Jean-Yves Le Gall ( PDG d'Arianespace) : "Dans l'espace, il n'y a pas de place pour le glamour"

L\'année 2012 tire à sa fin. Quel bilan tirez-vous ?Pour Arianespace, l\'année commerciale a été remarquable. Dans un marché atone, nous avons réussi à prendre 10 contrats sur les 12 qui étaient vraiment ouverts à la compétition. Le satellite mexicain, qui nous a échappé, ne pouvait pas être lancé par une Ariane 5. Les Mexicains ont été contraints de prendre Proton car ils demandaient une orbite particulière. Quant au contrat Asiasat, il correspond à un back-up. Je mets de côté les contrats signés avec le lanceur américain SpaceX (quatre contrats) car ils sont largement artificiels. Même si on les prend en compte, Arianespace reste leader, loin devant avec plus de 60 % de part du marché des lancements des satellites. Je pense même que nous serons aux alentours de 80 % si on prend en compte les back-up que nous avons signés avec les opérateurs qui ont choisi SpaceX. Enfin, nous verrons bien, 2012 n\'est pas terminée et nous continuons à discuter avec de nouveaux clients.Et sur le plan opérationnel ?L\'année a également déjà été très bonne en terme de lancements mais elle n\'est pas finie. Attendons d\'avoir fait les deux derniers et on fera les comptes après le lancement de Soyuz cette nuit et celui prévu le 19 décembre avec Ariane 5. Nous avons déjà fait huit tirs. Si tout se passe comme prévu, notre chiffre d\'affaires sera en hausse de 30 % (en 2011, Arianespace avait réalisé 1 milliard d\'euros de chiffre d\'affaires, ndlr). Enfin, la conférence ministérielle des Etats membres de l\'Agence spatiale européenne (ESA) a validé le nouveau plan d\'aide à l\'industrie pour l\'exploitation d\'Ariane 5, qui s\'élève à 112 millions d\'euros par an. Il a été souscrit à 90 %. Cela ne représente plus que 8 % de notre chiffre d\'affaires, contre un tiers il y a dix ans. C\'est dire les progrès que nous avons fait.La Success Story d\'Arianespace se poursuit. Et si la fiabilité d\'Ariane 5 avait eu finalement raison sur les lanceurs à bas prix ?C\'est vrai que le lanceur Proton connaît une séquence technique très compliquée avec six échecs en six ans. La société ILS qui le commercialise est également en pleine tempête avec le départ de son PDG, qui fait suite à celui de son directeur technique il y a quelques mois. Elle n\'a signé que deux contrats en 2012. De son côté, Sea Launch n\'a plus que deux satellites à lancer ce qui pose des questions sur son avenir. Enfin, le Falcon 9 de SpaceX est à un tournant de sa jeune histoire avec deux lancements commerciaux (SES et Thaicom, ndlr) à venir. A ma connaissance, ils n\'ont pas encore de dates de lancement. Pour rester leader du marché, Arianespace a dû opérer une mutation considérable autant sur le plan qualitatif que quantitatif. Aujourd\'hui, Ariane 5 marche bien. Il lance avec succès, au jour dit et à l\'heure dite. Enfin, Arianespace opère désormais trois lanceurs : Ariane 5, Soyuz et le petit lanceur Vega. Cela tourne bien.La signature avec l\'opérateur EchoStar illustre-t-il votre succès ?C\'est vrai que les deux grands opérateurs américains EchoStar et DirecTV, qui étaient abonnés à Proton, sont revenus vers Arianespace. L\'an dernier, nous avons signé trois lancements avec DirecTV et cette année EchoStar a signé un partenariat de long terme avec nous.Pas d\'ombre à ce tableau idyllique ?Aujourd\'hui, nous devons convaincre nos clients que, même dans un marché bousculé par des concurrents qui cassent les prix, soit parce qu\'ils ont des problèmes de plan de charge (Proton et Sea Launch), soit parce qu\'ils veulent s\'offrir une part de marché (SpaceX), Arianespace est, de très loin, la meilleure solution pour lancer des satellites commerciaux. Nous construisons donc une offre sur mesure, en particulier pour que les opérateurs qui ont besoin de petits satellites ne soient pas déroutés par les problèmes techniques de nos concurrents ou par leurs promesses sans lendemain. Notre métier est difficile, nous le faisons de façon sérieuse, il n\'y a pas de place pour le glamour. Quelle confiance accorder à un concurrent qui annonce envoyer dans 15 ans, 80.000 personnes sur Mars ? On rêve...Et l\'issue de la conférence ministérielle des Etats membres de l\'Agence spatiale européenne qui a validé la poursuite du développement d\'Ariane 5 ME et le lancement d\'Ariane 6, vous a-t-elle satisfait ? Comment les deux lanceurs vont-ils coexister à partir de 2021 avec la mise en service d\'Ariane 6 sachant qu\'Ariane 5 ME sera en service dès 2017 ?Tout ce processus sera validé lors de la prochaine conférence ministérielle dans deux ans. Il faut quand même rappeler que la ministérielle de Naples a débouché sur un compromis avec la poursuite d\'Ariane 5 et le lancement d\'Ariane 6. Il faut maintenant que la filière spatiale européenne digère cette décision. Mais le plus important est qu\'avec Ariane 6, l\'Europe, à l\'initiative de la France, a donné un nouvel horizon à notre activité. Je suis d\'ailleurs frappé que depuis cette annonce, de nombreux jeunes ingénieurs nous disent vouloir travailler sur Ariane 6. Beaucoup plus que ceux qui veulent s\'embarquer pour Mars...Ariane 6 ne va-t-il pas cannibaliser Soyuz à Kourou en 2021/2022 ?Là aussi, attendons de voir quel sera le modèle d\'exploitation d\'Ariane 6. La solution technique retenue, qui abaissera les coûts grâce à la production en masse de propulseurs à poudre, peut conduire à deux versions ou à une seule, les études qui vont démarrer nous le diront. Exploiter une version unique est parfois plus avantageux que d\'avoir un lanceur taillé sur mesure, c\'est ce que nous faisons avec Ariane 5 ECA. Et dans ce cas, il y aura encore de la place pour Soyuz. Entre temps, nous allons continuer avec Ariane 5, Soyuz et Vega. Dix ans, c\'est loin !
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