« En France, on ne sait

IBM a annoncé une nouvelle hausse de bénéfice malgré une baisse de chiffre d'affaires. Comment expliquez-vous cela ?Les chiffres sont bons, car nous portons notre attention sur deux indicateurs simples : le résultat par action, qui agrège un très grand nombre d'informations, et le cash. Ce sont les deux moteurs qui permettent d'investir. Il faut toujours penser IBM comme une entreprise qui investit, c'est notre modèle depuis bientôt cent ans. La croissance pour la croissance ne nous intéresse pas, car le modèle d'IBM est un modèle de valeur. C'est sur ce critère que nous investissons ou désinvestissons. Aujourd'hui, nous cherchons clairement à protéger nos marges. Et tant mieux si le chiffre d'affaires croît !Ce qui frappe, c'est la maîtrise des coûts. Comment avez-vous adapté votre structure à la conjoncture ?Nous avons engagé il y a dix ans une transformation de notre fonctionnement, en externalisant des usines, des fonctions, en intégrant nos processus. Nous avons aujourd'hui douze processus mondiaux standardisés, outillés et intégrés de bout en bout. Cela veut dire que nous avons des méthodes uniques de fonctionnement. Par exemple sur un arrêté comptable, la façon de parler à un client ou celle de monter une solution de services. Nous avons intégré toute notre chaîne logistique sur des plates-formes SAP, dont nous sommes le premier client dans le monde. En d'autres termes, nous avons industrialisé le service. C'est pour cela qu'IBM est une entreprise lisible : ses stratégies et ses transformations ont été posées entre 2000 et aujourd'hui. Et c'est grâce à cela que l'on continue de pouvoir faire des économies, comme une usine qui a été conçue organisée au niveau mondial. Nous sommes ainsi passés du stade de la multinationale à celui de l'entreprise intégrée globalement, une GIE (« globally integrated enterprise »). Parallèlement à cette intégration, nous avons mené un mouvement de décentralisation pour descendre le niveau de décision au plus près des clients.Le recul de votre chiffre d'affaires est tout de même embêtant. Quand et comment voyez-vous la sortie de crise ?Le chiffre d'affaires est un indicateur absurde. C'est la valeur ajoutée qui permet d'investir, de payer les salaires. Et lorsque vous regardez la valeur ajoutée d'IBM, elle est de plus en plus importante. Pour revenir sur la sortie de crise, cela va dépendre de la transformation de nos clients. C'est justement dans la période actuelle que nous devons être chez les clients pour les aider à se transformer.Constatez-vous une révision à la baisse des projets, tout simplement pour des raisons de cash ?C'est vrai. Sauf si le retour sur investissement est inférieur à douze mois. Les projets sont plus tactiques, plus segmentés, plus concrets. Pour nous, ce n'est pas simple, car cela veut dire beaucoup de petits projets en parallèle. Du coup, nous n'avons jamais eu autant de contacts avec les clients. C'est une des vertus de la crise, les gens communiquent. Les clients nous disent des choses qu'ils ne nous auraient jamais dites auparavant pour des raisons de confidentialité. Le monde virevolte tellement que les gens savent qu'une information confidentielle peut avoir une durée de vie assez courte et qu'il y a peut-être moins de danger à la partager pour mieux réfléchir ensemble au projet. Aujourd'hui, ce qui me frappe, c'est que tous les concurrents se parlent, dans la banque, dans la distribution, dans l'industrie. Tout le monde travaille avec tout le monde, parce que plus personne ne peut investir sur tout. Les entreprises sont obligées de nouer des vrais partenariats.Est-il facile pour un groupe étranger de travailler en France ?Pour un groupe mondial, quelle que soit son origine, la France est un pays qui fascine. Parce qu'elle a, contrairement à ce que l'on croit, une excellente image pour ses technologies et ses compétences, pour ses infrastructures et son système de santé. Alors c'est vrai que la France s'est fait de la publicité autour de sujets comme les 35 heures qui ne le méritaient pas. Et nous sommes des braillards. Mais la France est un pays équilibré. Dans le concert international que je fréquente, chez IBM ou chez les clients, je n'ai jamais eu honte d'être Français. Maintenant, en temps que citoyen français, je trouve que la France pourrait bien, bien, bien mieux faire. Elle est sans doute en train d'accumuler des retards. Comme nous en avions au moment où nous avons donné ces fameux coups de reins dans le nucléaire, dans le ferroviaire ou dans les télécoms. On perd parfois un peu de temps à discuter, ou à justifier dans toutes ses dimensions que chaque décision est parfaite. Or une décision parfaite n'existe pas.Pourquoi la France prend-elle ce retard ?L'État devrait dépenser 350 milliards d'euros l'année prochaine. Mais le seul budget d'investissement, le grand emprunt, fera 10, 15 ou 30 milliards. Ce n'est rien. Proportionnellement, IBM investit 6 % de son chiffre d'affaires en recherche et développement : 6 milliards sur 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Si l'État en faisait autant, il investirait 20 milliards tous les ans. Et on parle du grand emprunt comme du grand soir ! C'est vrai que la discussion autour de cet emprunt amène des sujets très intéressants sur la table, puisque chacun dit ce qu'il pense être l'investissement critique pour la France. C'est ça le vrai sujet.Comment l'État pourrait-il faire, compte tenu des déficits publics ?Il faut tailler dans les dépenses, pas pour mettre l'argent au coffre, mais afin de dégager des marges de man?uvres pour investir. Il est d'ailleurs étonnant d'entendre des néologismes comme « les dépenses pour le futur ». Je suis désolé, mais en compta, cela s'appelle un investissement. On ne sait même plus prononcer le mot investissement dans ce pays ! Une dépense se fait toute seule, tandis qu'un investissement se choisit.Comme le chiffre d'affaires, le PIB est-il un indicateur à relativiser ?Le PIB est un indicateur complètement désuet. L'évolution du PIB ne veut rien dire : est-il fait d'exportations ou d'importations, du travail de gens exclusivement au Smic, ou à 100 % d'ingénieurs, etc. ? Il est temps d'entrer dans le détail.Quel indicateur prendre alors ?Il serait temps de s'intéresser à la place de l'immatériel dans notre économie. Comment se fait-il, à un moment où la taxe professionnelle est en débat, en 2009, que personne n'ait proposé de faire porter cette taxe sur l'immatériel. Il y a deux ans, on disait que 60 % du bilan des entreprises américaines étaient de l'immatériel. C'est le poids des marques, le poids de la recherche, des brevets, etc. Toutes ces choses qui ne tiennent pas dans des boîtes créent de la valeur. Or, on s'évertue à taxer le sol, les machines et les êtres humains? C'est l'assiette de 1930.Quels devraient être les investissements prioritaires ?C'est le problème. Où va la France dans ses grands choix stratégiques pour les cinq ans à venir ? Moi, je ne sais pas. Je ne parle surtout pas des travaux de génie civil pour faire passer la fibre optique, car c'est comme vider les poubelles ou se raser le matin, ce doit être fait, alors faisons-le. C'est nécessaire, mais pas suffisant. Sans tomber dans la tarte à la crème des pôles de compétitivité dont la moitié devrait fermer. Que devraient être les priorités du pays ? On ne sait pas. Qu'y a-t-il comme grand projet fédérateur, réfléchi, planifié ? On ne sait pas.
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