Les Sorabes, minorité oubliée de la réunification

Wilkommen ! Witaj knaz ! » Le salut bilingue accordé à la gare de Bautzen ne laisse aucun doute au voyageur. Cette coquette bourgade située à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Dresde est bien la capitale du pays des Sorabes. Ce peuple slave s'est installé dans cette région, la Lusace, voici quatorze siècles. Ni Polonais ni Tchèques, ils sont une des rares minorités autochtones reconnues en Allemagne. Soumis à une intense germanisation sous le règne des Prussiens et jusqu'en 1945, ils ne sont plus aujourd'hui que 50.000, moitié moins qu'il y a cinquante ans, éparpillés entre Bautzen et Cottbus, dans le Brandebourg.La RDA avait voulu faire de sa protection des Sorabes une vitrine et n'avait pas lésiné sur les moyens. Aujourd'hui encore, même ceux qui ne regrettent guère le régime communiste admettent que beaucoup a été fait à l'époque. « Le soutien institutionnel et financier à notre culture a été immense et a permis la création d'écoles, la publication de journaux, la mise en place d'une recherche en sorabe et une forte activité d'édition », reconnaît Jan Nuck, l'actuel président de la Domowina, l'association qui défend les intérêts de la minorité. Évidemment, ce fut au prix d'une soumission de la culture sorabe à l'idéologie du régime. Fidèles à leurs églises, notamment catholiques, beaucoup de Sorabes ont donc, malgré tout, vécu la chute du mur comme une libération.Le regard qu'ils portent sur cette partie de leur histoire reste cependant ambivalent. Et, vingt ans après, ils hésitent à émettre un jugement définitif sur ces vingt dernières années. Sans être nostalgiques, les Sorabes n'ont pas eu le sentiment d'une amélioration. « À l'époque, la défense de la minorité était dans la Constitution, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Certes, il y avait des conditions idéologiques mais, aujourd'hui aussi, il faut se battre pour obtenir des financements », résume Janina Brankatschk, intendante du théâtre germano-sorabe de Bautzen. Le docteur Jana Mark estime, elle, que les problèmes de sa communauté existeraient même sans la chute du Mur, mais elle refuse de considérer que la situation s'est améliorée durant ces vingt dernières années. Désormais noyés dans une Allemagne de 82 millions d'habitants qui les connaît peu, les Sorabes ne se battent plus pour la liberté mais pour l'argent et la reconnaissance. Pourtant, officiellement, la situation de ce peuple a de quoi faire pâlir d'envie Alsaciens, Corses ou autres Bretons. Reconnue par les Constitutions des Länder de Brandebourg et de Saxe, la minorité sorabe bénéficie de 16 millions d'euros de subventions par an. Les institutions et le réseau éducatif de l'ex-RDA ont été préservés et libéralisés. À Bautzen, le théâtre germano-sorabe et le musée sorabe sont flambant neufs et les noms de rues bilingues.Mais, derrière ce tableau idyllique, la réalité est plus inquiétante. Malgré les soins de la République fédérale, l'assimilation se poursuit. On entend ainsi bien peu de sorabe dans les rues de Bautzen. Telle banque pourra afficher son nom en sorabe sur sa vitrine, mais ne tentez pas de vous hasarder à parler au guichet dans cet idiome, on ne vous comprendra pas. Heiko Kosel est sorabe, avocat et député du parti de gauche Die Linke au parlement régional de Saxe. Il se bat pour que ses clients utilisent leur langue devant les tribunaux, comme c'est leur droit. « Dans les affaires familiales, l'usage de cette langue, utilisée dans le cercle intime, permet d'être plus sincère et plus clair », affirme-t-il. Mais comment faire lorsque, en haute Lusace, un seul juge parle et comprend le sorabe ? Il faut en passer par un traducteur, démarche souvent pénible pour une population qui est toujours germanophone. Tous les Sorabes racontent la même anecdote. Si un Allemand arrive au milieu de dix d'entre eux, ils parleront immédiatement dans sa langue. Question de politesse. « La politesse est une vertu louable, mais elle nuit à notre culture », ironise Heiko Kosel. Le domaine de cette langue slave