Elephant woman

Avec la « Vénus noire », Abdellatif Kechiche frappe fort, une fois encore. Son dernier opus interpelle le spectateur, le force à s'interroger sur son degré de tolérance, son regard sur l'autre, son acceptation de la différence. Il y a trente ans, David Lynch avait suivi la même démarche avec « Elephant Man » en portant à l'écran la vie d'un être difforme, John Merrick. Pour sa part, Kechiche a mis en scène une triste et réelle histoire du début du XIXe siècle : celle de Saartjie Baartman, appelée la « Vénus Hottentote », originaire d'Afrique du Sud.Débarquée en Europe en 1810, Saartjie Baartman - à l'instar de John Merrick - est dotée de particularités physiques (hypertrophie du fessier et des organes génitaux) qui font d'elle un phénomène de foire. Exploitée par ses « maîtres » successifs, elle est humiliée, physiquement et psychologiquement, lors d'exhibitions où elle est présentée comme une sauvage. Elle sera livrée en pâture dans les salons libertins et sombrera dans la prostitution. Malade, rongée par l'alcool, Saartjie Baartman meurt à Paris en 1815. Mais, même décédée, cette pauvre femme continuera d'être humiliée. L'anatomiste de renom Georges Cuvier réclame son corps, le dissèque, en fait un moulage qui sera exposé au musée de l'Homme à Paris jusqu'en 1976, aux côtés des bocaux contenant ses organes génitaux et son cerveau. Ses restes seront restitués à l'Afrique du Sud en 2002, suite à la demande de Nelson Mandela.Pseudo-certitudesAbdellatif Kechiche a manifestement été bouleversé par le destin tragique de cette femme. Son film est une réussite bien qu'il soit, comme souvent chez lui, beaucoup trop long (2 h 39). Certaines scènes auraient gagné à être raccourcies. En tout état de cause, l'actrice Yahima Torres, dont c'est le premier rôle, inspire un immense respect dans son interprétation difficile de Saartjie.Mais la « Vénus noire » dénonce aussi avec efficacité toutes les formes d'oppression et d'asservissement. Avec ses pseudo-certitudes scientifiques, Cuvier symbolise à merveille le sentiment de supériorité des Blancs sur le reste de l'humanité. Tout au long de sa vie, Saartjie Baartman, la Noire, n'aura jamais été considérée. Artiste, elle souhaitait donner (elle chantait et dansait très bien) mais les « autres » n'en avaient cure. Seul, à leurs yeux, comptait son physique particulier. Seuls les libertins finiront par s'émouvoir du traitement qui lui était infligé. Une triste histoire du début du XIXe siècle qui reste, hélas, d'une grande actualité.
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