La France a renoncé à l'indépendance énergétique

Si la maxime d'Émile de Girardin, « Gouverner, c'est prévoir », fut abondamment reprise, il n'en demeure pas moins que les dirigeants français semblent avoir oublié tout exercice de prospective dans bien des domaines depuis Pierre Mendès-France.
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Parmi les oubliés de la prospective, « le futur énergétique n'a jamais été aussi incertain », s'alarment trois économistes experts en énergie (Jean-Marie Chevalier, Michel Derdevet et Patrice Geoffron) dans un récent ouvrage incontournable en la matière, L'avenir énergétique : cartes sur table (Folio).En effet, dans un contraste saisissant, l'Europe a certes dégagé une vision commune avec la directive 3x20 (efficacité énergétique, développement des renouvelables et réduction des gaz à effet de serre), mais les bilans nationaux pris séparément sont fort disparates, alors qu'à l'opposé les États-Unis s'appuient sur une perspective d'indépendance énergétique et de statut de premier producteur d'énergie au monde à l'horizon 2020. En 2011, 81 % de la demande domestique a pu être assurée par la production locale, à savoir le plus haut niveau atteint depuis 1992, et, pour la première fois depuis 1952, les États-Unis ont en ligne de mire l'indépendance énergétique. Dans un mouvement stratégique commun à la Chine, la Russie, la Pologne ou encore l'Australie, c'est parce qu'il y a eu une volonté gouvernementale et un débat sur l'encadrement des techniques d'exploitation - que nous nous sommes dogmatiquement refusé - que les États-Unis ont pu développer une industrie forte en moins de cinq années. Bien sûr, beaucoup de compagnies américaines ne respectent pas la réglementation instaurée, comme l'a montré le très bon documentaire Gasland, de Josh Fox. Mais la France n'est pas les Etats-Unis : si nous le décidions, nous aurions une réglementation forte et respectée avec des contrôles stricts.

Or, avant même de pratiquer toute exploration ou le moindre test, on a démagogiquement refusé d'encadrer fortement la technologie, de pratiquer toute exploration et même de conduire le moindre test sous contrôle gouvernemental. En France, pays du saint-simonisme et des premières théorisations de la maîtrise de l'environnement par l'humain, les débats publics sur ces mêmes techniques de fracturation hydraulique puis sur le nucléaire - moteur bicéphale de l'indépendance énergétique américaine - ont suscité une glose abondante dans un sens unique déconcertant. En effet, jamais n'a-t-on cherché durant ce non-débat public à trouver un juste milieu et dégager une vraie écologie politique à la française.

Alors que ce non-débat est à présent retombé aux oubliettes démocratiques avant même d'avoir été mené, nous nous devons d'appeler le nouveau gouvernement à urgemment penser la question énergétique car les changements de paradigmes économiques et diplomatiques induits par son essor aux États-Unis sont à même de nous asservir durablement.

En 2010, le forage de gaz de schiste a généré 76 milliards de dollars de revenus aux États-Unis et contribué à créer 600.000 emplois, selon une étude d'IHS. D'ici à 2020, on en attend 118 milliards annuels, presque 870.000 emplois et l'indépendance énergétique. L'économie industrielle, avec un socle énergétique fort, est intense en capital humain et en compétences tant scientifiques que manuelles. À cet égard, l'expérience de l'État canadien d'Alberta est saisissante : l'exploitation des schistes bitumineux a donné naissance à une économie du plein-emploi. Le gouvernement fédéral américain, lui, a déjà reçu près de 10 milliards de dollars en impôts en 2011 en provenance de l'industrie des schistes. Sans aller jusqu'au développement quasi anarchique en vigueur outre-Atlantique, la France peut se réserver les moyens de piloter publiquement le développement technologique, écologique et territorial asso-cié à ces techniques pour prévoir les défis du futur.

À nous de nous autoriser un débat pragmatique et rigoureux sur les schistes, le nucléaire et les renouvelables pour arriver à un juste milieu vertueux entre développement économique, développement écologique et développement énergétique. L'enjeu est important : si nous le décidions, le développement de ces industries non délocalisables pourrait aisément en retour financer et assurer le développement de notre parc renouvelable, nous permettant de faire coup double.

En avril 2011, sans avoir autorisé le moindre test réel, la France décidait d'interdire l'exploitation non conventionnelle d'hydrocarbures sur son territoire, alors même qu'une vaste formation, s'étendant du Bassin parisien à la Pologne, contiendrait l'équivalent de 100 milliards de barils de pétrole (une demi-Arabie saoudite). L'absence de débat et de confrontation scientifique et industrielle sur le sujet est emblématique des déficiences de notre politique industrielle et énergétique.

Alors que les Français expatriés aux États-Unis, en Pologne ou en Chine profitent d'une énergie peu onéreuse et d'un renouveau industriel, ils constatent avec amertume que leur patrie s'enferme dans une vision obscurantiste et court-termiste de ces sujets.

En temps de crise majeure, à l'heure où nous devons nous réinventer pour subsister, combien de temps allons-nous demeurer si rétifs au progrès et à la croissance que nous nous autorisons le luxe de purement et simplement ignorer une source de richesse massive, embrassée avec enthousiasme par le monde entier ?

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Sébastien Laye, financier, entrepreneur new-yorkais (HEC, IEP, Droit) et Mikå Mered, président du think tank « Génération Expat' » et étudiant chercheur en prospective économique à l'université de Columbia.

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Commentaires 3
à écrit le 10/09/2012 à 18:16
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J'ai oublier de donner mon email adresse que vous trouverez ci-dessous.Je suis un Ingenieur 100 % vert et je voudrais etre contacte tres serieusement par quelqu'un ou meme par une compagnie car je veux contacter le present gouvernement le plus tot p...

à écrit le 10/09/2012 à 18:10
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Je veux ici indiquer mon poopsition totale a cet article publie aujourd'hui par la Tribune Je vis aujourd'hui aux Etats Unis et je veux que les lecteurs de ce Journal sachent que c'est un mensonge complet et tres dangereux pour notre planete .Raison ...

à écrit le 14/08/2012 à 20:48
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C'est peut être le moment, au moins, de réfléchir à des techniques qui iront dans un sens moins polluant et dévastateur pour l'environnement! Seulement...nos chers écolos ont dit "Niet"...! Par contre pour la voiture électrique qui va dans le mur et ...

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