La crise au crible de la finance comportementale

Selon les hypothèses classiques sur l'efficience de marché, les prix sont fixés par l'équilibre de l'offre et de la demande des intervenants. Ils reflètent l'intégralité des informations disponibles dont tous les investisseurs bénéficient à égalité. Ceux-ci sont supposés être rationnels car sains de corps et d'esprit. Ils traitent les informations de façon causale en tirant leurs propres conséquences en fonction de leurs objectifs, de leur approche du risque et de leur horizon de gestion. Les échanges se réalisent alors à un prix d'équilibre très proche de la valeur de l'actif, nous dit la théorie. En outre, la multiplicité des intervenants et la diversité de leurs points de vue sont une garantie supplémentaire de la stabilité de cet équilibre.Néanmoins, au fil des crises, nous constatons que rien ne fonctionne aussi purement et que la théorie est contredite. Cela pose de sérieuses questions sur ce qui se passe quand tout semble " normal ". Il faut donc prêter davantage attention à des notions comme l'illusion du savoir, l'aversion pour l'ambiguïté, les prophéties auto-réalisatrices, l'illusion de la validité, les comportements moutonniers...Erreurs de jugements à la chaîne.Ces notions, qui relèvent de la finance comportementale, que décrivent-elles ? Comment peuvent-elles illustrer chacune des erreurs de jugement commises le long de la chaîne de production et de diffusion des subprimes pour donner une explication à la crise ?Au départ, des banques locales prêtent à des ménages modestes pour qu'ils achètent leur maison. Ensuite, l'acheteur de cette créance considère - habitude heuristique - que celui qui est proche de son client le connaît, et donc que la créance est bonne, et qu'il n'y a pas lieu de douter, d'autant qu'on peut s'en abstenir grâce aux statistiques et aux probabilités. Biais de familiarité.En outre, il faut en acheter beaucoup - illusion de l'argent - pour éliminer, fondre les risques individuels de défaut dans la loi des grands nombres. Illusion du savoir... Les statistiques n'ont-elles pas raison ?... Dans le cas contraire, on trouvera des investisseurs, spécialisés pour acheter les risques non statistiques. Pour eux : avidité ; pour celui qui vend : illusion de la validité, ce qu'il a vendu est bon car il a trouvé un acheteur et ce qui lui reste est également bon car exempt de défaut.Optimisme et euphorie.Poursuivons. Les créances sont structurées (titrisées) et arrivent sur le marché financier sous la forme de titres, chacune des catégories de titres (tranches) étant destinée à des investisseurs bien différenciés. Ce travail de structuration et de vente de titres est grassement rémunéré. Plus les créances sont abondantes et de longues maturités plus les commissions de l'"arrangeur" sont importantes : optimisme, euphorie de la créativité récompensée.Chacune des tranches est notée par une agence reconnue et est éventuellement assurée par un spécialiste appelé rehausseur de crédit, qui induit des biais de confirmation (un spécialiste de plus dans le processus me dit que j'ai raison) et des faux consensus construits sur le schéma : A peut se tromper sur B, C peut se tromper sur D mais A et C ne peuvent pas simultanément se tromper sur B et D.Les acheteurs de ces titres sont eux-mêmes sûrs de leur modèle de répartition des risques, sûrs de leur spécialisation (ils n'achètent que ce qu'ils connaissent) et appartiennent à des institutions honorables, réglementées, bien gérées : illusion du contrôle. Les risques sont bien mesurés, à chaque instant, puisque les portefeuilles reflètent la valeur de marché et que le marché a raison ! Illusion de la réalité.Puis les prophéties auto-réalisatrices se réalisent : on me dit que cela est bon car cela monte, cela monte, donc cela est bon ! Et, prophétie auto-réalisatrice suprême, il n'y a aucun risque car les intérêts en jeu sont tellement énormes qu'il y aura nécessairement des interventions pour sauver le système, car il y a toujours eu des interventions pour sauver le système ! Gage suprême : il n'y a pas de risque.Comportements moutonniers.Pour finir, le bilan s'alourdit avec les comportements moutonniers - qui vont se propager à grande vitesse et en grande masse - d'acteurs désirant acquérir des actifs aussi attractifs ... jusqu'à ce que le battement d'une aile de papillon provoque le séisme qui les ramènera à la réalité, c'est-à-dire 5 millions de logements vides acquis chacun pour 150.000 dollars !Les concepts de la finance comportementale expliquent ce qui s'est passé. Auraient-ils pu être prédictifs ? Rien n'est moins sûr. En faisant l'impasse d'une réflexion sur la réalité économique et financière de leur environnement, les participants à la fête font la sourde oreille à tous les discours contradicteurs. On n'écoute pas ce qui dérange (selective thinking). Quand on vit une belle histoire, il est trop tôt pour la réviser.(*) Associé, Détroyat Associés.
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