Le procureur a requis

Le procès Clearstream devait répondre à une question, une seule : qui a falsifié les fameux listings ? Qui a tapé sur le clavier de l'ordinateur pour introduire dans ce fichier dérobé à la chambre de compensation luxembourgeoise les noms de plus d'une centaine de personnalités du monde de la politique, de l'industrie et des services de renseignements ? À cette question basique, le procès et ses 112 heures de débats n'ont pas apporté de réponse sans équivoque. Le vice-procureur, Romain Victor, à l'appui de son réquisitoire contre Imad Lahoud, peut juste affirmer : « Nous ne regardions pas par-dessus votre épaule, Lahoud, mais vous êtes le point d'entrée des listings volés et le point de sortie des listings falsifiés. » C'est mince. Entre le point d'entrée et le point de sortie, que s'est-il passé ? Peut-être bien que Lahoud était au « piano ». Peut-être bien que non. Le procès Clearstream, procès hors normes pour une moins banale affaire de dénonciation calomnieuse, a fait un flop magistral. Pourquoi ? Réponsee;ponse en quatre actes. Premier acte : quand il n'y a plus de famille, il n'y a plus de secret de famille. Le 7 octobre, brusquement, Villepin dévie de ses réponses pour lancer trois « Scud » : il signale l'insistance de Nicolas Sarkozy, à la fin des années 1990, pour piloter le contrat Miksa de sécurisation des frontières de l'Arabie Saoudite, supposé générateur de fabuleuses commissions ; il insiste lourdement sur l'appétence de Brice Hortefeux, fidèle grognard du président de la République, pour les pays arabes. Et pour faire bon poids, il rappelle à Me Herzog, l'avocat du président de la République, le bon vieux temps où, côte à côte, ils défendaient la Chiraquie assiégée par des juges vindicatifs. Trois phrases lourdes de sens pour répondre au « croc de boucher » qui lui est promis. Une salve d'artillerie pour lui permettre d'accéder à la présidentielle (voir « La Tribune » du 24 octobre). La violence non tempérée des échanges entre les deux hommes a inhibé le procès Clearstream. Pourtant, il était simple de plonger dans le premier volet, politique, de l'affaire Clearstream. Il suffisait de demander aux journalistes du « Point » qui leur avait donné les faux listings publiés le 8 juillet 2004 dans un dossier déclenchant l'affaire. La protection des sources ? Cela n'a jamais arrêté la justice en France. Dans une banale affaire de dopage, un juge perquisitionne dans les locaux du même « Point ». Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait dans ce qui a été présenté comme une affaire d'État ? Deuxième acte : l'industrie de défense, ce n'est pas le monde de Oui-Oui. Le 23 octobre, Me Iweins, avocat de Gergorin, citant un extrait du jugement d'un procès opposant Thomson et Matra s'exclame : « Gomez emploie des méthodes dignes d'un délinquant d'habitude. » 28 septembre, audition d'Alain Gomez, ancien patron de Thomson : « Le ?modus operandi? de Gergorin, c'est détruire un individu en attaquant sa personnalité sociale. » Ambiance. La haine à l'état pur entre deux hommes. Le combat entre deux groupes, Thomson et Matra puis Thales et EADS, qui structurent l'industrie de défense en France. De 1994 à aujourd'hui, ce ne furent que chausse-trappes et coups bas : depuis la supposée opération de déstabilisation « Couper les ailes de l'oiseau » visant à déstabiliser Matra jusqu'à l'affaire Clearstream, où Gergorin est accusé d'avoir glissé le nom de Gomez parmi ceux de mafieux russes et de chefs de triades taiwanaises. À Thales la victoire : Gergorin est jugé et un mois et demi avant que les juges de l'affaire Clearstream ne rendent leur ordonnance de renvoi, le juge Van Ruymbeke, décrédibilisé pour avoir cru aux listings falsifiés, doit rendre une ordonnance de non-lieu dans l'affaire des frégates vendues à Taiwan, par Thomson, avec ses 240 millions de dollars de