L'installation d'une société militaire privée britannique inquiète la Suisse

Hier, on aurait parlé de mercenaires. Aujourd'hui, cela s'appelle une société militaire privée et c'est une branche de l'économie en recherche de respectabilité, qui pèse plusieurs centaines de milliards de dollars. Mais le l'arrivée à Bâle d'Aegis Defence Services Ltd, une entreprise militaire et de sécurité basée jusqu'ici à Londres, a causé l'émoi des milieux politiques suisses. Comme l'a rapporté la « Basler Zeitung », l'entreprise militaire britannique a choisi de regrouper en Suisse, sous le nom d'Aegis Group Holding, ses participations et sociétés dont elle assure le contrôle. Le président du conseil d'administration est l'avocat bâlois Kristian Meier, du cabinet Simonius Pfrommer, mais les actions restent entre les mains des sept actionnaires anglais. « D'un point de vue éthique et politique, je suis inquiet de l'arrivée en Suisse de ce type de société dont l'objectif est de financer et administrer des prestations militaires dans des régions à risques», avoue Peter Malama, conseiller national radical et directeur de l'Union des arts et métiers de Bâle-Ville. «Il y a un danger pour l'image humanitaire de la Suisse, mais aussi pour notre politique de neutralité.» Car l'exportation de services de mercenaires et de logistique militaire échapperait au contrôle des autorités fédérales. En effet, si Aegis s'est installée à Bâle, ce n'est pas pour les avantages fiscaux, identiques à ceux dont sa holding bénéficierait à Londres, mais pour le vide juridique. Il n'existe rien au niveau fédéral permettant un contrôle de sociétés de sécurité ou de prestations militaires. Code de bonne conduiteLa Suisse, par le biais du département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), s'est pourtant engagée à adopter un code de bonne conduite des Etats pour les entreprises militaires privées. Conjointement avec le CICR, le DFAE avait organisé une conférence internationale à laquelle participaient les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne, l'Irak et la Sierra Leone. Celle-ci a débouché en 2008 sur le Document de Montreux, traitant notamment de la mise en place de régimes transparents d'octrois de licences ou de supervisions des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP). Mais ce que la main gauche, en l'occurrence le DFAE, fait, la main droite, ici le département fédéral de Justice et Police, peut l'ignorer dans le système gouvernemental helvétique départementalisé. En 2008, le Conseil fédéral, sur la base d'un rapport de l'Office fédéral de la justice, concluait qu'il n'y avait pas de nécessité de légiférer, en raison de l'étroitesse du marché helvétique et du petit nombre d'entreprises suisses susceptibles d'exporter des prestations de sécurité. Il jugeait même «négligeable le risque de voir se produire des incidents susceptibles de se répercuter sur la politique extérieure de la Suisse ou sur sa neutralité». Le Parlement a emboîté le pas en 2008 en refusant une motion de la socialiste bernoise Evi Allemann pour réglementer le secteur. «Le Conseil fédéral a manqué de vision. Il n'a pas pensé un seul instant à l'implantation d'une société privée», regrette Peter Malama, qui planche sur une nouvelle motion. «On peut imaginer une législation comparable à celle sur les exportations d'armes, ou un système de licence», ajoute Marc Schinzel, juriste et spécialiste de la question à l'Office fédéral de la justice.Yves Petignat, Berne (« Le Temps »)
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