Les voyages d'affaires changent d'ère

Et si l'une des conséquences de la crise n'était pas là où on l'attend ? Jusqu'alors, à chaque fois qu'une récession avait obligé les cadres des entreprises à réduire leurs déplacements au strict nécessaire, il n'avait pas fallu longtemps pour que, la croissance revenue, la bougeotte les reprenne. Ce retour au bon vieux temps, les compagnies aériennes traditionnelles l'attendent, comme tous ceux qui ont construit leur modèle économique sur une croissance illimitée des voyages d'affaires. L'après-crise risque pourtant de les faire déchanter. En France, en tout cas. « On ne reviendra pas au niveau de 2007-2008 », affirme tout de go Claude Lelièvre, qui gère la politique voyage du groupe Legrand. Ce cadre sait de quoi il parle. Il est l'un des vice-présidents de l'Association française des travel managers (AFTM). Son pronostic, la plupart des 200 membres de cette association le partagent. « Nous avons désormais atteint le point bas avec une baisse moyenne des dépenses de l'ordre de 25 % à 30 % et une réduction du nombre des voyages de 15 % à 20 %. Au mieux, dans les deux ans à venir, on reviendra à un niveau se situant à mi-chemin entre la situation actuelle et celle d'avant la crise », estime leur président Michel Dieleman, travel manager du groupe Orange. Relais fidèles des consignes imposées par leurs directions générales, les travel managers gèrent la pénurie en imposant des règles plus draconiennes que par le passé. « Ce n'était pas le cas lors de la crise de 2001. À l'époque, les entreprises avaient juste renoncé à voyager », se souvient Claude Lelièvre. Désormais, il faut batailler ferme dans les entreprises pour voler en classe affaires et même pour obtenir un billet de train en 1re classe. Les travel managers se montrent par exemple plus coulants avec les cadres qui acceptent de faire l'aller-retour dans la journée, leur permettant ainsi d'économiser une nuit d'hôtel.En France, HSBC a réduit de 20 % son budget « voyages » et compte bien le maintenir à ce nouvel étiage dans les années qui viennent. « Nous sommes un groupe international. Chez nous, chacun a vocation à travailler ensemble quel que soit l'endroit où il se trouve. Et pourtant cette décision a été facile à prendre », assure Pierre Ruhlmann, le directeur des technologies et services. La banque dispose en effet d'une palette d'outils de communication que ses salariés se sont appropriés. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2008 et 2009, le nombre d'heures d'utilisation du système maison d'audioconférence a progressé de plus de 20 %. Au total, les salariés auront passé à la fin de l'année autour de 57.000 heures en réunion téléphonique et 4.700 heures en visioconférence. En fait le groupe n'avait pas attendu la crise pour se doter de matériel plus facile à utiliser et plus efficace. Sur les trois dernières années, HSBC France a consacré plus de 1 million d'euros à l'acquisition de matériels de visioconférence. Un quart des salles de réunions en sont désormais équipées, de même que quelques bureaux individuels. « On est passé de quelque chose qui relevait un peu du gadget à un outil professionnel d'usage courant », souligne Pierre Ruhlmann. Pour les réunions de très haut niveau, le groupe HSBC a opté pour la « TelePresence » de Cisco, un système haut de gamme qui, par la qualité de l'image et du son et le recours à autant de caméras que de participants, donne le sentiment aux utilisateurs d'être dans la même pièce.L'équipementier américain, leader du secteur, a notamment utilisé la série télé « 24 heures chrono » pour mettre en avant son produit vedette. Le locataire de la Maison-Blanche y a recours pour des réunions de crise avec les membres de son gouvernement, voire pour parlementer avec d'autres chefs d'État. « C'est la nouvelle tendance : la visioconférence tend à ne plus être seulement un outil de communication à l'intérieur des entreprises. Elle permet de s'interconnecter avec ses fournisseurs, ses partenaires? », insiste François Moïse, responsable marketing de Cisco France. Le groupe incite également les hôtels à s'équiper de son système haut de gamme. « Déjà une cinquantaine d'établissements sont équipés dans le monde », précise François Moïse.Cette montée en puissance de l'ubiquité virtuelle se ressent