En Tunisie, le secteur bancaire est au bord de l'asphyxie

Un risque 8 sur l'échelle de Standard & Poor's. C'est la place que l'agence de notation a attribuée au secteur bancaire tunisien dans son classement BICRA (Banking Industry Country Risk Assessment) publié le 24 septembre, sachant que 1 représente le risque le plus faible, 10 le plus élevé.Un peu plus de 1300 agencesPlusieurs types de banques se partagent aujourd'hui le marché: celles qui ont une forte participation de l'Etat, à savoir la Banque nationale agricole (BNA), la Société Tunisienne de Banque (STB) et la Banque de l'Habitat (BH), celles à capitaux privés tunisiens, et celles à majorité étrangère. Toutes enseignes confondues (soit 21 banques), la Tunisie compte un peu plus de 1300 agences bancaires.Parmi les banques françaises, Société Générale s'est implantée en Tunisie en 2002 via l'acquisition de 52,34% de l'Union internationale de Banques. BNP Paribas dispose de 110 agences en Tunisie, détenant 50% du groupe bancaire UBCI (50% appartiennent à des actionnaires privés tunisiens). Et Crédit Agricole est quant à lui présent dans le pays via trois activités: la banque de financement et d'investissement, l'affacturage et la gestion d'actifs.Un niveau inquiétant de créances douteusesLe premier facteur avancé par Standard & Poor's pour attribuer un tel rang au secteur bancaire tunisien, est celui du niveau des créances douteuses des banques. "Officiellement à 13,3% à la fin 2011, il affecte l'efficacité et la rentabilité des banques. [...] Nous pensons que le taux réel des créances douteuses est plus élevé et pourrait probablement atteindre 20%, avec une approche plus conservatrice", lit-on dans la note de S&P. Le magazine Jeune Afrique signale en outre que les établissements bancaires publics sont ceux qui ont accumulé le plus de créances douteuses. La Société Tunisienne de Banque, qui n'a pas encore publié ses comptes consolidés pour 2011, annonçait en 2010 avoir 1,9 milliard de dinars de créances douteuses, dont seulement 50% ont été provisionnées. Quant à la Banque nationale agricole, elle en recensait pour 1 milliard de dinars en 2011, provisionnés à 71%, et la Banque de l'Habitat 672 millions de dinars provisionnés à 53%.Un provisionnement insuffisantLe Fonds Monétaire International (FMI) a constaté dans son rapport d'août 2012 sur l'évaluation de la stabilité du système financier en Tunisie, que ses recommandations en la matière n'ont pas été suivies, à l'instar de celle qui exigeait un provisionnement de 70% pour toutes les créances compromises. L'institution ajoute qu'"aucune mesure n'est encore en place pour recapitaliser les banques, et le provisionnement n'est pas suffisant car il repose sur des évaluations optimistes des garanties". De plus, selon le FMI, ces créances douteuses devraient être évaluées à leur valeur de marché et placés dans une société spéciale de recouvrement.Des données erronéesLe FMI indique également qu'il se pourrait que la valeur des garanties bancaires soit fortement surestimée et que les vulnérabilités des banques soient donc beaucoup plus importantes que ne le laissent entrevoir les données bilancielles communiquées officiellement. Ainsi, les prêts aux entreprises publiques ne sont jamais classés, ce, en raison d'une garantie présumée de l'Etat. Au final, le provisionnement des créances douteuses ne peut donc qu'être insuffisant, puisqu'il est calculé après déduction des garanties.Le FMI explique ainsi qu'il "a examiné en détail une grande banque publique en difficulté et a conclu que ses portefeuilles de prêts étaient nettement surévalués, et qu'une réévaluation appropriée des garanties pourrait rendre l'établissement insolvable".Détérioration de la qualité des actifsL'agence de notation estime par ailleurs que les perspectives macro-économiques du pays "pourraient détériorer davantage la qualité des actifs des banques au cours des prochains trimestres, particulièrement les actifs liés au tourisme, déjà affectés par la crise du tourisme en 2002". Le FMI précise ainsi qu'un tiers des 850 hôtels ont connu de graves difficultés financières en 2011. La baisse d'activité du secteur manufacturier et celle des exportations ne contribueront pas non plus à améliorer le profil de risque du portefeuille de crédits des banques.Dans une étude publiée en mars 2011, les analystes de la société financière tunisienne Amen Invest anticipaient déjà l'essoufflement du secteur: "La conjoncture actuelle qui a suivi le renversement de l'ancien régime prédit un exercice 2011 difficile pour le secteur financier et principalement pour le secteur bancaire, puisqu'il y aura lieu de constater une croissance des pertes et des créances classées [douteuses, ndlr], et ce conjointement au ralentissement économique qui s'est déjà fait ressentir". Les analystes estimaient alors que les banques étatiques seraient les plus touchées. Quant aux banques aux capitaux majoritairement étrangers, Amen Invest affirmait qu'elles "avaient initialement affiché un très faible taux d'engagements auprès des membres de l'ancien régime, et leur activité ne devrait aucunement être impactée".Une concurrence fausséeLe FMI pointe aussi du doigt le fait que toutes les banques ne sont pas traitées de manière identique. "Le fait que des établissements faibles ou non viables puissent entreprendre de nouvelles activités, porte un grave préjudice à la concurrence en exerçant une tension sur les prix et en rabaissant les normes de gestion des risques", lit-on dans le rapport.Il en ressort que certaines banques ne dégagent pas suffisamment de marges, du fait de la concurrence que se livrent les acteurs du marché: "pas moins de 21 banques opèrent sur un marché qui présente quelques distorsions dues à la présence de banques publiques qui détiennent environ un tiers des actifs du système", explique S&P. Lesquelles banques publiques sont recapitalisées par l'Etat autant que nécessaire, sans pour autant qu'il leur soit demandé de modifier leur structure de gouvernance.Le niveau de supervision du secteur bancaire, jugé comme relativement faible par le FMI comme par S&P, doit donc absolument être renforcé.Enfin, le niveau des dépôts des clients est devenu insuffisant pour que les banques financent leurs crédits: les dépôts ne couvraient que 2/3 des crédits octroyés en 2011. Pour Jeune Afrique, "au-delà d'une restructuration, c'est le modèle économique même des banques, basé sur la collecte de dépôts à taux très bas et l'octroi de crédits à taux élevés, qui doit être mis en question".Poursuite du plan de marcheSi jamais une crise financière d'importance survenait, S&P est on ne peut plus claire: "La flexibilité financière du gouvernement est limitée pour fournir un soutien extraordinaire aux banques en cas de crise systémique". Quant au FMI, il considère, suite aux tests de résistance, que le secteur bancaire pourrait avoir des besoins importants de recapitalisation, rien que pour tenir le minimum réglementaire de 8% en vigueur.Dans ce contexte, les banques françaises implantées en Tunisie poursuivent néanmoins leur plan de marche. Les ambitions de Société Générale dans la région restent importantes: "En Afrique du Nord, nous souhaitons devenir d'ici à 2015 la première banque à capitaux privés", déclarait Jean-Louis Mattei fin 2010, alors directeur de la banque de détail à l'international. Ce, par l'ouverture de 380 agences (+60%) et par le doublement de la clientèle particulière (+1,3 million de clients) d'ici à 2015. De son côté, après la révolution en 2011, BNP Paribas a lancé une campagne de crédit à destination des professionnels et débloqué une enveloppe de 15,5 millions d'euros pour soutenir les projets de développement des artisans, commerçants et professionnels libéraux. 
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