L'engouement pour les spreads de taux

Les économistes et analystes sont de plus en plus friands des analyses d'écarts ou spreads qui nous informent sur les perturbations, errances et autres " exubérances irrationnelles " des marchés financiers. On dispose par exemple du " spread Eonia versus taux de refinancement effectif ", mais aussi du " taux Euribor 3 mois versus taux sur bons du Trésor ". L'un des plus classiques correspond à l'écart entre le taux du marché interbancaire Euribor 3 mois (E3M) et le taux officiel de la Banque centrale européenne (BCE) - actuellement 3,75 %.Éclairer et révéler les tensions.Les taux d'intérêt de court terme utilisés par les banques commerciales entre elles, comparés aux conditions de refinancement offertes par la BCE, deviennent de véritables éclaireurs et révélateurs des tensions observées s'agissant de l'équilibre des liquidités disponibles. Le commentaire semble simple : plus la différence entre le taux de marché et le taux administré augmente, plus les tensions sur le marché monétaire sont aiguës. Le sujet est d'actualité...Sur les deux dernières années, la lecture de cet écart nous fournit un enseignement très instructif de la crise actuelle (voir graphique). On distingue nettement deux sous-périodes :- jusqu'à juillet 2007, l'écart oscille entre 10 et 40 points de base (bp) (1 point de base vaut 0,01 %). Les décrochés correspondent aux modifications de taux de refinancement décidées en début de mois par la BCE. À partir de décembre 2005, elle a régulièrement relevé ses taux de 25 bp. Les marchés l'avaient anticipé, aidés en cela par des annonces plus ou moins subtiles en provenance de Francfort, siège de la BCE. Au mois d'août 2007, le scénario promettait de se répéter, les autorités monétaires ayant annoncé leur intention d'augmenter à nouveau le taux "refi" à l'automne. Fin du premier acte ;- à partir du mois d'août 2007, le spread augmente durablement et son allure devient de plus en plus heurtée. On relève fin décembre 2007 un pic lié à la clôture des comptes des banques et aux craintes de voir sortir des cadavres des placards, on dit aujourd'hui des " actifs toxiques ". En février, les choses se tassent, certains analystes se risquent même à pronostiquer une sortie progressive de crise... Il n'en est rien, le volcan gronde. Le spread suit un mouvement (trend) croissant malgré le décroché technique de début juillet 2008 qui correspond à une nouvelle hausse des taux de la BCE. En résumé, un niveau d'alerte inquiétant est resté allumé tout l'été. La déflagration de la dernière quinzaine trouve aussi son écho dans notre courbe. De son côté, le spread entre le taux au jour le jour (Eonia) et le taux de refinancement ressemble à un électroencéphalogramme qui s'affole...Analyse polluée.Les taux d'intérêt sont-ils fidèles ? Pour autant que l'on accorde un crédit à cette analyse, il ne faut tout de même pas oublier que les deux inputs du spread comportent un certain nombre de limites :- le taux de refinancement est de la responsabilité de la banque centrale, mais il est à la fois la cause et la conséquence de la conjoncture du marché monétaire. L'analyse est polluée. En outre, la BCE dispose de toute une panoplie d'instruments autres que les taux d'intérêt pour infléchir le comportement des banques commerciales (modalités techniques des enchères, nature des garanties, taux des réserves obligatoires...). Depuis un an, elle ne se prive pas d'activer tous ces leviers, sans se cantonner aux taux directeurs ;- de son côté, l'E3M n'est pas à l'abri des soupçons [consulter www.euribor.org]. Il s'agit d'une moyenne arithmétique non pondérée par les volumes dont on extrait les valeurs extrêmes. Cela reste un peu rudimentaire. De plus, il repose sur les déclarations des banques. Les banquiers eux-mêmes avouent que bon nombre de transactions s'effectuent à des conditions de taux très différentes. Cela a toujours été, et cette tendance s'accentue. Une sous-estimation de 15 à 30 bp n'est pas exclue. Enfin, il faut rappeler qu'il s'agit d'un taux d'intérêt nominal calculé sur 360 jours. Sa valeur est minorée par rapport au seul calcul financier qui vaille : taux de rendement actuariel sur 365 jours. En conséquence, les efforts des derniers mois pour le maintenir sous la barre de 5 % représentent un trompe-l'oeil.Indicateur pertinent.De son côté, l'homologue britannique de l'E3M, le Libor 3 mois, a été vivement contesté au mois de mai 2008 au point que la British Bankers Association [consulter le site www.bba.org.uk] a dû en revoir le mode de calcul, sans grand enthousiasme.En conclusion, nous pouvons considérer que le spread Euribor/"refi" représente un indicateur pertinent de la crise financière, et ce, malgré le brouillard qui entoure la fixation du taux E3M. D'ailleurs, la valeur du spread est restée opportunément collée à 75 bp depuis le mois de juillet 2008 jusqu'au 19 septembre. Comme s'il fallait empêcher le mercure de monter à l'intérieur du thermomètre...(*) Université de Rouen, Bordeaux Management School.
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