La notation, une (fausse) affaire de concurrence

STRONG>ParCatherine gerstAssociée, Citigate dewe rogersonComme une machine de guerre, les « progress reports » des sommets du G20 se succèdent depuis 2008. En jeu, la réforme des marchés financiers, qui englobe au passage des pans entiers jusque-là non régulés. En particulier les agences de notation. Trois fameux économistes français se sont livrés au jeu de publier, à la veille du discours de politique générale de François Fillon, le 24 novembre, leur vision d'un véritable programme économique pour l'Europe et pour la France. Ils y défendent, dès la première proposition, l'idée de demander à chaque banque centrale, en particulier la BCE, de développer leurs propres activités de notation « pour éviter que le sort de la zone euro soit soumis au jugement exclusif de trois agences de notation ». On imagine, au passage, le degré de conflit d'intérêts qui pourrait exister dans une telle situation, les banques centrales notant alors, entre autres, les fameux papiers qu'elles prennent en « repo » pour soulager les banques européennes, notamment la dette souveraine. L'actualité est riche d'autres idées et initiatives sur le sujet. Comme la consultation en cours de la Commission européenne sur les modalités selon lesquelles des notes émises par des agences de notation à l'extérieur de la zone euro pourront être reconnues en Europe (« endorsement »). Mais dans la pratique, où en est-on ? En Europe, il y a la queue au guichet : des dizaines d'organisations, inconnues jusque-là, profitant de l'aubaine de la nouvelle réglementation, se précipitent afin d'obtenir une accréditation européenne d'agence de notation. C'est le choix européen d'un passeport centralisé, derrière lequel se cache à peine une farouche volonté d'ouvrir les vannes à la concurrence : tout le monde peut prétendre à être une agence de notation, du moment qu'il franchit les étapes de la procédure. Mais les critères d'accréditation sont-ils pertinents ? A-t-on, par exemple, obtenu des nouveaux candidats qu'ils démontrent la pertinence des bases de données historiques de défauts sur lesquelles ils se basent ? Non, car beaucoup n'en disposent pas. Cette exigence n'aurait donc pas permis d'ouvrir le secteur à la concurrence, véritable objectif recherché sous la pression du marché, en dépit du bon sens concernant des métiers comme la notation du risque de crédit, supposés veiller à la sécurité des investisseurs. Et comment les régulateurs vont-ils établir le « track record » de leurs performances, la plupart d'entre eux n'ayant que quelques années d'existence ? D'ici un à deux ans, une trentaine de nouvelles agences, qui ne sont nullement en mesure de démontrer la pertinence de leurs analyses, devraient donc pouvoir opérer en Europe, légitimées par un passeport européen reposant sur des principes généraux. D'ailleurs, ce passeport délivré sous la supervision du CESR, vaudra-t-il un statut ECAI (External Credit Agency Institution), délivré, lui, par les régulateurs bancaires, et réservé aux agences autorisées à noter dans le référentiel prudentiel de Bâle ? Que vaudra une agence à passeport européen mais qui ne disposerait pas de ce statut au niveau européen ?Aux États-Unis, l'option n'est pas d'ouvrir les vannes de la concurrence mais de faire planer au travers de deux nouvelles dispositions un nouveau risque juridique sur les agences. Et encore, ce risque peut être jugé comme « moyen ». La première précise les circonstances dans lesquelles un investisseur se sentant lésé pourra attaquer en justice une agence de notation. Le champ se trouve en effet élargi aux cas où une agence aurait volontairement échoué à mener une « investigation raisonnable » pour correctement évaluer les risques. On pourra toujours le prétendre, lorsque l'on sera mécontent d'une dégradation brutale de note, mais ce sera le système juridique fédéral qui continuera de statuer et de juger. Or, dans ce système, le plaignant doit pouvoir démontrer qu'il y a eu fraude, tâche quasiment insurmontable concernant les agences de notation. L'autre disposition (Amendement LeMieux/Farewell) exige que toute référence aux notations des agences agréées par la SEC soit retirée des textes et règles gouvernementaux et des régulations. On peut faire le pari que cela n'empêchera en rien la communauté des investisseurs de fonder ses décisions sur les notes des agences, pour autant qu'elles disposent de l'agrément de la SEC. En Europe donc, création d'une concurrence fictive, avec laquelle les politiques qui l'ont voulue et les régulateurs qui l'exécutent ne font que se donner l'illusion confortable d'améliorer le secteur, alors que c'est l'inverse que l'on risque d'obtenir. En Amérique, peu de nouveautés réellement menaçantes pour les agences en place, mais la création d'un cadre les contraignant à la plus grande prudence dans leur fonctionnement. Mais au fond, quelle est la meilleure approche ? Celle qui considère qu'une régulation des donneurs d'opinion ne devrait pas consister à tenter de les affaiblir par la concurrence, pour mieux les juguler ? Ou bien une régulation qui repose sur des bases statistiques fiables et la hantise de conserver une réputation ? Certes, les agences de notation n'ont pas été infaillibles et elles doivent faire le ménage chez elles. Mais, sur le long terme, la valeur des opinions des agences historiques reste supérieure au coût de leurs erreurs, sachant que ces erreurs ont été bien partagées, notamment par les politiques eux-mêmes.
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