rétrocommissions et ses 14 cadavres.Les affrontements entre les deux groupes ont duré quinze ans, servis par les cerveaux les plus retors, la finance la plus sophistiquée et l'informatique la plus high-tech. Alors pourquoi pas l'arme Lahoud ? La réponse se trouve peut-être dans un mystérieux compte ouvert dans l'opaque Banque Rivaud le 12 mars 2001 et clôturé le 24 juillet 2002. À cette date, ce compte présentait un découvert de 145.082,23 euros. Il avait été ouvert avant et clôturé après la période de détention provisoire de Lahoud pour la faillite frauduleuse du fonds Volter, une affaire encore à l'instruction. Contacté par e-mail le 18 septembre, Me Pardo, l'avocat de Lahoud, ne nous a pas encore répondu. Pourquoi ? Troisième acte : les « services » savent peut-être tout, mais ils ne diront strictement rien. 12 octobre, audition d'Yves Bertrand, ancien patron des RG pendant douze ans, chiraquien : « Ces faux listings, c'est fait de bric et de broc, on dirait un film de ?Louis la Brocante?. Je ne les connais pas, ces noms. Citez m'en un ? » 6 octobre, audition de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, sarkozien : « J'ai été surpris d'être cité dans les listings avec Laetitia Casta et Alizée, qui est d'Ajaccio. C'est du racisme anti-Corse ! Cela me laisse totalement ahuri ! » 6 octobre : audition de Pierre de Bousquet de Florian, ancien patron de la DST, à propos d'une note officielle où il évoque d'autres pistes de falsification : « Je me suis juste fait l'écho de ce que m'a dit mon collègue luxembourgeois. Je n'ai pas vérifié. » Le tribunal a été embobiné sous les rires et les silences. Il aurait pu contourner la difficulté et interroger Gerard Willing. Ce consultant en intelligence économique, qui détenait l'un des fameux BlackBerry sécurisé remis par Gergorin pour éviter que ses échanges avec Villepin et Rondot puissent être écoutés. Le tribunal aurait pu également entendre Éric Merlen, ancien de la com d'Elf, auteur d'un livre sur ? ou avec ? ? Brigitte Henri, l'âme damnée de Bertrand. Ce journaliste a mis en relation Lahoud avec Robert, lançant ainsi la phase centrale de la manipulation. Mais ces deux témoins n'ont pas été appelés à la barre. Pourquoi ? Quatrième acte : « Une audience psychiatrisée », a dit Me Maisonneuve, l'avocat des « grands flics », Squarcini, Martini et Franquet. Robert, le journaliste qui rêve sa vie, Bourges, le jeune auditeur qui s'est cru James Bond de l'anti-blanchiment, Lahoud, le mythomane, Gergorin, le paranoïaque, Villepin, l'exalté. Clearstream, c'est une histoire de fous dans laquelle se noie la vérité. Comme la vérité a été noyée dans un océan de parties civiles, 41 au total. Chacune a apporté sa petite valise et l'a glissée dans la soute à bagages de l'affaire Clearstream. Gaydamak ramène son affaire de l'Angolagate. Marchiani en profite pour relancer sa guerre contre la DST. Le dossier est devenu boursouflé, ingérable. Qui a voulu le désordre ?Pour répondre à ces questions encore en suspens, le tribunal s'est donné le temps de la réflexion. Le jugement du tribunal était initialement attendu pour Noël. Le président Pauthe et ses deux assesseurs rendront finalement leur décision le 28 janvier dans la salle du procès, celle-là même où a été condamné Marie-Antoinette. Hasard du calendrier ? Le 28 janvier, Nicolas Sarkozy fêtera ses 55 ans. n Qui a tapé sur le clavier de l'ordinateur pour introduire les noms de plus d'une centaine de personnalités ? Le procès n'a pas apporté de réponse sans équivoque.Deux ans de prison dont six mois avec sursis et une amende de 45.000 euros contre Imad LahoudTrois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis et une amende de 45.000 euros contre Jean-Louis GergorinDix-huit mois avec sursis et une amende de 45.000 euros contre Dominique de Villepin.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.