Le Crédit d'Impôt pour la compétitivité et l'emploi va-t-il relancer l'industrie française ?

Parmi les huit décisions prises cette semaine par le gouvernement concernant la compétitivité, à la suite du rapport de Louis Gallois, la plus impactante, et en même temps la plus troublante, est probablement celle au sujet du Crédit d\'Impôts pour la Compétitivité et l\'Emploi (CICE). Il sera reversé aux entreprises proportionnellement à la masse salariale brute en France et ce à hauteur de 20 Mrds d\'€, soit une baisse d\'environ 6% du coût du travail.Autant la réduction du coût du travail est une nécessité pour restaurer les marges des entreprises, autant ce n\'est pas le moteur qui permettra de restaurer la compétitivité de l\'industrie française vis-à-vis de nos proches clients en Allemagne ou lointains comme en Chine. La compétitivité et l\'emploi en France seront retrouvés si on relance l\'investissement dans l\'innovation, dans les produits (via une montée en gamme) et dans la performance de l\'outil industriel, ce qui est bien l\'objectif recherché par les différentes mesures annoncées.Effets perversMalheureusement, dans le contexte actuel, les entreprises industrielles françaises sont soumises à une extrême pression économique et concurrentielle et par conséquent, la tentation sera grande d\'utiliser le CICE à d\'autres usages que l\'investissement dans l\'innovation en France, (par exemple : baisse des prix du fait de la pression des clients, qui sauront bien calculer le gain possible chez leurs fournisseurs, augmentation des salaires sous la pression des employés, rémunération du capital, sous la pression d\'actionnaires lésés par la crise, remboursement d\'emprunts, sous la pression de banquiers inquiets, ou opérations financières, etc.). Quant bien même ce Crédit serait utilisé pour investir, maigres sont les chances que cet investissement soit réalisé en France, dont la croissance est en berne. Il serait plutôt alloué en faveur du développement à l\'international, pour lequel nos entreprises (les ETI surtout) sont en retard par rapport à l\'Allemagne ou l\'Italie. Enfin, s\'il restait du Crédit pour investir en France, on peut penser qu\'il servirait d\'abord à améliorer la performance industrielle (automatisation, reconfiguration ou rénovation d\'usines, etc.), élément clé pour pérenniser des activités industrielles en France (et grand est notre retard dans ce domaine). Cependant, augmenter la productivité industrielle et la valeur ajoutée par employé, (aujourd\'hui inférieure de 10% à celle de l\'Allemagne alors qu\'elle était supérieur en 2000), est antinomique avec le CICE qui est proportionnel à la masse salariale !Enfin, effet pervers de la mesure, le CICE pourrait inciter à ré-internaliser des activités confiées à des sous-traitants ou des fournisseurs (la part d\'achats représente souvent plus de 50% du CA d\'une entreprise industrielle), afin d\'augmenter la masse salariale interne de l\'entreprise et donc le montant du Crédit, ce qui ne va pas dans le sens de l\'entre-aide entre les grandes et les petites entreprises...Orienter ce crédit vers l\'investissement productif en FranceL\'esprit de la mesure va tout de même dans la bonne direction. Néanmoins, il est impératif, a minima pour l\'industrie, de \"flécher\" ou d\'orienter ce Crédit d\'Impôts vers de l\'investissement productif en France : nouveaux produits à plus forte valeur ajoutée, nouvelles technologies, procédés et outil industriel modernisé et performant. Et cela pas forcement dans l\'unique objectif d\'adresser le marché français, mais plutôt pour renforcer la France comme base d\'exportations, en la rendant plus attractive vis-à-vis d\'investissements qui seraient réalisés à l\'étranger. Par exemple, si une entreprise doit investir en Pologne pour fabriquer un produit assemblé localement, une partie de cet investissement pourrait être maintenu en France pour fabriquer certains composants ou équipements critiques. Voici là tout l\'intérêt d\'un système incitatif favorisant l\'investissement en