« Une tonne de CO2 émise par la chimie en évite trois chez le consommateur »

Le nouveau débat sur la taxe carbone met les industriels en accusation. Cela vous paraît-il justifié ? N'illustre-t-il pas aussi la mauvaise image persistante de la chimie en France ?Ce n'est pas le cas de la seule chimie, mais il est vrai que le secteur a un problème d'image car nos produits ne sont pas visibles pour le grand public. Cela dit, le sujet n'est pas tant une nouvelle réglementation que l'accumulation des réglementations. La directive Reach d'enregistrement des substances chimiques coûtera à Arkema environ 60 millions d'euros sur dix ans, soit entre 5 et 8 millions par an. La taxe carbone, elle, nous pose un sérieux problème de compétitivité, car elle est franco-française. De plus, il me paraît impensable de l'envisager après 2013, date à partir de laquelle l'industrie chimique sera soumise à l'European Trading Scheme (ETS). Contrairement à ce que l'on entend souvent, cette nouvelle réglementation ne rend pas les quotas de CO2 gratuits : l'industrie chimique en paiera environ 30 %. Ils seront délivrés selon un système de benchmark établi d'après les meilleures technologies dans chaque secteur. Or, tous les chimistes ne vont pas démarrer 2013 avec des usines flambant neuves ! ETS va donc peser sur la compétitivité des chimistes européens. Notre secteur a déjà fait de gros efforts. Arkema a divisé par six ses émissions de gaz à effet de serre depuis 1990. On nous demande de recommencer ce travail à partir de 2013. Nous sommes d'accord, mais pas dans n'importe quelles conditions.Précisément ?Avant 2013, la taxe carbone doit être réduite au minimum pour les industriels soumis à ETS, et être complétée par des mesures compensatoires. Plus généralement, nous plaidons pour une mondialisation de ces réglementations : être le plus vertueux en matière environnementale est un bel objectif. Mais il faut être très vigilant car les conséquences pourraient être des fermetures d'usines. Nous avons d'ores et déjà en France des coûts bien supérieurs à nos concurrents d'autres zones géographiques.Envisagez-vous de délocaliser vos usines dans des pays à moindres coûts ?Notre montée en puissance dans les pays émergents n'est pas liée aux contraintes que je viens d'évoquer, mais à la croissance et à la consommation de ces régions. Cependant, nous devons être compétitifs dans tous les pays où nous sommes implantés : nous ne garderons pas des activités si elles perdent durablement de l'argent.La chimie a-t-elle encore un avenir en France ?Oui, j'en suis convaincu ! La France ne peut avoir une industrie forte si elle n'a pas de chimie forte. Nous sommes en effet « l'industrie de l'industrie » : nos clients sont des industriels. C'est pour cela que des pays comme l'Inde ou la Chine mettent fortement l'accent sur le développement de la chimie. Les États-Unis aussi, avec par exemple les subventions accordées au développement de la filière photovoltaïque. La France, deuxième chimiste en Europe et numéro cinq dans le monde, doit se donner les moyens de rester forte. Notre pays a pour cela des atouts : le crédit d'impôt recherche permet à Arkema de développer les trois quarts de ses projets innovants en France. Les pôles de compétitivité sont une bonne chose. Mais la compétitivité doit aussi être industrielle : nous ne pouvons pas nous permettre de fabriquer un produit à un coût deux fois supérieur en France, sans conséquence sur l'emploi.Dans vos axes de recherche, quelle est la place des technologies « vertes » ?La chimie est au coeur de toutes les solutions durables. Arkema investit 150 millions d'euros en recherche et développement, dont la moitié dans la chimie verte. Nous sommes présents dans les nouvelles énergies, avec des polymères fluorés entrant dans la fabrication des batteries de véhicules électriques et des panneaux solaires photovoltaïques. Nous avons enregistré en 2009 une croissance de 20 % pour cette activité, qui pèse plusieurs dizaines de millions d'euros. Nous fabriquons aussi des membranes à base fluorée pour le traitement de l'eau, et nos nanotubes de carbone entrent dans la composition de matériaux composites plus légers, notamment pour les industries automobile et aéronautique. Nous avons annoncé en septembre la construction d'un atelier industriel d'une capacité de 400 tonnes à Mont, dans le sud-ouest de la France. Enfin, nous développons depuis longtemps des polymères à partir de matières premières renouvelables comme le ricin, dont nous améliorons en permanence la performance. Notre fameux caoutchouc autocicatrisant est également issu de matières premières végétales. Des applications industrielles sont envisageables d'ici deux à trois ans.Quel est le potentiel financier de ces projets ?Nos solutions innovantes en matière de développement durable devraient représenter 400 millions de chiffre d'affaires d'ici à cinq ans. Et sur toutes ces gammes, nous attendons une rentabilité supérieure à 15 %.D'où viennent les demandes en matière de produits « verts » ? Est-ce toujours un choix de votre part ?Certains produits, comme le caoutchouc autocicatrisant, sont naturellement « verts » : ils ne pourraient pas être faits à partir de matières premières traditionnelles. Mais cela montre que nous savons faire autre chose que des produits dérivés du pétrole ! Il y a aussi une volonté marketing de nos clients d'utiliser des produits issus du développement durable, car ils peuvent aujourd'hui faire valoir ces arguments auprès des consommateurs. C'est par exemple le cas des produits composites plus légers, qui réduisent les émissions de CO2 des véhicules. N'oubliez pas qu'en moyenne chaque tonne de CO2 émise par un chimiste permet d'en éviter trois chez le consommateur final.Arkema publiera ses résultats annuels le 4 mars prochain. La crise est-elle derrière vous ?L'Asie se comporte bien depuis la mi-2009, et la croissance y reste forte en ce début d'année. Aux États-Unis, la reprise a lieu, même si elle reste lente. En Europe en revanche, cela prendra plus de temps, car il reste des surcapacités de production. Chez Arkema, les usines fonctionnent entre 65 % et 90 % de leurs capacités (ce dernier étant le taux maximum hors période de crise). Mais il faudra au minimum trois ans pour retrouver les volumes de production d'avant-crise.
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