aussi dans les performances commerciales des acteurs de la vidéoconférence. Cisco ne donne pas d'indications précises sur le chiffre d'affaires généré par « TelePresence ». « En un an, c'est une croissance à deux chiffres », se contente de dire le responsable marketing de sa filiale française. Une performance d'autant plus appréciable que ce géant des équipements de réseaux a vu son chiffre d'affaires mondial chuter de 8,7 % sur son dernier exercice clos le 25 juillet. « La crise et les politiques de réduction des coûts qui ont suivi sont aujourd'hui le principal moteur pour le développement des offres de visioconférences », reconnaît de son côté, David Rowe, le PDG d'Easynet, une filiale de BskyB qui cherche à concurrencer Cisco sur ce créneau. La part qu'occupera demain dans les entreprises la vidéoconférence dépend aussi des secteurs d'activité. « Chez nous, elle ne prendra pas plus de 7 % ou 8 % du budget voyages. Il ne faut pas oublier que nous exportons notre savoir-faire dans des pays lointains », assure par exemple Abdelaziz Bougja, chargé de mission voyage de Veolia Environnement. Pour autant, dans tous les secteurs, les directions générales sont à l'affût de solutions permettant de pérenniser les économies générées par la limitation des déplacements. Immersive Lab, filiale du Crédit Agricolegricole, joue de cet argument pour vendre ses outils destinés à ce qu'on appelle le e-learning. La caisse locale de Pyrénées-Gascogne qui emploie 1.800 personnes a fait appel à ses services l'an passé. « Son directeur général souhaitait réduire de 20 % les frais de déplacements liés à la formation, ce qui représentait une économie annuelle de 300.000 euros », raconte David Castéra, le PDG d'Immersive Lab.Chez LCL, les audioconférences sont désormais entrées dans les m?urs. « Cela a commencé il y a deux ans quand on a pu sécuriser nos systèmes », précise Anne Broches, la directrice des ressources humaines. La technique est même utilisée pour des réunions grand format. Quatre fois par an, la direction générale du groupe invite 360 cadres à appeler au même moment le numéro réservé aux audioconférences. « Ce n'est pas la peine de les faire venir à Paris juste pour une heure de réunion », explique Anne Broches. Dans de nombreuses entreprises, les directions générales insistent également sur l'aspect écologiquement vertueux de la réduction des déplacements. « J'ai reçu récemment un message d'un de nos clients qui fêtait en interne le premier anniversaire de l'installation de ?TelePresence?. Les trente salles dont il dispose lui ont, m'a-t-il écrit, permis d'économiser 2.500 voyages, soit 21 millions de kilomètres qui équivalent à 2.400 tonnes de CO2 », assure François Moïse. Un argument qui n'empêche pas un grand nombre de cadres à systématiquement privilégier l'avion pour leurs déplacements. Le cumul de miles utilisables à des fins personnelles reste, de l'aveu des travel managers, une motivation contre laquelle les arguments rationnels ont peu de poids. Mais ces derniers veulent croire que le maintien des contraintes imposées par la crise finira par ramener à la raison les grands voyageurs. « Lorsqu'on doit voyager dans des conditions de confort moindre, on ne vit plus cela comme une récompense. Seule l'utilité du déplacement sera demain le critère déterminant », observe Claude Lelièvre. L'évolution du marché de ce que les compagnies aériennes appellent la haute contribution est l'un des sujets qui tourmente en ce moment Air France. L'un de ses dirigeants table pour le moment sur une augmentation des prix pour la classe éco et une baisse pour la classe affaires. « Les réunions physiques seront plus rares et donc plus précieuses mais aussi mieux préparées. La présence physique se rechargera de symbolique. Un peu comme le papier », observe Natalie Rastoin, DG du groupe de communication Ogilvy France. Pierre Ruhlmann constate, lui, avec satisfaction que les réunions en vidéoconférence « sont plus efficaces et plus disciplinées » avant de faire cet aveu : « Pour se dire les quatre vérités, c'est tout de même mieux de se voir pour de vrai que par écran interposé. » nChez HSBC, le nombre d'heures d'utilisation du système maison d'audioconférence a progressé de plus de 20 %, entre 2008 et 2009.
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