La Machine à Vapeur, et tout commence

La révolution industrielle du XIXe a été dans l'histoire contemporaine un moment spectaculaire. En Europe tout du moins. En quelques décennies, l'Angleterre d'abord, le continent ensuite, se sont couverts d'usines, de fonderies et autres ateliers, de mines de charbon, de chemins de fer. Une révolution baptisée d'industrielle mais qui aura été tout autant économique et financière, avec le développement des sociétés de capitaux cotées en Bourse, sociale et politique, avec l'apparition d'une classe ouvrière et des syndicats. À l'origine de ces révolutions, la machine à vapeur.Dès 1543, un bateau à vapeur muni de roues à aubes avait bien été construit pour une démonstration dans le port de Barcelone, mais cette expérience avant-gardiste tomba aux oubliettes avec son inventeur, Blasco de Garay, qui disparut avec son secret de fabrication. Ce n'est que 260 ans plus tard, que l'ingénieur américain Robert Fulton fit naviguer son premier vapeur sur la Seine, en 1803. Entre ces deux dates, l'épopée de la machine à vapeur ne commence réellement qu'à la fin du XVIIe siècle avec les premières chaudières imaginées pour faire tourner des pompes. Cette histoire, mêlant inventeurs de génie, industriels et commerçants essentiellement français et anglais, débute lentement avec deux pays sur la même ligne de départ.Le premier saut qualitatif qui permet de maîtriser l'énergie produite par la vapeur d'eau vient du piston, inventé par Denis Papin en 1690. Mais le physicien français, qui avait déjà créé l'autocuiseur en 1679 et fréquentait l'Académie des sciences et le Louvre, émigre à Londres pour cause de révocation de l'édit de Nantes. Il finit sans le sou et dans l'anonymat?; l'année de sa mort n'est même pas connue avec certitude. Le Britannique Thomas Newcomen ajoute un balancier au-dessus du cylindre piston de Papin, et commercialise sa première machine en 1711 pour assécher une mine de charbon inondée. Il fera fortune. La machine de Newcomen devient le standard et se répand en Europe. C'est pourtant une machine encore relativement archaïque qui ne subira que de très relatives améliorations avant qu'un certain James Watt s'y intéresse.L'ingénieur écossais dépose en 1769 un brevet - on dit à l'époque un privilège royal - pour sa machine dont la principale innovation réside dans la création d'un condensateur séparé du piston. Plus besoin de réchauffer le piston après une injection d'eau froide destinée à créer le vide par condensation de la vapeur. Une idée qui séduit immédiatement pour une raison simple?: à puissance motrice équivalente, la machine de Watt consomme quatre fois moins de charbon que la Newcomen. L'Écossais s'associe à l'industriel Matthew Boulton pour créer l'entreprise Boulton and Watt. Au même moment en France, les frères Périer, Jacques-Constantin et Auguste-Charles, travaillent à l'amélioration du rendement des machines à vapeur.Ayant entendu parler de James Watt, Jacques-Constantin Périer va le trouver dans ses ateliers de Birmingham. Saisissant tout l'intérêt de l'innovation, le Français passa commande immédiatement des matériaux permettant de fabriquer une machine équivalente. L'ingénieur avait alors la protection du duc d'Orléans qui lui valut la bienveillance de Louis XVI. Si les réseaux de James Watt lui ont permis également d'obtenir en 1778 un privilège royal de quinze ans en France, la guerre entre les deux pays a permis aux frères Périer de ne pas s'en soucier. Alors que la première machine de Watt sort des ateliers de Boulton and Watt en 1775, Périer sollicite la même année de la Ville de Paris les patentes pour fonder la Compagnie des Eaux et installer la pompe de Chaillot. Le premier coup de piston de ce type de machine sur le sol français est donné en août 1781. Il s'agit alors d'alimenter une partie de Paris en eau courante. Augustine et Constantine, les deux « pompes à feu » de Chaillot, fonctionneront sans problème jusqu'à leur remplacement en 1852. Cette installation était située dans la rue aujourd'hui baptisée « des Frères- Périer », dans le 16e arrondissement, juste à côté du pont de l'Alma. C'est au même endroit que les frères Périer bâtirent leurs fonderie et manufacture desquelles de nombreuses machines à vapeur sortirent. Dès 1781, des industriels comme de Wendel s'intéressent aux travaux de Périer. Une société dans laquelle de Wendel et Périer sont associés est ainsi créée et permettra de fabriquer et d'installer avant la Révolution française les premières machines à vapeur pour les usines métallurgiques du Creusot et d'Indret. Les mines d'Anzin commandent deux machines aux ateliers de Chaillot en 1782. Les industriels français peuvent faire confiance aux frères Périer dont la qualité a même été reconnue par James Watt. Celui-ci, après une visite des ateliers de Chaillot en 1786, écrit à propos de Jacques-Constantin Périer?: « Il exécute toutes les pièces excessivement bien. C'est un homme capable, et il serait très estimable s'il était un peu plus juste ou un peu plus honnête. » À aucun moment le Français ne s'est attribué les inventions de Watt à qui il avait acheté de nombreuses pièces avant de disposer de sa fonderie. Il a simplement jugé inutile de lui verser un droit... L'art de la machine à vapeur franchit une nouvelle étape en 1782, toujours grâce à James Watt. Cette fois, il met au point la machine à double effet qui, par un tiroir, permet de répartir alternativement la pression sur et sous le piston. D'autres innovations, comme des régulateurs de vitesse et de pression, seront apportées par Watt. Mais devenu méfiant vis-à-vis de Périer, il n'invite pas l'ingénieur français dans son atelier. C'est de façon détournée, par l'intermédiaire d'un ingénieur attaché à la cour d'Espagne, Augustin de Bétancourt y Molina, que les dernières trouvailles de Watt se retrouvèrent installées sur les machines fabriquées à Chaillot. Les deux premières machines à double effet à fonctionner en France furent installées en 1790 à Paris, pour la minoterie de l'île aux Cygnes (l'actuel quai Branly). Cet élan industriel s'essouffla vite avec la Révolution française. Et l'Empire, hardi dans ses réformes administratives, sembla moins préoccupé d'innovation industrielle. La manufacture de Chaillot continua à produire des machines à vapeur à raison de quelques unités par an et devait ainsi en 1800 avoir quelques dizaines d'unités en fonctionnement en France. À cette date, la Grande-Bretagne comptait déjà plus de 500 machines estampillées Watt.Le fossé entre les deux pays ne cessa alors de se creuser. La première locomotive à vapeur roule sur des rails britanniques en 1812, sur le Middleton Railway. Il faudra attendre 1829 pour qu'une locomotive française en fasse autant, entre Saint-Étienne et Lyon. Dans cette course-poursuite, la France ne parviendra pas à combler son retard. Ce n'est qu'avec l'arrivée du moteur à explosion, à l'issue d'un siècle de révolution industrielle, que les compteurs ont pu être remis à zéro.Jean-Baptiste Jacqu
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.