac est merveilleux et rappelle la dernière norme on en mangerait. A l'usage on s'interroge sur le produit d'où peut ...

à écrit le 31/10/2019 à 10:56
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Nous sommes pris de tous les côtés: c’est la quadrature du cercle. On produit des boues naturelles (nos excréments) mais contaminées par nos médicaments, nos traitements hormonaux, nos pilules etc...et on ne veut pas prendre le risque de les remettre...

à écrit le 28/10/2019 à 17:22
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C'est surtout que les agriculteurs ne veulent plus de ces boues telles quelles bien conscients qu' elles ont plus d'inconvénients que d'avantage. Alors, la solution trouvée est de les diluer, tout en impliquant les agriculteurs qui apportent leurs dé...

à écrit le 28/10/2019 à 16:29
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Voilà où on en est quand on réduit les questions d'écologie à une annexe du ministère des transports (idem au niveau Européen), sans vision globale sur les questions environnementales : on est toujours enfermé dans une problématique purement économiq...

à écrit le 28/10/2019 à 16:01
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Les boues semblent pouvoir êtres mieux valorisées par gazéification hydrothermale, sans problèmes de contamination. Les résidus verts et ménagers pour le composte (local) et la gazéification hydrothermale pour les effluents…

à écrit le 28/10/2019 à 14:59
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L'article semble déplorer que le seul débouché pour les déchets organiques des habitants soit le compostage de quartier... C'est cependant la seule solution raisonnable et écologique ! Article orienté. Les déchets organiques sont composés à 80% d'ea...

à écrit le 28/10/2019 à 11:58
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N'est il donc pas possible de traiter les boues en amont du compostage et ainsi y retirer les trace d'antibiotique et autres déchets issu de l'industrie chimique ? Ne consommons nous pas trop de tous ces produits chimiques aussi ? ce genre d'info in...

le 28/10/2019 à 12:25
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Faut pas rêver ! il est impossible de retirer tous les éléments toxiques des boues . Autre fois , cela était bien compris et était interdit de les répandre dans les champs et les jardins pour cause de contaminants et de maladies.Je l'ai même appris d...

le 28/10/2019 à 13:25
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Je crois que c'est un peu l'inverse: on cherche à retenir dans les boues tous les composés qui peuvent nuire à la qualité des eaux. Et j'imagine que ce sont surtout les métaux qui posent problèmes dans les sols, car le reste fini par être (plus ou mo...

à écrit le 28/10/2019 à 10:35
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On a mis a la tête de cet administration qu'est l'UE de Bruxelles, des soit disant experts qui n'ont eu d'autre contact avec la matière dont il traite, qu'en passant chaque jour "au toilette"! Par contre, les lobbys savent les conseiller pour prendr...

à écrit le 28/10/2019 à 9:58
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BAVER, gros lobby financier ancré au sein du consortium financier et qui en est à plus de 40 milliards dettes, il va falloir apprendre à avaler les couleuvres les gars si vous ne voulez pas dire cette vérité là... L'argent a ses raisons que la ra...

le 28/10/2019 à 13:45
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Commentaire tout à fait incompréhensible. Au final, vous pensez quoi du compostage des boues mélangés aux déchets verts ?

le 28/10/2019 à 14:25
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@ multipseudos: "Commentaire tout à fait incompréhensible" Comme je te l'ai dis mille fois ce n'est pas parce que tu ne comprend rien que c'est incompréhensible c'est juste que tu ne comprends rien. J'exige la suppression de tous les comp...

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