Et le musée d'Orsay révéla Kühn

Il a régné sur le pictorialisme des années durant, imposé son originalité et sa modernité. Acheté par les plus grands collectionneurs ou musées, Heinrich Kühn (1866-1944) n'en est pas moins toujours inconnu du grand public en France. Plus pour très longtemps heureusement grâce au musée d'Orsay qui lui consacre aujourd'hui une magnifique rétrospective (dont « La Tribune » est partenaire), présentée à l'Orangerie. Portée par une scénographie élégante et raffinée aux accents Art nouveau, riche de quelque 150 images et d'une enivrante projection d'autochromes, l'exposition plonge les spectateurs au coeur de l'effervescence artistique de la Vienne du début du XXe siècle. Elle retrace aussi l'histoire du pictorialisme, ce mouvement photographique né en Europe avant de s'épanouir aux États-Unis, et dont l'oeuvre de Kühn a suivi l'évolution. Tout a commencé à la fin du XIXe siècle, date à laquelle la photographie se démocratise. La faute à de nouveaux appareils, plus petits, plus maniables, et dont le temps de pose est largement réduit. À l'arrivée, les images se révèlent aussi beaucoup plus nettes, fourmillant de détails. Mais pour une poignée d'amateurs éclairés, pas question de réduire le médium à sa fonction documentaire. Pour eux, la photo est un moyen d'expression artistique sur laquelle le photographe doit intervenir pour donner sa vision des choses. « C'est la perception de l'oeil qui compte », clament les premiers théoriciens anglais du mouvement. Et de prôner une photographie capable de rivaliser avec la peinture mais dotée de son propre langage, réservée à une élite heureuse de se retrouver dans des clubs à l'anglaise ayant fleuri à Londres, Paris, Munich ou Vienne. Ce qui convient parfaitement au jeune Heinrich Kühn. Né à Dresde au sein d'une riche famille de commerçants en gros, il se passionne très tôt pour la photo et profite même de ses études de médecine à Innsbruck en Autriche pour pratiquer la microphotographie. Un héritage lui permet ensuite de se consacrer uniquement à sa passion. Il s'inscrit au Camera Club de Vienne où il découvre en 1895 le travail du pictorialiste français Robert Demachy (1959-1936) dont il adopte le procédé de tirage à la gomme bichromatée sur lequel le photographe peut facilement intervenir. « Ses premières images empruntent à la peinture », souligne Françoise Heilbrun, conservateur en chef du musée d'Orsay et co-commissaire de l'exposition avec Monika Faber, conservateur en chef de l'exceptionnel département photographie du musée de l'Albertina à Vienne. En témoigne ce « Paysage d'été » de 1887, semblable à un tableau pointilliste. Ailleurs, c'est un « Crépuscule » de 1896 qui rappelle les oeuvres de Monet. D'autres photos renvoient à la peinture hollandaise du XVIIe siècle. D'autant que Kühn retravaille ses oeuvres au pinceau, rajoute de la couleur.Ses sujets de prédilection ? La campagne, les prairies, la montagne, le nu mais surtout sa famille. Qu'il s'agisse de ses enfants ou de leur gouvernante, entrée à leur service en 1902 pour seconder Madame Kühn très malade. Elle devient très vite la maîtresse de monsieur mais surtout son modèle de prédilection. Ce dernier ne cherche pas à retranscrire sa personnalité. Seuls les jeux de lumière, le contraste entre sa peau laiteuse et ses cheveux sombres, le rendu de la matière l'intéressent. « Ces photos n'en sont pas moins un hymne à la famille », confie Françoise Heilbrun. En 1904, la rencontre au Tyrol de Kühn avec le pictorialiste américain d'origine allemande Alfred Stieglitz (1864-1946) change la donne. Influencé par celui qu'il considère désormais comme son « frère spirituel », il se dégage peu à peu de l'imitation de la peinture, opte alors pour des tirages moins grands. Ses photos moins ouatées s'allègent, ses contours sont plus nets, ses contrastes plus affirmés encore. Comme pour cette « Nature morte avec coupe de fruits » de 1909, dont la composition renvoie néanmoins à celles de Cézanne.Cette même année 1909, il découvre aussi l'autochrome, invention française des frères Lumière qui permet les premiers clichés en couleur. Kühn devient un maître en la matière, obtenant des harmonies parfaites dans ses paysages, ses portraits ou ses natures mortes comme ce délicat bouquet de violettes presque incandescent. Là encore, Kühn multiplie les recherches formelles, ce qu'il fera d'ailleurs tout au long de sa vie, comme s'il cherchait avant tout à atteindre l'essence même de la photographie.Yasmine Youssi Heinrich Kühn au musée de l'Orangerie jusqu'au 24 janvier. www.musee-orsay.fr/. Catalogue : éditions Hatje Cantz, 280 pages, 49 euros.
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