L'islamophilie, tout un art

Prendre de la hauteur. Sortir des clichés et des débats stériles pour stimuler les sens et l'esprit. C'est ce que propose aujourd'hui le musée des Beaux-Arts de Lyon à travers une exposition remarquable d'intelligence, consacrée à l'influence des arts de l'Islam en Europe, de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe. L'occasion de réunir des pièces exceptionnelles, ici confrontées aux oeuvres occidentales qu'elles ont inspirées. Mais aussi des tableaux orientalistes ou ces magnifiques dessins, encres ou toiles signés Paul Klee et Henri Matisse.Les Européens se sont toujours intéressés aux arts islamiques. Mais il a fallu attendre la révolution industrielle pour voir des liens se créer. Les architectes français ou anglais sont parmi les premiers à se rendre au Caire, à Istanbul ou Ispahan d'où ils reviennent fascinés, les valises pleines de dessins de mosquées. Des collectionneurs privés, tel Albert Goupil, se prennent de passion pour l'art de ces contrées et acquièrent des pièces uniques. Comme cette armure pour tête de cheval en fer, dorée à la feuille.En ces temps de réforme des arts décoratifs en France comme en Grande-Bretagne, l'art islamique apparaît aussi au XIXe siècle pour certains Européens comme l'union parfaite des arts et de la science. Ces derniers cherchent à en percer les secrets de manière à produire eux aussi un art ornemental à la mesure de la nouvelle puissance économique de leur pays. Émile Gallé s'y essaye. Sans parvenir à trouver la subtilité ou la vibration de ses homologues arabes.Pour d'autres, par contre, la société industrielle est insupportable. Les arts de l'Islam apparaissent alors comme un extraordinaire moyen d'évasion qui s'incarne dans un nouveau courant de peinture, l'orientalisme. À leurs yeux, les femmes en terre d'Islam sont forcément sensuelles. En témoigne cette scène de hammam imaginée par Jean-Léon Gérôme, où une Blanche pulpeuse se fait laver dans un décor de mosquée. L'Arabe, lui, n'en est pas moins fourbe et cruel, comme le souligne une gigantesque toile d'Henri Regnault où le bourreau sanguinaire a la même tête que celui qu'il vient de décapiter. Enfin, pour les orientalistes, les musulmans sont fatalement fanatiques. Gérôme dépeint, par exemple, un imam aveugle plongé dans son obscurantisme.C'est pour se prouver qu'il n'est pas orientaliste que Matisse fait un premier voyage en Algérie en 1906. De ce périple, il ramène des tapis ou des carreaux de faïence qu'il ne va cesser d'utiliser ensuite dans ses tableaux. Paul Klee a, quant à lui, une révélation à Kairouan en Tunisie. De quoi permettre à ces deux grands peintres de revenir sur des clichés, pour certains malheureusement encore tenaces aujourd'hui. « Le Génie de l'Orient » au musée des Beaux-Arts de Lyon jusqu'au 4 juillet. www.mba-lyon.fr. Catalogue : « Islamophilies : l'Europe moderne et les arts de l'Islam », coédition MBA Lyon et Somogy, 400 pages, 39 euros.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.