La réponse d'Albion à la Silicon Valley

Les tables sont en carton recyclé, les murs décorés d'aplats de couleurs vives et l'uniforme obligatoire est constitué d'un jean, d'un tee-shirt et d'une barbe de trois jours. L'endroit respire une atmosphère volontairement « geek », renforcée par les câbles électriques qui courent un peu partout.Le TechHub, situé à l'est de Londres, à proximité de la City, est un grand espace de travail, incubateur de start-up sponsorisé par Google, où les inventeurs en herbe viennent partager bureaux, inspiration et compétences. Les utilisateurs, qui doivent avoir un projet centré autour des nouvelles technologies, peuvent y louer des bureaux à l'heure ou au mois. Mais c'est avant tout la concentration de talents qui attirent.« J'ai rencontré ici quelqu'un qui va m'aider pour créer la version de mon site pour téléphones portables, et quelqu'un d'autre m'a mis en relation avec un designer, explique Andy Davey, qui lance un réseau communautaire autour du sport. TechHub est le genre d'endroit qui produit beaucoup d'idées, ne serait-ce que par les conversations qu'on a autour de la machine à café. »Ouvert à l'automne dernier, l'incubateur est l'un des derniers lieux à constituer ce qui est en train de devenir un véritable phénomène : le « Silicon Roundabout » (littéralement, « le rond-point du silicium »). Réponse britannique à la Silicon Valley, mais situé à proximité de l'énorme (et très laid) rond-point d'Old Street, à l'est de Londres, l'endroit s'est développé entièrement de lui-même. En juillet 2008, l'un des fondateurs de Dopplr, un réseau communautaire de tourisme, dénombrait une quinzaine de start-up d'importance dans le quartier ; dix-huit mois plus tard, en janvier 2010, la version britannique du magazine informatique « Wired » comptait 85 entreprises, une liste sans doute pas exhaustive (*). « C'est aujourd'hui un écosystème d'une centaine de start-up dans les technologies, pour beaucoup d'entre elles des entreprises gazelles, dont le chiffre d'affaires progresse de 20 % par an pour la quatrième année consécutive », estime Andrew Cahn, directeur de UK Trade and Investment, l'agence britannique pour les investissements étrangers.La réussite la plus connue de ce quartier est Last.fm, un site de musique qui classe automatiquement les artistes par genre (et permet donc d'écouter le genre désiré à tout moment). L'entreprise a été achetée en 2007 par CBS Interactive pour 140 millions de livres (165 millions d'euros). Le « rond-point » est aussi composé de designers de sites Internet, d'agences de marketing viral, d'un site de comparaison d'hôtels, d'une entreprise spécialisée dans la réalité « améliorée », d'une autre travaillant sur la 3D...Cette concentration s'est faite sans l'aide des pouvoirs publics. Pour les entrepreneurs, Old Street et ses environs constituent un emplacement naturel. « Les loyers ne sont pas chers, mais nous sommes très centraux, à proximité de nos clients de la City », explique Andrian Marshall, le fondateur d'Excelian, une entreprise créée en 2001, qui fournit des services technologiques pour les sociétés de courtage. Mais c'est surtout l'esprit du quartier qui le séduit. « À moins de 300 mètres de nos locaux, il y a au moins quatre entreprises comparables à la nôtre. Tout le quartier est tourné vers l'idée d'entreprendre. » Pour Excelian, le succès a été au rendez-vous : l'entreprise a aujourd'hui 250 employés et un chiffre d'affaires de 35 millions d'euros.Outre ses loyers abordables, le succès d'Old Street vient aussi de l'atmosphère très « tendance » qui s'en dégage. Le quartier a longtemps été l'endroit où les immigrés sans le sou fraîchement débarqués à Londres s'installaient, près des docks et des usines qui desservaient la City. Mais depuis une quinzaine d'années, ses vieux entrepôts en brique ont été pris d'assaut, d'abord par des artistes, puis depuis une dizaine d'années par des designers et des publicitaires. Les galeries, bars et restaurants s'y sont développés en abondance, apportant une ambiance très créative. L'endroit est tellement incontournable aujourd'hui que le club privé très chic Soho House, fréquenté par les publicitaires, a jugé nécessaire d'y ouvrir un nouveau centre, avec salle de gym, piscine et restaurant. « Il y a une dynamique naturelle dans le quartier, explique Jeremy Ward, le directeur d'Excelian. Le tiers de nos employés sont étrangers, et il est agréable de vivre ici. »Une telle concentration naturelle d'entrepreneurs ne pouvait pas longtemps rester ignorée des hommes politiques. Courant novembre, David Cameron, le Premier ministre, a très officiellement lancé son projet de « Tech City », qui espère relier Old Street au parc olympique, construit pour les JO de 2012, à quelques kilomètres de là. À défaut d'aide financière, il a apporté avec lui quelques grands noms des nouvelles technologies. Intel va établir un laboratoire de recherche dans l'est de Londres, tandis que Cisco va construire un « centre d'innovation » dans le parc olympique.Côté financements, l'un des points faibles des start-up en Grande-Bretagne, le gouvernement a annoncé la venue de Silicon Valley Bank, une institution californienne très présente en Californie. McKinsey, Facebook, Google et les universités locales vont aussi apporter leur contribution au projet, bien que parfois essentiellement symbolique. Enfin, le gouvernement britannique annonce une facilitation des visas pour entrepreneur, et le lancement d'une étude visant à modifier la loi sur la propriété intellectuelle, jugée peu propice aux start-up.Pas question pour autant de se comparer à la Silicon Valley. Le quartier d'Old Street n'a produit ni Google, ni Facebook. Une grande partie des start-up sont encore de très petite taille, avec quelques employés à peine. « Soyons réalistes : 48 % des investissements en nouvelles technologies se font dans la Silicon Valley, et il n'est pas question de rejeter cela », affirme à TelecomTV Alex Haye, un Américain qui dirige Latitude, une agence de marketing digital, qui a ouvert un bureau à deux pas d'Old Street. Pourtant, il croit en l'avenir de ce rond-point technologique : « Londres a les moyens d'être une sérieuse place secondaire, derrière la Silicon Valley. » Le rond-point londonien n'a pas fini de faire parler de lui.Éric Albert, à Londres(*) https://cdni.wired.co.uk/static/20100129-Old-Street-Map.jpg
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