Une idée à (re) découvrir, le scepticisme

Les temps de crise, comme ceux que nous traversons, devraient favoriser les remises en cause des dogmes. Mais souvent, ils ne poussent la majorité d'entre nous qu'à adopter les dogmes contraires au lieu de nous rendre plus circonspects. Pourtant, le scepticisme est une philosophie qui a ses lettres de noblesse inscrites dès l'antiquité grecque avec Pyrrhon. Et la France en a un digne représentant, avec Montaigne. La lecture des « Essais sceptiques » du philosophe britannique Bertrand Russell (1872-1970), parus en 1928, avant la grande crise, peut nous aider à la (re)découvrir.On l'a oublié en France, mais lord Russell fut l'un des philosophes les plus importants du début du XXe siècle. Non seulement, ce défenseur d'une philosophie rationaliste fut l'un des créateurs de la logique qui révolutionna les mathématiques mais aussi un pacifiste engagé qui lutta avec courage contre toutes les formes autoritaires du pouvoir, ce qui conduisit ce petit-fils de Premier ministre plusieurs fois en prison (*). À la base de la réflexion de Russell, qui embrasse de nombreux sujets - de la politique à la morale en passant par l'éducation et la recherche du bonheur -, il y a l'application de la maxime suivante : « Il n'est pas désirable d'admettre une proposition quand il n'y a aucune raison de supposer qu'elle est vraie. » Russell reconnaît d'emblée que « si une telle opinion devenait commune, elle transformerait complètement notre vie sociale et notre système politique ! »Comme tout sceptique, Russell possède ce sens du non-sens « typically british » : « Autrefois, la logique fut l'art de tirer des conséquences ; de nos jours, elle est devenue l'art de s'abstenir de les tirer, puisque nous savons maintenant que les conclusions que nous sommes enclins à tirer ne sont presque jamais justes. J'en déduis donc qu'on devrait enseigner la logique dans le but d'apprendre aux gens à ne pas tirer de conclusions. Car, s'ils se mettent à raisonner, ils feront presque certainement des erreurs. »Surtout, ces textes offrent de nombreuses réflexions empreintes de lucidité : « Le pouvoir du politicien, dans une démocratie, n'est possible que parce qu'il adopte les opinions qui semblent justes au citoyen moyen. Il est inutile d'exiger que des politiciens soient suffisamment nobles pour ne défendre ce que ce qui est considéré comme juste par l'opinion éclairée, car, s'ils font ainsi, ils sont balayés pour faire place à d'autres. » La leçon est plus que jamais d'actualité.Robert Jules(*) Sur Bertrand Russell, on recommandera « Logicomix » d'Apostolos K. Doxiadis et Christos Papadimitriou (Vuibert), un remarquable ouvrage qui retrace sous la forme d'une BD la vie du philosophe et la quête des fondements des mathématiques au début du XXe siècle.
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