France. Les Allemands l\'ont d\'ailleurs bien compris. Ils ont perdu la production des panneaux photovoltaïques au détriment de la Chine. Mais en réalité, une majeur partie du coût complet d\'un panneau est réalisée en Allemagne : les machines d\'assemblages, le système électrique, le montage final des panneaux, puis enfin, l\'installation, la maintenance, etc.Il serait donc judicieux d\'assortir ce nouveau Crédit d\'Impôts d\'une conditionnalité liée à l\'investissement, de sorte à créer un réel moteur de relance de l\'industrie en France, à l\'instar du C.I.R avec les projets d\'innovation. Ainsi, ce moteur permettrait de substancier pleinement les 7 autres leviers proposés par le gouvernement, à savoir, l\'aide au financement des ETI, la montée en gamme et l\'innovation, la conquête de l\'étranger, l\'adéquation de la formation des jeunes à la demande, etc. Sans investissement, il est clair que tous ces leviers seraient vides de sens.Aucune raison de se \"désindustrialiser\"Historiquement, la France est un pays industriel avec de nombreux atouts ; elle n\'a aucune raison de se \"désindustrialiser\". Cependant, son portefeuille d\'activités industrielles est fortement menacé par la concurrence mondiale et un manque d\'atouts différenciants. En effet, le pays compte aujourd\'hui 300 domaines d\'activités industrielles, constituant 220 Mrds d\'€ de valeur ajoutée et 3,2 M d\'emplois. Environ 30% sont fortement exposés à la concurrence mondiale et la France manque d\'atouts différenciants forts. Dans ces domaines, les emplois ont chuté de -30% et la VA de -25% ces 10 dernières années, tandis que dans les domaines moins exposés, ou pour lesquels la France a un avantage compétitif, l\'emploi a beaucoup moins baissé et la VA a même augmenté !Inverser la tendance nécessite de changer nos dogmes du passé et de prendre en compte une nouvelle donne industrielle.- Rendre le sol France attractif au regard des investissements, pour ne plus être \"arbitré\" en faveur d\'autres contrées géographiques plus actives. Cela nécessite de redonner confiance, notamment dans les relations sociales et dans la stabilité fiscale, mais aussi d\'adopter un esprit de conquête pour attirer les investisseurs par tous les leviers incitatifs possibles (fiscaux, environnementaux, compétences, infrastructure, énergie, formation, contrat social), et ce de manière proactive au niveau de chaque région.- Mettre les conditions pour produire de manière compétitive avec des coûts élevés du travail. Cela nécessite de sélectionner les activités et les produits à plus forte valeur ajoutée, d\'améliorer significativement la performance industrielle et de délocaliser intelligemment les activités structurellement non compétitives dans des pays proches, à bas coûts de salaire (ex : le Maghreb ou l\'Europe de l\'Est).- Intégrer les nouveaux pays émergents dans l\'équation stratégique et industrielle, à la fois en choisissant des domaines différenciants par rapport aux nouveaux concurrents et en adaptant l\'offre (ex : gamme \"frugale\" ou premium).- Enfin, investir significativement dans les technologies de demain, afin de faire émerger des innovations qui remettent à plat l\'équation économique et industrielle des secteurs et de la concurrence, et qui permettent d\'intégrer de la valeur ajoutée en France. Les champs d\'innovation sont multiples : matériaux (ex : nanotechnologies, composites,...), procédés (ex : machine de tissage 3D, nouveaux procédés), technologies (ex : EPR, réseau 4G, batterie lithium-ion), produits (ex : la voiture électrique, l\'énergie renouvelable) ou design (caractère premium, qualité, ..). L\'innovation concerne tous les secteurs, même les plus traditionnels, comme le textile, le travail du bois, des métaux, etc....Selon notre analyse, ces mesures permettraient de freiner la baisse des emplois industriels observée depuis 3 décennies (-600 000 emplois tous les 10 ans), et de créer même 700 000 emplois industriels et 50 milliards de VA supplémentaire !  
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