Les " mamans Wal-Mart " imposent le pouvoir d'achat dans le débat électoral

Alison Roberts n'aime pas les stéréotypes. Celui de Wal-Mart mom (" maman Wal-Mart ") ne lui plaît pas plus que les autres. C'est pourtant la nouvelle catégorie à la mode, inventée par les sondeurs et les politologues à l'occasion de la prochaine présidentielle. Avant, il y avait déjà eu les soccer moms, du nom de ces mères qui emmènent leurs enfants au foot le samedi, ou les security moms, apparues après le 11 septembre 2001. Toutes ces moms partagent la même caractéristique : celle d'être en mesure de faire basculer l'élection. Pas étonnant dans ces conditions que les Wal-Mart moms soient étudiées à la loupe. Car ces femmes d'un certain âge, blanches, sans diplôme universitaire et sans grands moyens (puisqu'elles font leurs courses chez Wal-Mart, le roi des prix cassés aux États-Unis) incarnent mieux que quiconque la problématique très sensible du pouvoir d'achat, en cette période de disette économique.DES EMPLOYES AU RABAIS Souvent traditionnelles, voire conservatrices, elles sont aussi très préoccupées par leur porte-monnaie. Pour le scrutin du 4 novembre, elles devront choisir entre leurs différentes préoccupations. À l'instar d'Alison Roberts, beaucoup d'entre elles ne choisiront sans doute leur candidat préféré qu'à la dernière minute. Car pour l'instant, cette femme blanche de 45 ans a d'autres soucis : gérante d'une maison d'hôtes à La Nouvelle-Orléans, elle doit faire face à la hausse des prix et au déclin de la fréquentation touristique. L'heure est donc aux économies : c'est pour cette raison qu'Alison fait ses courses chez Wal-Mart, où les prix des serviettes de table, du papier toilette ou des confitures sont en moyenne 20 % moins élevés que dans les supermarchés des chaînes concurrentes.Mais comment Wal-Mart fait-il ? C'est simple, le numéro un mondial de la distribution est obsédé par la compression des coûts. C'est même une religion pour cette société née en 1962 à Bentonville, dans le sud des Etats-Unis, où l'on glorifie Dieu et le travail avant tout... Afin de réaliser des économies, Wal-Mart n'a cessé d'innover : dès les années 1980, avant que la Chine ne soit à la mode, elle a décidé de s'y approvisionner, pour profiter d'une main-d'oeuvre bon marché. Avant tout le monde aussi, elle a cru aux codes-barres, à l'informatique et à la logistique, afin de suivre les produits commandés, fabriqués, livrés, achetés et réassortis sans délais coûteux.Mais à côté de cette modernité, l'entreprise a une face sombre. Sa pression sur ses fournisseurs, pour qu'ils lui consentent des prix toujours plus bas, est légendaire. Ses salariés ne sont pas épargnés non plus. De fait, si les produits sont moins chers que chez les concurrents, c'est aussi parce que les employés sont payés 20 % de moins qu'ailleurs... Et ne reçoivent guère d'avantages sociaux. Et pour cause, depuis ses débuts, le géant fait la chasse aux organisations syndicales, qui n'ont pas droit de cité chez lui.D'INCESSANTES CRITIQUESSans surprise, le numéro un mondial de la distribution fait l'objet d'incessantes critiques. " J'ai bien entendu des choses négatives sur Wal-Mart, avoue Alison Roberts, mais vraiment, je ne viens ici que pour mes courses professionnelles ", insiste-t-elle en guise d'excuse. D'autres clientes ne font pas tant de manières. " Je n'ai jamais rien entendu contre Wal-Mart, jure Debbie Thomas, dans le même supermarché. Si Wal-Mart détruit des emplois, c'est dommage, mais je ne me sens guère concernée ! En fait, ce que je veux avant tout en venant ici, c'est faire des économies. " Et c'est sans doute cela l'ultime secret de Wal-Mart : nombre de consommateurs n'ont pas d'autre choix que de venir pousser leurs chariots dans les rayons de ses supermarchés. L'ironie est donc de taille : en effet, en poussant ses fournisseurs à délocaliser, Wal-Mart participe à la paupérisation de la classe moyenne américaine, mais en offrant des articles à prix cassés, il allège le malaise économique de ces ménages...Wal-Mart ne se prive pas pour promouvoir ce deuxième aspect. Un chiffre est actualisé en permanence sur son site Internet : ce qu'auraient économisés les ménages américains depuis le début de l'année en s'approvisionnant chez lui. Il y a quelques jours, le montant s'affichait à plus de 232 milliards de dollars ! Wal-Mart profite de toutes les occasions pour faire du business avec le pouvoir d'achat. Ainsi, sur fond de prix des médicaments en hausse et de couverture santé en baisse, le groupe propose depuis quelques mois des centaines de remèdes au prix de 4 dollars seulement. Bien moins cher que dans les pharmacies traditionnelles.En fait, l'ironie Wal-Mart est même double, puisque Barack Obama a promis, s'il est élu en novembre prochain, de lutter contre les pratiques antisyndicales et la pression que Wal-Mart exerce sur ses salariés et ses fournisseurs. Or, ce sont les premiers bénéficiaires des prix cassés par Wal-Mart - ces Wal-Mart moms - qui pourraient l'aider à tenir ses promesses en l'envoyant à la Maison-Blanche... Alison Roberts fait partie de ce groupe : son coeur pencherait plutôt du côté d'Obama. En 2000, elle soutenait McCain - " mais il n'a pas obtenu l'investiture contre Bush ", et depuis, " il a changé ", déplore-t-elle. Ce soir pourtant, le seul pouvoir qui lui importe dans les allées de ce supermarché de La Nouvelle-Orléans, c'est son pouvoir d'achat.La plus grande entreprise du mondePlus de deux millions de salariés à travers le monde, un chiffre d'affaires de 374,5 milliards de dollars en 2007 (contre 92 milliards d'euros pour Carrefour), Wal-Mart est la plus grande entreprise privée du monde - et définitivement hors normes. C'est vrai de l'évolution de son cours de Bourse. Alors que l'indice Dow Jones recule de 34 % depuis le début de l'année, l'action Wal-Mart a gagné 10 %. Alors que les consommateurs rechignent à dépenser, ses ventes augmentent. Signe que, lorsque tout va bien, les pauvres vont chez Wal-Mart, et lorsque tout va mal, les autres en prennent aussi le chemin... Mercredi, pour tenter de faire taire les critiques, le géant a annoncé la mise en place d'un nouveau code éthique et environnemental très strict, auquel ses fournisseurs devront adhérer.Lire également : " Travailler plus pour gagner moins. La menace Wal-Mart ", de Lysiane J. Baudu et Gilles Biassette. Buchet-Chastel (248 pages, 22 euros).
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