« Les gens veulent un État fort, qui les protège »

visions de l'après-crise Aujourd'hui, Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d'assurances, selon qui la crise représente une immense chance de réaliser les réformes que nous n'avons pas su faire dans la société d'abondance.interview Bernard spitz Président de la FFSALa crise va-t-elle déboucher sur un monde nouveau ?Elle le devrait, oui. Mais beaucoup rêvent encore du statu quo, pensant comme le comte de Lampedusa dans « le Guépard » : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Regardez les comportements outranciers de la finance qui ont provoqué la crise. Ils n'ont pas été imposés, ils se sont produits parce que certains y trouvaient leur intérêt. Or, à Wall Street comme dans la City de Londres, la tentation est grande de repartir comme avant. Au niveau international, le chacun pour soi reste vivace, avec un danger protectionniste réel. Pourtant, l'équilibre économique du monde s'est déplacé. Le concept du G8 est mort. Alors oui, le monde nouveau devrait être plus global, plus coopératif, plus respectueux de la diversité, du développement durable. Il devrait rechercher un juste équilibre intergénérationnel, et instaurer une nouvelle régulation du droit international en matière économique et financière. Sinon, nous risquons de nouvelles crises.La fenêtre de tir pour des réformes d'ampleur ne risque-t-elle pas de se refermer ?Le général Mac Arthur disait des batailles perdues qu'elles se résument toujours en deux mots : « trop tard ». Il faut donc faire vite, même si la remise en ordre du système international prend du temps. Il y a une dimension psychologique et politique de la crise. Si les opinions publiques ont le sentiment que rien ne change, alors que le chômage monte et que l'on ne parvient pas à maintenir un haut niveau de protection sociale, les tensions vont grimper.Quelles différences entre cette crise et celles des années 30 ?Sur le plan économique, on a tiré les leçons des erreurs passées en soutenant massivement la demande pour éviter que la récession ne se transforme en dépression. Sur le plan politique, dans les années 30, il y avait des idéologies de substitution : communisme et fascisme ont prospéré sur le lit de l'échec du capitalisme avec le résultat final que l'on sait. Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative crédible à l'économie de marché. Il y a l'illusion de l'altermondialisme, qui est un miroir des frustrations mais ni une réponse globale ni un système efficace de gestion de l'État. Or, les gens veulent un État fort, qui les protège dans ce monde nouveau plus incertain. La crise frappe d'abord les plus faibles et les plus fragiles. Elle sape l'espérance des classes moyennes de progresser et de donner un avenir à leurs enfants. C'est en cela qu'elle est la plus dangereuse. Tout ce qui fait la dynamique et le ressort de nos sociétés de consommation est menacé. S'il n'y a pas de conviction dans l'opinion que l'on va changer les choses, réparer les dégâts et faire en sorte que cela n'arrive plus, on envoie un message terrifiant et destructeur. L'idée qu'il n'y aurait qu'un seul système, qu'il a échoué et qu'il n'y aurait plus désormais que deux catégories, ceux qui s'en sortent bien et ceux qui s'enfoncent est terrible pour les classes moyennes.Quels sont les nouveaux risques ?Le cocktail chômage-exclusion-repli sur soi, qui peut amener le populisme et le protectionnisme. Le vieillissement démographique avec un choc des générations au détriment des jeunes : quand le corps électoral vieillit, il est plus difficile aux gouvernants de heurter les intérêts des plus âgés. Il y a un véritable contrat social à réinventer au service d'une justice intergénérationnelle. Et puis, je fais le lien via l'endettement, il y a le risque de faillite des États? Être capable de gérer les risques, cela va être la grande affaire du XXIe siècle, c'est pour cela que le monde de l'assurance y aura un rôle central à jouer.Quelles leçons n'ont pas été tirées ?J'en vois cinq.1/ Le besoin de restaurer les valeurs. Malraux a dit : « On ne fait pas de la politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans. » Le message d'Obama est d'ailleurs un message très moral. Il répond à une attente de l'opinion, de justice, d'exemplarité de la classe dirigeante, et surtout de responsabilité. Nos élites ne l'ont pas encore toutes bien compris. 2/La crise consacre le renouveau de l'État, mais c'est au moment même où on attend le plus de lui qu'il va pouvoir le moins, sauf à continuer la bulle de la dette. Cela veut dire que la réforme de l'État, la vraie, est devant nous. 3/Nous restons trop occidento-centrés. Nos opinions publiques n'ont pas encore assez pris conscience qu'à Shanghai, Delhi ou Rio, la vision du monde est différente de la nôtre et qu'elle est autonome. Nos chefs d'entreprise l'ont intégré avant nos responsables politiques. 4/L'Europe n'a pas apporté une réponse concertée à la crise. Il n'y a pourtant aucune fatalité en ce domaine, alors que va s'installer une nouvelle Commission à Bruxelles.5/La dernière leçon que l'on n'a pas tirée, c'est que beaucoup se comportent comme si la crise était déjà derrière nous? Rien n'est perdu si l'on décide de positiver les choses. Crise vient du grec « krisis » qui signifie « l'instant de la décision ». La crise est peut-être une immense chance de réaliser les réformes que nous n'avons pas su faire dans la société d'abondance, comme après la Seconde Guerre mondiale, nous avions réformé l'ensemble du système international. L'instant de la décision est venu?Propos recueillis par Philippe Mabille Demain, suite de notre série avec l'interview de Isaac Johsu
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