se réduit donc peu à peu. Même dans les familles où l'on parle sorabe au quotidien, l'allemand et même l'anglais gagnent du terrain. « Pour les objets ou les concepts modernes, les mots sorabes existent, mais on ne les utilise guère », reconnaît Hrjehor Mark, qui est revenu avec sa femme, Jana, habiter au c?ur du pays sorabe pour pouvoir « réaliser tous les actes de la vie quotidienne dans sa langue ». Et puis il y a le travail, où la langue sorabe n'a pas droit de cité. Hrjehor, chef de projet dans les télécoms à Dresde, parle anglais au travail. Et sa femme affirme que la majorité de ses patients s'adressent à elle en allemand. Le couple déplore que, souvent, la culture sorabe se limite à des attractions touristiques : « La nostalgie sous une cloche de verre », résument-ils joliment. C'est pourquoi Heiko Kosel s'efforce de faire campagne en sorabe, afin de « redonner du prestige à cette langue ».En 2007, la Domowina a proclamé que « le peuple sorabe fait face au plus grand défi existentiel de ses 1.400 ans d'histoire ». Un défi surtout économique. Le chômage endémique a obligé bien des Sorabes a quitté leur région. Une migration fatale pour la culture locale. « Les jeunes vont chercher du travail ailleurs, se marient avec un Allemand ou une Allemande, ne parlent plus sorabe et oublient leur culture », explique Hrjehor Mark, pour qui le phénomène peut se produire même à quelques dizaines de kilomètres de Bautzen. Mais ceux qui restent doivent aussi se battre. Les Länder cherchent, ici comme ailleurs, à faire des économies. Et si le projet de Kindergarten bilingues, les Witaj, inspiré de l'expérience bretonne, est un succès, les autorités n'hésitent pas à supprimer des institutions et des postes ni à fermer des classes sorabes dans le primaire et le secondaire, ce qui a donné lieu en 2001 à un vaste mouvement de protestation dans la région. « Les autorités doivent comprendre que pour que les enfants sorabes aient les mêmes chances que les Allemands, il faut dépenser plus pour eux, car les livres en sorabe sont plus chers du fait de leur faible diffusion », explique Jana Mark, mère de six enfants. Son mari se plaint d'un véritable « manque de volonté politique qui préfère traduire réorganisation par réduction ». « La République fédérale a laissé passer sa chance de développer la culture sorabe », résume amèrement Heiko Kosel.Dans les faits, depuis vingt ans, le fossé semble s'être à nouveau creusé entre Sorabes et Allemands. Beaucoup de ces derniers ont du mal à comprendre qu'on puisse consacrer de l'argent à la défense des minorités. Les relations avec les Allemands sont parfois tendues. Heiko Kozel estime à deux par mois le nombre d'actes antisorabes dans une région où, comme dans le reste de la Saxe, le parti néonazi, le NPD, réalise des scores supérieurs à 5 %. La dégradation des crucifix catholiques sorabes ou des inscriptions en langue sorabe sont monnaie courante. Dans les matchs de football amateurs, les entraîneurs qui parlent cette langue à leurs joueurs sont souvent expulsés et voici quelques années, un jeune homme a été tabassé dans un bar pour avoir parlé sorabe. Heiko Kosel déplore la passivité de la police, mais aussi le fait que ce sont les jeunes qui sont les plus tentés par ces actes. Un chauffeur de taxi sorabe reconnaît que, entre jeunes des deux communautés, les insultes sont fréquentes et que beaucoup de jeunes sorabes préfèrent cacher leur origine. Reste que la production littéraire contemporaine, les traductions pour le théâtre, mais aussi la nomination d'un ministre-président sorabe à la tête de la Saxe sont des signes encourageants de vivacité de cette culture. En mai, ils étaient ainsi plus de 500 à Berlin pour demander un maintien des subventions et une autonomie dans la gestion des fonds, aujourd'hui confiée aux autorités locales et fédérales. Jan Nuck veut garder le moral : « On annonce notre disparition depuis un siècle et nous sommes encore là. » nLe chômage endémique a obligé bien des jeunes à quitter leur région, la Lusace.
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