Ne devenons pas un musée pour touristes asiatiques

Où en est l'Europe??Le pouvoir est en train de se redistribuer dans le monde. Les deux tiers de la croissance se feront entre Shanghai et Bombay cette année. Nous entrons dans l'ère des continents, c'est le moment pour l'Europe de jouer son rôle. Cela suppose que les institutions issues du traité de Lisbonne trouvent un rythme de croisière, ce qu'elles commencent à faire. L'autre condition est l'entente franco-allemande. Nous devons surmonter des approches parfois divergentes pour des raisons historiques. La hauteur du mark était valorisée en Allemagne, nous avons longtemps misé sur la dévaluation...Pas dans les vingt-cinq dernières années?!C'est vrai, mais notre modèle est plus keynésien, fondé sur la demande, le leur plus schumpétérien, insistant sur la création de richesse. La vérité est entre les deux. L'Allemagne doit savoir donner plus de pouvoir d'achat, la France devenir un pays plus favorable à l'entreprise. Rien qui résiste à une discussion un peu approfondie. Je rejoins l'Allemagne pour considérer qu'il vaut mieux associer les Vingt-Sept?: raisonner uniquement sur la zone euro serait insuffisant, le marché unique est important.En tant qu'ancien vice-président de la Commission de Bruxelles, vous connaissez de l'intérieur la machine européenne. Comment jugez-vous son évolution??L'Europe concrète progresse malgré tout. L'Europe des transports est communautaire depuis longtemps. Les grands réseaux ferroviaires, la gestion des eaux territoriales, l'espace aérien avec l'accord transatlantique sur le « ciel ouvert », tout cela a permis des avancées considérables. La liste noire des compagnies douteuses, par exemple, c'est une stratégie européenne qui a réussi. Les compagnies aériennes low-cost sont un effet de la libéralisation. La concurrence permet des transports moins chers, mais c'est une concurrence régulée. Avec plus d'argent, il est certain que l'Europe inciterait davantage les États membres à réaliser les grands réseaux transeuropéens.Dans quels autres domaines faudrait-il avancer??Dans celui de la compétitivité. C'est l'échec majeur de la stratégie de Lisbonne. Les États s'étaient engagés à consacrer 3 % de leur PIB à la recherche et on en est à moins de 2 % en moyenne. Nos universités n'ont pas été mises en réseau. Il faut que la stratégie 2020 qui a remplacé celle de Lisbonne soit beaucoup plus décisionnelle. Les États qui ne font pas d'efforts doivent être montrés du doigt. En matière de stratégie industrielle, nous devons utiliser beaucoup plus le pouvoir normatif que permet le marché unique. Galileo est un exemple de ce que réussit l'Europe quand elle se met d'accord, même avec difficulté?: nous allons avoir un grand GPS avec de nombreuses applications. J'y ajouterai la communauté de l'énergie, thème cher à Jacques Delors. Si l'Europe ne parvient pas à s'unir pour négocier avec ses partenaires, si l'Europe ne se dote pas d'infrastructures communes, alors, elle va manquer une étape fondamentale. Les Chinois ont déjà pris des gages sur un tiers des ressources pétrolières et gazières mondiales?! Pour moi, je le répète, il y a trois priorités?: la communauté du savoir ; la stratégie industrielle qui comporte notamment un accord sur les transferts de technologie? - la Suisse a transféré aux Chinois la technologie de l'horloge atomique, ce qui va leur permettre de créer un concurrent à Galileo?! Et enfin la communauté de l'énergie.Mais la volonté politique est-elle au rendez-vous??Il y a les institutions et puis ce qu'en font les hommes et les femmes. Nous avons des risques de populisme, la tentation souverainiste reste latente. Mais je pense que l'Europe sera résiliente. À condition toutefois qu'elle réagisse très vite, sinon nous aurons à la fois une dette de plus en plus chère et une population âgée. Les deux conduiront à un effet de ciseaux. Il faudra recourir à l'immigration qui peut être source de création et de dynamisme. Bien sûr nous sommes aujourd'hui dans une Europe du chômage, mais à partir de 2030 nous serons condamnés à accueillir des migrants. Mais immigration doit rimer avec intégration. C'est à ce prix-là que nous resterons un acteur mondial. Sinon, nous deviendrons un musée à l'intention des classes moyennes asiatiques.Propos recueillis par Sophie Gherardi Visions de l'Europe Jacques Barrot, membre du Conseil constitutionnel
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