L'Amérique noire de Dennis Lehane

Un livre qui commence par un match de base-ball rapporté sur près de trente  pages pourrait décourager n'importe qui, de ce côté-ci de l'Atlantique du moins. Sauf que le match raconté par Dennis Lehane en ouverture de « Un pays à l'aube », se révèle très vite captivant. C'est le premier signe de l'éclatante réussite du nouveau roman de l'écrivain américain. Le second surgit cinq cents pages plus tard, quand le lecteur s'aperçoit qu'il en reste encore deux cent cinquante avant la fin. Soit deux fois la taille d'un roman français moyen. Loin de le décourager, cette constatation le réjouit au plus haut point?intrigue ciséléeDennis Lehane s'est fait connaître grâce à la série dont Patrick Kenzie et Angela Gennaro étaient les héros. Soit une collection de cinq livres entamée avec « Un dernier verre avant la guerre » (1994). Un premier opus imparfait, qui mêlait dangereusement premier et second degré sans éviter les clichés. Mais au fil des ouvrages, les intrigues se sont étoffées, la psychologie des personnages s'est affinée. Et l'on a fini par s'attacher à ce couple de détectives privés portés à l'écran par Ben Affleck dans « Gone, Baby, Gone » (2007), trois ans après que Clint Eastwood a adapté « Mystic River », le premier roman de l'écrivain.Avec « Un pays à l'aube », Dennis Lehane franchit une nouvelle étape et nous offre un grand roman noir, avec ses héros ambigus, ses méchants sans pitié, sa femme fatale, doublé d'un fabuleux roman historique situé dans l'Amérique d'après la Première Guerre mondiale. Un pays alors en prise avec de nombreux conflits raciaux, politiques et économiques.L'auteur ne nous assène pas pour autant un cours d'histoire. Il ne maintient que les éléments nécessaires à son récit lancé à vive allure malgré la richesse de l'intrigue et la multiplicité des personnages. Comme à son habitude, Lehane choisit non pas un, mais deux protagonistes principaux. Luther Laurence, un jeune ouvrier noir qui a dû abandonner sa femme et son enfant à naître. Et Danny Coughlin, un policier irlandais issu d'une grande famille de Boston. Bien sûr, ces deux personnages que tout oppose ? sauf leurs histoires d'amour, toutes les deux impossibles ? vont être amenés à s'allier dans une ville déchirée entre les puissances de l'argent et les mouvements de revendications sociales et politiques (syndicats ouvriers, organisations de lutte contre le racisme, partis communistes, ligues anarchistes, groupuscules terroristes).« Un pays à l'aube » raconte les États-Unis d'hier d'une façon convaincante et palpitante. Mais comme tous les grands livres, il traite aussi du monde d'aujourd'hui, qu'il s'agisse des dérives de la lutte contre le terrorisme, des sombres alliances entre le monde politique et industriel ou des intérêts divergents entre les riches et les pauvres. Dans le base-ball, comme partout ailleurs, les règles du jeu peuvent changer au fil des années, mais la compétition entre les hommes demeure toujours aussi féroce. n « Un pays à l'aube », de Dennis Lehane, éditions Rivage, traduit par Isabelle Maillet, 768 pages. Prix : 23 euros.
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