L'austérité, accélérateur de dette publique

La crise des dettes publiques européennes tarde à se résorber malgré les plans de solidarité (110 milliards d'euros pour la Grèce, 750 milliards pour tous). Du coup les gouvernements européens se sont convaincus que le salut ne peut-être qu'individuel et passe par l'austérité. Le nouveau credo (Ich glaube) est que la solvabilité des Etats, dont le ratio dette/PIB est le mètre étalon, doit s'améliorer par une réduction de la dette, obtenue par un retour accéléré à l'équilibre budgétaire. Las! Les annonces d'austérité grecques ou espagnoles ne paraissent pas convaincre les marchés obligataires, sur lesquels les Etats viennent financer leur dette. Les marchés redoutent que la chute du PIB en valeur (le dénominateur) engendrée par la cure d'austérité soit plus rapide que celle de la dette (le numérateur), et que le ratio dette/PIB monte, à rebours de l'effet visé. Tandis que les marchés boursiers se sont inquiétés d'un risque de rechute de l'économie mondiale si environ 20% de la consommation internationale (celle de la zone euro) doit être nulle pendant les quatre ans qui viennent. Les avocats de la saignée budgétaire avancent néanmoins que ce remède de cheval est incontournable et qu'une baisse rapide des déficits est possible et nécessaire pour stabiliser les ratio dette/PIB. Qu'en est-il ? Pour évaluer la résultante des effets directs des mesures annoncées en Europe (baisse de l'endettement par réduction des déficits annuels) et des effets indirects (pertes induites de croissance et d'inflation, et donc aussi de recettes budgétaires) il faut recourir à une modélisation des économies. Nous avons introduit les paramètres et les calendriers des différents plans de rigueur (Espagne, Allemagne, Italie, France) dans le modèle économique international EASY développé par Capeco, et mesuré leur impact cumulé d'ici 2014, pour le comparer au scénario de base, c'est-à-dire à la prévision du modèle sans mesures budgétaires spécifiques. La réponse du modèle est sans appel : la solvabilité des Etats européens est dégradée par l'austérité. Le ratio dette/PIB de la zone euro passerait de 80% en 2009 à 98%, à l'horizon 2014, soit 2 points de plus que dans un contexte où les déficits ne seraient pas corrigés (96%). Le PIB nominal perdrait près de 7% en niveau, entraînant une perte de 5,6 millions d'emplois. Au bout du compte, l'Europe perdrait sur les deux tableaux : plus de chômage, et plus de dettes. Le modèle EASY révèle aussi les conséquences de l'absence de coordination européenne dans la mise en place de ces plans d'austérité. Les pays vont se reposer sur la croissance des exportations pour compenser l'effondrement de leur demande interne : ils vont tenter de se repasser le mistigri de la déflation. A ce jeu, l'Espagne, qui a commencé sa thérapie de choc avant tout le monde, réussirait à baisser sa dette, de près de 9 points de PIB d'ici à 2014, au prix d'une violente récession (mais le chômage associé sera-t-il supportable ?). L'Allemagne non, mais s'en sortirait mieux que la France, grâce à un plan de rigueur plus étalé au cours des quatre prochaines années. Le programme français d'ajustement est trop concentré sur 2011. La France risque de se trouver en décalage par rapport à ses partenaires à partir de 2012, sa croissance étant rongée par ses importations et ses pertes à l'exportation. Certains facteurs indépendants joueront éventuellement en sens inverse. Selon EASY, une baisse de 10% de l'euro contre toutes les monnaies soutiendrait l'activité de la zone de 2,5% à l'horizon 2014 et relèverait le niveau des prix de l'ordre de 4%. Mais au total il faut bien accepter au moins le sens général de la simulation : le ratio dette/PIB est augmenté et non pas réduit par une cure d'austérité. Cela rejoint d'ailleurs l'observation établie sur très longue période par Reinhart et Rogoff (Cette fois c'est différent) : l'histoire séculaire des finances publiques est une série de crues et de décrues des dettes publiques, la décrue suivant toujours les mêmes voies : le défaut de paiement ou l'inflation, et jamais celle de la rigueur... (*) Philippe Brossard est président de Macrorama et Stéphane Capet consultant chez Capeco.
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