Gérard Depardieu en Belgique : "la mise en scène d'un chantage à l'exil fiscal"

Alors que Gérard Depardieu “rend son passeport“, que le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, appelle l’acteur et homme d’affaires à “revenir“, les projecteurs sont plus que jamais braqués sur les exilés fiscaux. Le départ de figures médiatiques serait-il un révélateur d’une tendance plus profonde avec des “fuites“ de riches français effrayés par les mesures fiscale du nouveau gouvernement? Qui sont ces exilés et pourquoi partent-ils? Pour Monique Pinçon-Charlot, sociologue et directrice de recherches au CNRS qui a observé la haute bourgeoisie française avec son mari Michel Pinçon pendant de nombreuses années -notamment pour l\'Argent sans foi ni loi, paru cette année-, l’exil fiscal “physique“ est dépassé par celui “de l’argent“.La Tribune - Les départs fracassants de personnalités symbolisent-elles un véritable phénomène d’“exil“ dans la haute bourgeoisie française? Monique Pinçon-Charlot - C’est une mise en scène d’un chantage à l’exil fiscal. On a eu Bernard Arnault il y a quelques mois, aujourd’hui on donne en pâture aux médias et au peuple le cas Gérard Depardieu. Ils sont là pour donner de la chair, une figure à un chantage idéologique. Les ‘riches’ ne se présentent plus au peuple comme d’affreux spéculateurs mais, par le biais d’une manipulation linguistique, comme des créateurs de valeur et d’emploi. C’est la spécificité de la phase de changement du système capitaliste vers un système néo-libéral dans lequel nous vivons aujourd’hui. Ce qui nous gène, avec Michel dans la furie médiatique du moment, c’est que l’exil fiscal est l’arbre qui cache la forêt. En réalité, l’argent est déjà parti dans les paradis fiscaux. Des centaines de milliards d’euros y sont déplacés dont une bonne part appartient à des familles. D’ailleurs on peut se demander s’il n’y a pas davantage de nouveaux riches dans l’exil des personnes et plus d’anciens riches dans l’exil de l’argent. De génération en génération, ces derniers ont construit des réseaux très solides qui permettent l’optimisation fiscale. Ils bénéficient des conseils d’avocats fiscalistes qui appartiennent au même monde qu’eux. Les ‘nouveaux riches’, qui ont fait par exemple leur fortune dans le football ou le cinéma disposent moins de ces réseaux. Certes, il y a des contre-exemples comme les familles Hermès ou Bich installées en Suisse mais cela mériterait une étude statistique.Peut-on envisager que ces départs suscitent un effet d’entraînement ? Non, nous constatons une stabilité dans le nombre d’exilés fiscaux. Les chiffres communiqués par Bercy le sont toujours avec retard, il faut du temps pour les compiler et les vérifier. Mais nous remarquons qu’en 2006, il y a eu 846 départs, puis il y en a eu 719 en 2007 et 821 en 2008. Ce qui signifie au passage qu’un an après la mise en place du bouclier fiscal par Nicolas Sarkozy, les départs continuaient d’augmenter. Il faut aussi prendre en compte les retours: 246 en 2007 et 312 en 2008 par exemple. Au total, entre les départs et les retours, on remarque une stabilité.Le chiffre de 500 Français ayant fait leur demande pour obtenir la nationalité belge vous paraît-il plausible? Je suis très méfiante. Nous avons d’ailleurs constaté que l’exil n’était pas évident. Pour écrire “Les Ghettos du Gotha“, nous avions fait passer des entretiens à des exilés fiscaux dans les communes d’Uccle et d’Ixelles à Bruxelles. Ce n’est pas si facile pour eux. Les enfants vivent un certain déracinement et cela entraîne des complications incroyables. Certains nous racontaient ainsi que pour justifier de leur présence un jour sur deux en Belgique, ils devaient faire allumer les lumières chez eux pour prouver qu’ils étaient là.Quels sont les autres ressorts permettant d’expliquer le choix de s’expatrier? La haine de l’état redistributeur, le refus d’apporter sa contribution à la nation, le rejet de la solidarité avec ceux qui gagnent moins. Quand Gérard Depardieu propose de rendre son passeport, de renoncer à sa nationalité, je trouve ça très bien. Si on s’exile, c’est un choix, on l’assume. C’est aussi un drapeau, un étendard du néolibéralisme qui est porté par cet exil. On dit et on redit ainsi que l’argent ne doit connaître ni valeur morale, ni frontière, ni contrainte. Il y a également une dimension psychologique.Vous aviez présenté Nicolas Sarkozy comme le “président des riches“, son successeur à l’Elysée aurait-il pris le contre-pied de cette image?Au cours de sa campagne, François Hollande a fait des promesses qui valent pour ceux qui les croient. Il s’était présenté comme “l’ennemi de la finance“, on peut se demander s’il n’y a pas imposture. Avec la signature du pacte de compétitivité nous avons assisté à un rétropédalage. Celui-ci ne m’a pas étonnée puisque le parti socialiste est un parti libéral d’alternance.  
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