Nous sommes tous des Africains mondialisés...

Dans « Au commencement était la mondialisation », Nayan Chanda nous propose une vivifiante grille de lecture en se concentrant sur les multiples connexions nées, au fil des temps, par quatre grands types de « globalisateurs » : les marchands, les prêcheurs, les aventuriers et les guerriers. Nul ne sait dans quelle catégorie l'auteur se range. Mais l'historien d'origine indienne, diplômé de la Sorbonne, devenu rédacteur en chef de la Far Eastern Economic Review, à Hong Kong, avant de devenir directeur de publications à Yale, est un pur produit d'une culture transfrontalière. Il entraine le lecteur d'une plume alerte, où l'humour et le talent du conteur se mêlent au sérieux des connaissances, dans une étonnante saga.On y découvre l'irritation des Chinois à la découverte du « marqueur » génétique africain, bref, de la « maman noire de l'Empereur jaune » dont ils pensaient être issus. Mais aussi l'épopée des marchands qui, du commerce à dos de chameau aux échanges électroniques, ont su utiliser les découvertes scientifiques, pris des risques parfois insensés, fait voyager les idées et les cultures et... rétréci la planète : aujourd'hui, un I Pod, assemblé en Chine et commandé d'un simple clic sur un ordinateur, Outre-Atlantique, parcourt, de Shanghaï à New Haven, 12.800 kilomètres en moins de deux jours. Un voyage qui aurait pris des milliers d'années à nos ancêtres... On prend mieux la mesure de l'influence planétaire des « prêcheurs », décidés à faire prévaloir leur foi -par la douceur ou la force- et à l'origine de communautés mondiales de chrétiens, de musulmans, de bouddhistes. Ils sont désormais relayés par les défenseurs des droits de l'homme ou de l'environnement, ces ONG chez qui l'auteur voit de nouveaux missionnaires, de la société civile cette fois.Certes, les « aventuriers » d'aujourd'hui n'ont plus la trempe d'un Marco Polo ou de l'amiral eunuque chinois Zeng He. Les touristes peuvent tranquillement préparer leurs voyages sur Internet. Quant aux « guerriers » du temps des Empires, ils affrontent de nouveaux type de menaces, informatiques cette fois. Mais cette confrontation, au travers des âges, d'acteurs de toutes sortes apporte un éclairage foisonnant d'une réalité où les bienfaits de l'intégration et les menaces de désintégration dus à la mondialisation prennent tout leur sens.C'est sur la face sombre de cette interdépendance mondiale et la façon d'en limiter les conséquences explosives, que Serge Michailof nous invite à réfléchir. Dans « Notre maison brule au Sud » son constat est clair : en ce siècle de mutations accélérées, ce sont les pays du Sud qui subiront les chocs démographiques, économiques, écologiques ?autant dire politiques et sociaux- « les plus rapides et les plus brutaux ». Même ceux dont la gestion s'est améliorée risquent d'être entraînés dans un cycle d'échecs et de se transformer en de « dangereux chaudrons », déstabilisant des régions entières. Ces pays, l'auteur les connait bien pour avoir, durant plus de quarante ans, sillonné la planète sous une casquette Banque Mondiale, ONU ou AFD. Au nom de leur « développement ». Un terme qui tient, pour cet économiste devenu « développeur », d'une « alchimie » encore mystérieuse, tant il est difficile de déterminer ses éléments déclencheurs. Tout au moins a-t-on identifié, au fil de décennies marquées par des zigzags perturbateurs et des gaspillages, les facteurs qui l'étouffent : les modèles soviétique et populiste, sans oublier les méfaits de l'aide « liée » à l'achat de biens et services provenant des pays donateurs. Une spécialité devenue chinoise. L'écriture a parfois l'austérité des examens cliniques mais laisse transparaitre la colère mal contenue de l'auteur. Quand, par exemple, il dresse un bilan accablant de l'aide dans l'un des pays « faillis » qui menacent les équilibres géopolitiques mondiaux, l'Afghanistan. Pour Serge Michailof qui y a effectué de multiples missions, l'argent, s'il est indispensable, ne suffit pas. En l'absence d'un « pilote aux commandes » et d'une stratégie cohérente, les pourvoyeurs d'aide se comportent comme « des consommateurs dans un supermarché ». Aussi difficile à diriger qu' « un troupeau de chats », ils conduisent à des catastrophes. Faut-il pour autant abandonner toute politique d'aide ? Ce serait pire que le mal selon l'auteur. Mais il est urgent de la débarrasser de ses scories pour mettre en place un nouveau partenariat international. Car les plus pauvres ne pâtissent pas d'un excès de mondialisation mais « d'une insuffisance de marché, d'une défaillance de gouvernance et de l'isolement » Ce cri d'alarme sera-t-il entendu pour éviter un scénario « perdant-perdant » pour la planète ? Comme le dit un vieux proverbe chinois cité par Nayan Chanda, « mieux vaut allumer une bougie que de maudire l'obscurit頻. Chacun à sa façon, le journaliste d'origine indienne et le « développeur » d'origine russe le confirment.Françoise Crouïgneau « Au commencement était la mondialisation », de Nayan Chanda. CNRS Editions (446 pages, 25 euros).« Notre maison brûle au Sud », Serge Michailof et Alexis Bonnel. Fayard (367 pages, 23 euros).
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