Au Tricastin, 3 millia rds d'euros pour l'uranium de demain

Depuis la route bordée de champs de lavande, entre Drôme et Vaucluse, on ne voit d'abord que les deux grosses cheminées de refroidissement de l'imposant complexe du Tricastin. Puis surgissent les quatre réacteurs de la centrale nucléaire attenante. Et enfin, un alignement de bâtiments gris : bienvenue à l'usine Georges-Besse (*) ! C'est ici que la société Eurodif, filiale de Cogema, fabrique discrètement 25 % de la production mondiale d'uranium enrichi depuis 1979. Et c'est ici que va voir le jour "le chantier de la décennie", comme l'a baptisé la présidente d'Areva, Anne Lauvergeon. Le géant nucléaire français a décidé d'investir 3 milliards d'euros pour construire d'ici 2018 Georges-Besse 2, une nouvelle usine d'enrichissement d'uranium qui utilisera la technologie de la centrifugation, en lieu et place de la diffusion gazeuse. "Ces 3 milliards auraient permis de combler le retard français en matière d'énergies renouvelables", estime Sortir du nucléaire. Mais Areva voit midi à sa porte : sa filiale Cogema extrait 7.000 tonnes d'uranium par an de ses mines du Canada, du Niger ou du Kazakhstan. Soit 20 % de la production mondiale. Et grâce à son usine du Tricastin, le groupe est aussi l'un des leaders de l'enrichissement d'uranium. En 2004, cette activité a généré un chiffre d'affaires de 681 millions d'euros...Des "façonneurs""Une centaine de centrales nucléaires dans le monde utilisent notre combustible à commencer par les 58 françaises", précise Christian Courtois, le directeur adjoint de Georges-Besse. Eurodif produit 10 millions d'UTS par an (unité de mesure de l'enrichissement) : "Nous sommes des façonneurs d'uranium : le client fournit le minerai et l'électricité et nous lui retournons des fûts prêts à alimenter les réacteurs", explique Christian Delacroix. Le minerai naturel arrive sous forme de "yellow cake", où la concentration de matière fissile, l'uranium 235, n'excède pas 0,7 %. Cette pâte jaune est transformée en hexafluorure d'uranium (UF6). Ce gaz est ensuite filtré dans une cascade de 1.400 diffuseurs à membrane, qui permet d'isoler les molécules d'U235. En bout de chaîne : un uranium enrichi entre 4 % et 5 %.L'activité n'est pas sans risques. Le visiteur ne pénètre dans l'usine que muni d'un masque à gaz et n'en ressort qu'après mesure de radioactivité. La "Formation locale de sécurité" compte une centaine de pompiers spécialisés, le dispositif pour une ville de 100.000 habitants... Mais le processus est surtout très coûteux : l'actuelle usine Georges-Besse consomme de 15 à 20 terawatt/heure par an, soit de 4 % à 5 % de la production nationale d'électricité ! Trois des quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin lui sont ainsi dédiés."50 % des coûts de production sont dus à l'électricité et les prix ne cessent de monter. Ce n'était plus tenable", explique Nicolas de Turckheim, le responsable du projet Georges-Besse 2. Areva a donc décidé de convertir l'usine du Tricastin à l'ultracentrifugation, infiniment moins gourmande en électricité. Le procédé consiste à faire tourner le gaz UF6 à la vitesse du son dans des centrifugeuses en fibres de carbone : l'uranium 235 se concentre au milieu, tandis que les molécules d'U238 (non fissiles) sont satellisées. L'opération est répétée des milliers de fois pour arriver à un uranium enrichi à 5 %. Avec la centrifugation, GB2 ne consommera que 50 kWh par UTS contre 2.500 kWh pour GB1. Seul "hic", Areva a dû acheter la technologie à son concurrent Urenco : on parle de 450 millions d'euros. Mais l'essentiel des 3 milliards mobilisés pour Georges-Besse 2 ira au chantier et à l'outil industriel. "Il va falloir démanteler 140.000 tonnes de ferraille et acheter 100.000 centrifugeuses !", s'exclame Nicolas de Turckheim. Grâce à la conception "modulaire" du projet, la transition se fera en douceur. Les travaux de GB2 devraient commencer d'ici juin, et la première unité de 10.000 centrifugeuses sera opérationnelle en 2008. Mais GB1 continuera à produire jusqu'en 2013. A cette date, la nouvelle usine prendra le relais et montera en puissance jusqu'en 2018.Ce projet pharaonique n'a pas vraiment rencontré d'opposition locale : le site du Tricastin emploie 4.000 personnes et rapporte 45 millions d'euros par an aux collectivités... "Mais les gens ont surtout compris que ce qui était en jeu dans le renouvellement de Georges-Besse, c'était l'avenir de notre indépendance énergétique", assure Nicolas de Turckheim.J.-C. F., au Tricastin(*) Du nom du PDG de Renault et fondateur d'Eurodif assassiné en 1986 par Action directe.
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