France Télévisions, le chantier inachevé

Il y a cinq mois, jour pour jour, était lancé le déploiement de la nouvelle organisation de France Télévisions. Objectif : faire tomber les murs érigés depuis trente ans - la fin de l'ORTF - entre les chaînes du groupe et devenir un média global (« global media ») diffusé sur le Web, le mobile, le PC et le téléviseur. Et le 7 juin devait sonner la fin du délai fixé pour renégocier une convention collective commune à l'ensemble des 11.000 salariés du groupe. Une date butoir mise en cause par la décision de la cour d'appel de Paris le 3 juin (lire page 14). Décision qui va replonger le groupe dans de longues négociations sociales. Ce sera un lourd dossier pour le prochain dirigeant de France Télévisions dont le choix par l'Elysée devrait être connu très vite et qui prendra es fonctions en août. Les chances d'Alexandre Bompard, patron d'Europe 1, ont peut-être été ruinées par la fuite de sa désignation imminente, mi-avril, en pleine polémique sur la vente de la régie publicitaire à la société Lov de Stéphane Courbit - proche du président de la République - et Maurice Levy (Publicis). Une vente, liée à l'arrêt de la publicité décidé en janvier 2008 par Nicolas Sarkozy, mais aujourd'hui suspendue. C'est l'un des dossiers qui restera à clore par le nouveau dirigeant.Si Patrick de Carolis a subi la décision du chef de l'État, il a profité de l'électrochoc pour imposer sa refonte du groupe. Dès octobre 2007, bien avant l'annonce de Sarkozy, il avait confié au cabinet Gide Loyrette Nouel la rédaction d'une note sur un texte de loi, visant à regrouper France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO, et, au passage, à alléger le groupe de quelque 900 emplois. C'est ce projet qui fut adopté par la loi de mars 2009, accompagné d'un plan de départ volontaire de... 900 postes d'ici à 2012.Ainsi, en privé, Patrick de Carolis peut dire que la réforme de France Télévisions est d'abord la sienne, avant d'être celle du chef de l'État, à la suppression de la publicité et au mode de désignation par le gouvernement du PDG près. En interne, de nombreuses voix estiment que l'entreprise unique était nécessaire pour mettre France Télévisions en ordre de bataille et en mouvement à l'ère des réseaux numériques. Mais elles admettent aussi que le calendrier de cette réforme, mise en oeuvre moins de huit mois avant la fin du mandat du PDG, est exécrable.De délais du vote de la loi en négociations sociales, le chantier a fini par être ouvert. Les murs sont abattus. Le groupe unique existe. Mais le nouvel édifice reste en construction et ses plans soumis à des critiques qui n'attendent qu'un nouveau PDG pour s'exprimer. La nouvelle organisation avec les antennes - France 2, 3, 4, 5, Ô, les réseaux régionaux France 3 et RFO - et des « domaines » transversaux - programmes, ressources humaines, finances, technique, etc. - est une belle matrice sortie de cabinets de consultants. Dans la pratique, elle est difficile à appréhender. Certes, les premiers couacs de janvier, quand personne ne savait, par exemple, à quelques jours des Jeux olympiques de Vancouver, qui devait signer les ordres de mission des journalistes du Web chargés de couvrir les Jeux, se sont huilés.Mais à France 3 (la majorité des effectifs), le découpage régional en quatre pôles de gouvernance (Nord-Est, Sud-Est, etc.), auxquels rapportent, pour les ressources humaines, la technique, etc., les 24 antennes « de proximit頻, impose d'incessants déplacements. Le délégué régional aux antennes d'Amiens est régulièrement en réunion à la tête du pôle, à Strasbourg ; celui de Toulouse à Bordeaux, et de Lyon à Marseille... Les postes rendus vacants par les mutations ne peuvent être pourvus localement sans l'aval du pôle de gouvernance, voire de Paris. Embouteillages, délais, et énervement garantis.Bruno Gaston, le patron de l'antenne de France 4, trouve, lui, dans la nouvelle organisation, une chance pour sa petite chaîne, qui a désormais accès aux mêmes interlocuteurs que ses grandes soeurs dans les unités de programmes qui reçoivent ou mettent en oeuvre les projets des producteurs extérieurs. Mais pour le patron de l'antenne de France 2, autrefois le seigneur du groupe, devoir consulter pour ses programmes le patron des documentaires, de la fiction, le directeur de l'ensemble des programmes, ne va pas de soi.Quant au global media, la déclinaison des programmes sur le Web, le mobile, etc., la coordinatrice, Martine Viglione, n'a pris ses fonctions que fin mars. Les Web TV régionales, dont le lancement est prévu à la rentrée, impliquent le « domaine » technique, les antennes locales, les ressources humaines, le marketing. Faire l'apprentissage de cette gouvernance en « râteau », en gommant trente ans de culture d'appartenance à une « chaîne », multiplie les réunions et ralentit les décisions. Et si la réforme exige un management mobilisé, les 300 cadres nommés à de nouvelles fonctions début janvier attendaient encore mi-mai de connaître leur salaire final, tous les postes devant être « pesés » à l'aune de critères en cours d'évaluation.Sans compter que la matérialisation de l'entreprise unique se fait lentement. Des plans précis à la fin de la consultation des salariés, aucun déménagement ne peut s'effectuer avant fin juin. Ainsi, des équipes, réunies sur l'organigramme, sont éclatées entre l'ex-siège de France 5, le siège central... Bref, cette réforme aurait besoin de temps. Et le temps, ces initiateurs n'en ont plus.Nul doute qu'à peine nommé le successeur de Patrick de Carolis sera assailli de pressions pour défaire ce qui n'est pas achevé. À commencer par celles des producteurs audiovisuels. Les plus influents, qui ont leur badge d'entrée au siège et y naviguent comme chez eux, savent se faire entendre à l'Élysée. Ils combattent le « guichet unique », cette centralisation des unités de programmes du groupe, qui leur interdit désormais de proposer à une chaîne un projet refusé par une autre. En interne, des cadres reprochent aussi à la réforme d'avoir privilégié l'organisation avant la stratégie éditoriale. Au-delà du « virage éditorial » culturel revendiqué par le tandem Carolis-Duhamel, Radio France avec ses radios bien identifiées reste un modèle tentant. Après deux ans et demi de bouleversement, le nouveau dirigeant remettra-t-il la maison France Télévisions en chantier ? Isabelle Repiton
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